PDG de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial, trublion charismatique de la profession, prône haut et fort le tourisme responsable. Au-delà de ce terme aux contours flous, les convictions d'un homme et l'engagement d'un groupe.
PAR ANNE-MARIE GRUÉ.
Voyager, faire son sac, s'envoler, naviguer, marcher, s'éblouir, partager... Qui n'en a pas rêvé ? Aujourd'hui, près d'un milliard d'hommes se déplacent sur la Terre chaque année ! Le monde entier semble pris de bougeotte, alors que la planète souffre. Réchauffement climatique, sécheresse, incendies, inondations, choc des cultures : cette activité prédatrice qu'est le tourisme bouscule les sociétés et les territoires où elle s'exerce, suscitant parfois des ripostes violentes. Mais le tourisme offre aussi un potentiel de développement économique, d'échanges et d'ouverture incalculable. Aujourd'hui à la croisée des chemins - de plus en plus de voyageurs sont sensibilisés par la vague environnementale et sept voyageurs sur dix se disent intéressés par le «tourisme responsable» (selon un sondage TNS-Sofres réalisé en mars 2007 pour le voyagiste en ligne Voyages-sncf.com) -, les professionnels s'interrogent, certains réagissent. Albert Einstein déjà l'affirmait : «Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire.»
Une entreprise citoyenne à cinq têtes
Tourisme solidaire, équitable, durable ou éthique ? Un peu comme pour les labels bio, difficile de s'y retrouver dans cette nouvelle jungle sémantique aux contours trop flous. Bonne conscience à peu de frais, alibi marketing écolo-compatible ou engagement sincère, global et à long terme ? Voyageurs du Monde * (VDM), le principal acteur du voyage individuel en France, premier également sur le segment de l'aventure (avec la marque Terdav), a clairement choisi cette troisième option, poussé il est vrai par l'enthousiasme bouillonnant et les convictions profondes de l'un de ses PDG, Jean-François Rial. «Je suis optimiste car je sais que l'humanité a toujours su se réguler, affirme ce dirigeant atypique, quadragénaire insomniaque, ancien as de la finance, qui a traversé la Chine sac au dos et le Sahara à la boussole avant de se consacrer professionnellement au voyage (en 1992). Je crois que l'humanité a une formidable capacité de réaction, dommage qu'il faille souvent attendre le dernier moment.» Le déclic ? Pour comprendre, il faut d'abord remonter aux origines de ce groupe au mode de management bien particulier. VDM est en effet dirigé par cinq hommes unis par l'amitié et le goût du voyage : Alain Capestan, Jean-François Rial, Lionel Habasque, Loïc Minvielle et Frédéric Moulin... parce que «le PDG omnipotent, c'est totalement ringard ! L'entreprise moderne y a mis fin», assène, volontiers provocateur, le meilleur «communicant» des cinq. Bâti sur ces bases hors normes, VDM a pris le contre-pied du tourisme de masse pour privilégier le tourisme individuel et d'aventure. Un groupe en forme, qui affiche 191 millions d'euros de chiffre d'affaires, 3,3 millions de résultat net et 637 salariés. «Pour nous, certaines valeurs - antiracisme, tolérance, respect de la personne humaine - ne sont pas négociables», poursuit celui qui n'a pas hésité, après le 21 avril 2002, à faire envoyer par courrier électronique aux 35 000 clients abonnés de sa lettre d'informations un texte pour s'insurger contre le vote Le Pen. «Nous ne sommes pas arrivés au voyage par hasard. Voici ce qui nous a motivés : que pouvons-nous faire pour développer une activité qui soit porteuse d'humanisme et de tolérance ? Existe-t-il un meilleur outil que le voyage pour améliorer l'état du monde ? Non. Le racisme est très rare chez ceux qui ont beaucoup voyagé. J'ose le dire : pour nous, l'objectif principal de l'entreprise n'est pas le profit. Le profit est un moyen, l'objectif fondamental c'est l'entreprise citoyenne.»
Les hommes d'abord
Chez VDM, on a donc souhaité s'occuper d'abord des hommes avant d'oeuvrer pour de grands idéaux : formation, salaires, avantages sociaux supérieurs aux normes du secteur... Les clauses sociales dans les contrats avec les prestataires (respect de la législation sociale, salaire minimum, protection sociale, âge des salariés, etc.) ont été également systématisées. Un - fastidieux ! - audit international auprès de tous ces fournisseurs - 5 000 hôtels notamment - est actuellement en cours afin de vérifier le respect de ces engagements. «Parce que chez nous, et depuis le départ, le social est une donnée génétique de l'entreprise. Payer des impôts dans les pays où nous sommes implantés, c'est incontournable. Verser une quote-part très importante de notre activité - l'équivalent d'un quart de notre bénéfice brut - en prime d'intéressement, c'est incontournable. Cela signifie aussi la transparence : tous nos salariés ont accès à tous les comptes, tous les chiffres, les marges...» Par ailleurs, VDM a toujours assorti son activité à des actions dites humanitaires, «même si nous ne les communiquons pas forcément à nos clients. Aujourd'hui, nous finançons 70 000 euros par an pour des écoles dans le monde - en Inde, au Népal, au Maroc, en Tanzanie, au Vietnam... Nous faisons cela avec des pros qui inscrivent leurs projets dans la durée.»
Un engagement écologique fort et récent
Dans la profession, ils furent les premiers : VDM s'est engagé dès janvier 2007 à compenser toutes les émissions de CO2 liées aux déplacements professionnels de ses collaborateurs en avion et en train. Une compensation chiffrée à environ 70 000 euros par an. Et tant pis pour les confrères que ces prises de position ont pu irriter et qui ont parfois traité Jean-François Rial «d'ayatollah», l'accusant au passage de surfer sur la vague verte pour s'offrir un habile coup marketing. «Nous estimons avoir pris une position médiane : puisque l'on ne s'arrêtera pas de voyager, optons pour le développement durable. Nous avons pris des mesures qui tiennent en trois points : réduire le plus possible nos déplacements en interne ; compenser ces déplacements en finançant des projets qui absorbent concrètement le CO2 ; et rentrer dans un processus vertueux du type de celui de Kyoto (1997). Non seulement nous revendiquons nos engagements, mais nous aimerions que tous nos concurrents nous imitent ! Cela a d'ailleurs commencé avec Marmara (premier voyagiste français en nombre de clients) sur l'écologie», se réjouit-il. «Personnellement je suis un converti, car la sensibilité écologique n'était pas viscérale chez moi. Et comme souvent, les convertis sont les plus convaincus. Le transport aérien génère énormément de dioxyde de carbone (les experts estiment que l'avion participe à hauteur de 3% du total des émissions de CO2 dans le monde). Mais il a surtout une croissance beaucoup plus importante que la moyenne des autres industries utilisant du CO2. L'avion va de plus en plus polluer dans les années à venir du fait de l'augmentation du trafic.»
Un bilan carbone complet
L'engagement écologique du voyagiste va aujourd'hui bien au-delà de la seule problématique aérienne. «Nous nous sommes engagés dans un bilan carbone complet de nos activités ; il devrait être prêt en 2008. Par exemple, nous avons constaté que lorsque nous envoyions nos brochures de Paris vers les régions, nous consommions énormément de CO2 à cause des camions ; nous allons donc optimiser cela. Nous auditons également nos hébergements exclusifs, dans la même logique que les avions : on essaye de réduire les émissions de carbone avant de compenser, avec pour objectif de rendre nos activités carbone neutres à long terme.» Beaucoup de décisions ont été prises, l'important étant au bout du compte la globalité du processus. «Nous avons décidé, par exemple, de couper le chauffage de la piscine l'hiver dans notre riad à Marrakech. Parce que personne n'y allait, et parce que cela entraîne une énorme dépense de CO2. Nous avons mis en place un système qui coupe la climatisation dans les chambres de nos hôtels lorsque les clients sortent. Enfin, on vient de financer 600 000 euros de travaux sur notre bateau Steam Ship Sudan, de façon à réduire de 30 à 40% la consommation de CO2. Nous sommes entrés dans un processus très lourd : si nous voulons être crédibles sur le CO2, il faut globaliser notre démarche.»
Moins d'eau
L'eau est également l'une des principales préoccupations du groupe : VDM y a notamment fait très attention lorsqu'ont été développés les camps nomades dans le Sud marocain et en Mauritanie (puits, incitation à l'économie de l'eau dans les hébergements exclusifs, retraitement des eaux usées...). «Nous ne pouvions pas être sur tous les fronts à la fois. Nous avons alors considéré que l'eau était plus importante que les déchets. Pour nous, il est inadmissible d'envoyer des clients dans un hôtel si l'eau est enlevée aux populations locales qui en manquent ; en revanche, si elle est recyclée, comme c'est le cas par exemple à Marrakech, cela nous va».
La taxe Chirac
Pour engager le XXIe siècle sous de bons auspices, les Etats membres des Nations unies sont convenus en l'an 2000 de huit objectifs essentiels à atteindre d'ici à 2015. Ces «objectifs du Millénaire pour le développement», qui vont de la réduction de moitié de l'extrême pauvreté à l'éducation primaire pour tous, en passant par l'arrêt de la propagation du sida à l'horizon 2015, constituent un schéma directeur pour l'avènement d'un monde meilleur. On sait, par exemple, qu'il suffirait de disposer de 0,1% du produit intérieur brut mondial pour pouvoir scolariser tous les enfants du monde... En 2005, la France, par la voix de Jacques Chirac, a alors décidé que sa contribution à la mise en application de cette décision se ferait par l'introduction d'une taxe de solidarité prélevée sur les voyages aériens. VDM a été le premier voyagiste, et l'un des seuls de la profession, à prendre partie dès le départ et de manière publique en faveur de l'instauration de cette «taxe Chirac» assez controversée, d'emblée qualifiée par le groupe «d'outil de financement alternatif et innovant». Aux yeux de Jean-François Rial, le génie de cette taxe est sa contribution citoyenne internationale. «Elle n'affecte pas la taille des marchés et, surtout, elle n'engendre pas de délocalisation : on ne prendra pas son Paris-New York à Bruxelles au lieu de Paris pour éviter de payer 2 euros de taxe... Nous considérons que l'enjeu des équilibres sociaux et environnementaux sont tels que prélever 0,1% voire 0,2% du PIB mondial pour faire en sorte que l'on ait une planète un peu plus équilibrée est extrêmement bénéficiaire pour tous nos pays capitalistes libéraux.» L'idée, à terme, étant de ne pas faire subir cette taxe à la seule industrie aérienne, mais aussi à l'immobilier, la téléphonie... bref, au plus grand nombre d'industries possible, sachant qu'il faudrait environ 50 milliards de $ pour atteindre un seul des objectifs du millénaire (la diminution par deux de l'extrême pauvreté dans le monde). Le produit de cette taxe est collecté par Unitaid **, un fonds qui s'est donné pour mission de faciliter l'accès des populations les plus démunies à des soins de qualité. Ainsi, en 2007, 250 000 personnes recevront-elles des traitements contre le sida, le paludisme ou la tuberculose. Faisant appel aux individus et non aux Etats et à leurs budgets, Unitaid symbolise l'avènement d'une contribution citoyenne internationale pérenne, affranchie des soubresauts des nations ou des fluctuations de dons versés par quelques particuliers philanthropes. Une vraie révolution !
Une première pour la citoyenneté mondiale
Profitant à plein de la mondialisation, l'industrie du tourisme engendre quelque 66 milliards d'euros de recettes par an. «Une manne dont les pires ennemis se nomment instabilité mondiale, disparité Nord/Sud et inconscience écologique.» Et si, au XXIe siècle, «l'entreprise se devait d'être citoyenne POUR faire du profit ?», conclut ce matheux brillant, adepte aussi bien de philosophie bouddhiste que de jeux de stratégie. «Plutôt que de maudire les ténèbres, allumons une chandelle, si petite soit-elle», suggérait déjà Confucius. Chez VDM, on s'est d'ores et déjà chargé d'allumer la mèche.
* Le groupe Voyageurs du Monde comprend cinq marques : Voyageurs du Monde, Comptoirs des voyages, Terre d'Aventure, Nomade Aventure et Déserts.
** www.unitaidforoneworld.org. Unitaid est présidée par Philippe Douste-Blazy. Parmi ses partenaires experts, l'OMS, l'Unicef, la Fondation Bill Clinton, etc.