Dans le domaine de l'environnement, l'heure est à la rupture. Au plan national, avec le débat du Grenelle qui entend réconcilier l'écologie avec l'économie en l'introduisant au coeur des choix des consommateurs, des producteurs et des régulateurs. Au plan international avec le prix Nobel de la paix attribué à Al Gore et au groupe d'experts onusiens du Giec qui, au-delà de la condamnation morale de l'administration Bush et du néoconservatisme américain, souligne le lien fondamental entre la paix et la protection de l'environnement.
Mardi 16 octobre 2007 |
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PAR NICOLAS BAVEREZ Force est de constater que l'environnement a changé de nature et de statut en quelques années. Sous le choc des catastrophes écologiques - tels Tchernobyl, AZF ou les pollutions maritimes d'hydrocarbures -, des ravages effectués par le tsunami asiatique ou l'ouragan Katrina, des dommages irréversibles portés à de vastes espaces ou des premières émeutes environnementales déclenchées en Chine, du rôle de la désertification dans la crise du Darfour, l'urgence s'est imposée d'une modification des modèles de développement. Et ce y compris dans les nations qui lui étaient a priori le plus hostiles, notamment les Etats-Unis ou la Chine. Ainsi les questions environnementales, longtemps cantonnées à des aspects sectoriels dont la lutte contre l'industrie nucléaire constitue le symbole, ont pris une dimension globale. Ecologique avec le risque d'extinction de 40 % des espèces mondiales d'ici à la fin du siècle. Economique avec le rapport établi par Nicholas Stern qui conclut que la poursuite du réchauffement climatique pourrait entraîner une récession ponctionnant 5 à 20 % du PIB mondial. Stratégique avec la montée des risques liés à la compétition entre les nations pour l'accès à des ressources vitales - 9 pays disposent de 60 % des ressources renouvelables d'eau -, la perspective de voir 3,2 milliards d'hommes sur les neuf que comptera la planète vers 2080 souffrir de pénurie d'eau et plus de 660 millions de famine endémique, le déclenchement de vastes mouvements migratoires pour fuir les zones arides ou polluées - le seul réchauffement climatique pourrait contraindre plus de 200 millions de personnes à se déplacer. Politique et morale avec la répartition des efforts entre les pays développés et le monde émergent, étant entendu que l'environnement répond à une problématique globale qui ne peut relever des seuls Etats. L'écologie s'est transformée en même temps que la prise de conscience progressait. Elle était un combat d'activistes ; elle devient une question politique portée par les partis traditionnels et les gouvernements jusqu'au sein du G8. Elle constituait un privilège du monde développé ; elle devient une priorité pour les pays émergents. Elle militait contre la croissance et l'économie de marché ; elle cherche désormais à intégrer les contraintes environnementales dans les comportements à travers la réglementation et la fiscalité, mais aussi l'utilisation des techniques de marché comme les droits à émission de carbone. Elle était fortement teintée d'idéologie, empreinte d'un radicalisme qui voyait dans la défense de l'environnement la poursuite de la révolution marxiste par d'autres moyens ; elle se découvre pragmatique et réformiste, révisant sa position sur l'énergie nucléaire du fait de son impact positif sur le réchauffement climatique. Elle communiait dans l'utopie et le malthusianisme ; elle réfléchit désormais en termes de développement durable. Le prix Nobel de la paix et le Grenelle de l'environnement actent ainsi le basculement d'une écologie défensive et réactionnaire vers une écologie offensive et responsable, au service de la stabilité géopolitique et du développement économique. Une écologie qui ne voit plus dans la liberté politique et l'économie de marché l'origine du problème mais la clef des solutions. Une écologie qui cesse de penser uniquement en termes d'interdiction, de réglementation, de moratoires sur les infrastructures ou la recherche, mais qui se décline en incitation et en innovation. Une écologie qui brise avec ses relents nationalistes pour s'inscrire résolument dans le cadre de la société ouverte, en Europe comme dans le cadre de la mondialisation. Une écologie qui se démarque d'une conception absolutiste du principe de précaution et du jeu sur des passions collectives pour se réconcilier avec la science et le progrès. Plusieurs principes en découlent. 1. Dès lors qu'elle implique une transformation des modes de vie, la protection de l'environnement demande une pédagogie et une mobilisation intense des citoyens qui ne peuvent être le monopole des dirigeants politiques. 2. L 3. Les politiques publiques doivent être réorientées vers les investissements propres dans les domaines des infrastructures ou des énergies renouvelables, et accompagner les efforts des ménages et des entreprises notamment dans le secteur du logement - ce qui implique de réaliser des économies substantielles dans les domaines des transferts sociaux (34 % du PIB) et de la fonction publique (15 % du PIB). 4. La recherche mérite d'être activement soutenue dans les domaines de l'énergie - en commençant par le nucléaire et la captation du carbone -, des transports (voiture et avion propres), de l'agriculture avec la limitation des pesticides et le développement des OGM pour lesquels la transparence doit être assurée mais toute idée de moratoire résolument écartée. 5. Si chacune des nations doit se mobiliser, l'enjeu de l'environnement reste par essence planétaire et constitue un champ d'application privilégié pour le codéveloppement, avec un équilibre entre des engagements pour les pays pauvres ou émergents (notamment en termes de lutte contre la déforestation) et l'accès aux technologies innovantes ou aux marchés des pays développés ; il représente aussi une reconversion idéale pour les institutions de Bretton Woods dans l'univers de la mondialisation. 6. En bref, l'heure n'est plus à la précaution mais à l'action, pour une écologie qui ne se pense plus sous le signe de la nostalgie ou de l'émotion mais de l'avenir et de la raison. NICOLAS BAVEREZ est avocat et historien. |