La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas seulement une affaire scientifique, un enjeu technologique ou économique. C’est aussi une question éminemment stratégique. Par Pascal BONIFACE
Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques, l’Iris (www.iris-france.org), vient de publier «Lettre ouverte à notre futur(e) président(e) de la République sur le rôle de la France dans le monde», éditions Armand Colin. Il enseigne à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris-VII
Le prix Nobel de la paix 2007 a été attribué conjointement à Al Gore et au groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. Comme chaque année, c’est un message politique que le comité Nobel a émis, tout d’abord en faisant de la protection de l’environnement le cœur de la problématique de la paix et de la guerre. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas seulement une affaire scientifique, un enjeu technologique ou économique. C’est aussi une question éminemment stratégique.
L’an dernier déjà, en récompensant l’inventeur de la banque des pauvres, Muhammud Yunus, les sages du Nobel avaient créé un lien entre le développement économique, l’accès des pauvres aux ressources et la paix.
Il est certain qu’au rythme où se dégrade l’environnement de la planète, l’avenir de l’humanité peut paraître plus gravement mis en danger par le réchauffement climatique que par les risques classiques mis en avant comme le terrorisme ou la prolifération des armes de destruction massive. Cela fait déjà quelque temps que des experts stratégiques intègrent dans leurs préoccupations et leurs raisonnements la préservation de l’environnement. Ce lien paix-environnement est vrai d’un point de vue global, il l’est également d’un point de vue local.
Dans certaines régions d’Afrique, la sécheresse est un facteur de déclenchement ou d’aggravation des conflits, par l’exacerbation de la lutte pour des ressources devenues plus rares.
Selon un récent rapport de l’Onu, la dégradation des terres et la désertification du Darfour au Soudan ont été parmi les causes du démarrage du conflit qui ensanglante aujourd’hui la région.
En cas de montée des eaux, les habitants du delta du Nil ou de celui du Bangladesh ne resteraient pas inertes. Mais où pourront-ils se réfugier sans aggraver les tensions géopolitiques déjà fortes? Quelle pourrait être la conséquence, par exemple, de la fonte des glaciers de l’Himalaya dont l’apport en eau est vital pour l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh? On le voit, les exemples d’interaction entre protection de l’environnement et protection de la paix sont nombreux.
· Savoir parler au grand public
Mais le prix Nobel n’a pas été attribué uniquement aux groupes d’experts internationaux, ce qui aurait été jugé plus «neutre» politiquement. Il l’a été également –et peut-on dire avant tout– à Al Gore. Celui-ci n’est pas seulement le producteur du documentaire «Une vérité qui dérange», qui sensibilisa le grand public à la cause de la lutte contre le réchauffement climatique. Il est difficile d’oublier qu’Al Gore fut aussi le candidat battu de justesse, voire frauduleusement, par George W. Bush aux élections 2000. Il est devenu l’un des plus farouches opposants au président américain. Contrairement à de nombreux démocrates, il a désapprouvé la guerre d’Irak dès le départ. Par ailleurs, la politique américaine refusant de signer le Protocole de Kyoto pour la préservation de l’environnement est mise en cause par l’attribution du prix. Bref, Al Gore c’est, sur à peu près tous les points, l’anti-Bush.
Ce n’est pas la première fois que le prix Nobel récompense un homme ou une institution qui s’oppose à l’actuel locataire de la Maison Blanche. L’attribution en 2002 à Jimmy Carter, l’ancien président américain qui, lui aussi, s’opposait vigoureusement à son lointain successeur, était un signal équivalent. Il faut également avoir en mémoire les deux prix remis conjointement à l’Onu et Kofi Annan en 2001 et à Mohamed El Baradei et l’A.E.I.A. en 2005, récompensant un multilatéralisme peu en vogue à Washington dans le premier cas, et ceux qui avaient mis en doute les accusations de possession d’armes de destruction massive de l’Irak qui avait été la justification de la guerre dans le deuxièmement cas.
Que fera Al Gore?
Al Gore va-t-il, à 59 ans, se contenter de rester le prophète de la lutte contre le réchauffement climatique ou va-t-il replonger dans l’arène politique pour être le candidat démocrate en 2008 et prendre, huit ans après, sa revanche? Comment va-t-il exercer l’influence et l’aura supplémentaires obtenues grâce à son prix Nobel?
D’ores et déjà sa voix pèsera plus lourd dans les primaires qui désigneront le candidat démocrate. Al Gore peut-il se contenter de jouer le double rôle d’éminence grise et de tribun très écouté par les décideurs et le public?
Il mènerait alors une vie à la fois agréable et confortable. Mais il peut aussi se dire qu’à son âge, il est encore temps d’agir directement. Il aurait alors pour tâche de reporter tous les dégâts réalisés depuis huit ans par George W. Bush dans la relation entre les Etats-Unis et le reste du monde. Lourde tâche, mais dont Al Gore semble plus capable qu’Hillary Clinton, actuelle favorite des sondages. Va-t-il affronter l’épouse de celui dont il fut huit ans le vice-président?
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