Depuis 25 ans, la mer a mangé 77% de la superficie de l'île de Kutubdia. L'île, dont il ne reste que 58km2, est appelée à disparaître. |
À l'invitation du secrétaire général de l'ONU, 70 chefs d'État se sont réunis à New York, lundi dernier, pour discuter de l'urgence de réduire les gaz à effet de serre. Au Bangladesh, l'impact du réchauffement de la planète se fait déjà sentir. Les habitants de l'île de Kutubdia sont les premiers de millions de réfugiés à venir...
Pour Yakub Ali, c'était la belle époque. Il habitait l'île de Kutubdia, au large du golfe du Bengale. Il cultivait une grande terre. Il était riche. la Nouvelle-Zélande
«Mais chaque année, la mer mangeait ma terre. J'ai dû déplacer ma maison sept fois», raconte-t-il.
Il y a cinq ans, durant la saison des pluies, la digue qui protégeait sa terre a cédé. Tout ce qu'il possédait a été inondé. Yakub Ali a donc déménagé sur le continent avec sa famille. Il blâme «les vagues».
Depuis 25 ans, la mer a grugé 77% de la superficie de l'île de Kutubdia. L'île, dont il ne reste que 58km2, est appelée à disparaître. Plus de 15 000 exilés habitent un village temporaire situé près de Cox's Bazar, capitale touristique du Bangladesh, où s'étend la plus longue plage du monde.
Aujourd'hui, Yakub Ali y fait fumer du poisson. Sans le savoir, il est l'un des premiers réfugiés climatiques du Bangladesh. D'ici à 2050, ils pourraient être 30 millions. Si la mer monte d'un mètre - le pire des scénarios envisagés par les experts -, le tiers du pays sera submergé.
Le chef du gouvernement, Fakhruddin Ahmed, a alerté la communauté internationale lors de la rencontre sur le réchauffement climatique qui a eu lieu lundi dernier à New York. «Aujourd'hui, nous faisons face à une difficile réalité qui veut que le changement climatique ne soit pas un mythe et que ses conséquences ne soient pas des conjectures», a-t-il déclaré.
Le Bangladesh est l'un des pays les plus densément peuplés au monde. Près de 150 millions de personnes s'entassent dans un territoire 10 fois plus petit que le Québec. Déjà, il y a des problèmes de surpopulation. Il suffit de se balader dans les rues de la capitale, Dacca, pour le constater. Les édifices s'élèvent en hauteur tandis que se multiplient les mendiants dans les rues.
«S'il y avait des millions de réfugiés climatiques, il pourrait y avoir une crise démographique», souligne Mamunul Khan, expert en environnement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au Bangladesh.
«Il y a 700km de côtes au Bangladesh. Plus de 35 millions de personnes habitent la zone côtière. Si le niveau de la mer monte, l'impact sera immédiat. Où vont aller tous ces gens? Au nord? Déjà, beaucoup de gens viennent à Dacca pour trouver un emploi», explique-t-il d'un ton inquiet.
«L'Australie et
Les Bangladais seront les premières victimes du réchauffement de la planète. Pourtant, ils y contribuent très peu. Ils ne conduisent pas de gros VUS. Ils ne sont pas de grands consommateurs. Un Américain produit en moyenne 20 tonnes de gaz carbonique par année. Un Bangladais, 0,02 tonne. «C'est ironique», lance sèchement M. Khan.
Il tourne son regard vers la fenêtre de son bureau, qui surplombe Dacca. «Regardez tous ces gens qui dorment dans les rues...»
M. Khan nous réfère aux travaux du professeur Atiq Rahman. Le fondateur du Bangladesh Centre for Advanced Studies (BCAS) a fait plusieurs études sur l'impact socio-économique des changements climatiques. M. Rahman préconise que chaque pays accueille un quota de réfugiés en fonction de sa production de gaz à effet de serre. Il propose même de revoir la définition du statut de réfugié dans la convention de Genève.
«La mer est la mer»
«La plupart des Bangladais pensent que le réchauffement de la planète est naturel, que c'est la décision de Dieu», souligne Aminul Islam, qui travaille aussi pour le PNUD au Bangladesh.
Plus de 85% des Bangladais sont musulmans. Beaucoup d'entre eux sont pauvres et illettrés. Ils s'en remettent aux forces divines même quand vient le temps d'expliquer les catastrophes naturelles. Et s'il y a un pays dont l'histoire est marquée par des inondations et des cyclones meurtriers, c'est bien le Bangladesh.
«La mer est la mer. Tu ne peux la blâmer», lance Abdul Kaled, qui habite aussi dans le village de réfugiés de l'île de Kutubdia, près de Cox's Bazar. De plus en plus, nous avons peur de l'océan. Quand des enfants partent pêcher et que je vois un gros nuage gris, je prie pour qu'ils reviennent.»
Fatima Begum est la doyenne du village. Elle a entre 80 et 90 ans - elle ne connaît pas sa date de naissance. Quand elle parle de l'île qu'elle a quittée avec grand regret, elle ne peut s'empêcher de pleurer. «Mon sang brûle et mon coeur pleure quand je parle de cette île», confie-t-elle, couvrant son visage avec son sari taché de sang.
«Quand j'étais petite, l'île était grande, l'île était belle. Nous étions en paix, nous avions une grande terre et nous étions riches. Aujourd'hui, c'est difficile de trouver de la nourriture. Pourquoi?
- Justement, pourquoi?
-Seul Dieu le sait. Qui suis-je pour deviner?»
La vieille femme ne sait pas ce qu'est le réchauffement climatique. Mais elle est lucide. Elle sait que la mer monte. «Chaque jour, l'île disparaît peu à peu. Les pêcheurs lancent leurs filets là où était leur maison autrefois», dit-elle.
Pas besoin d'être un expert en sinistres pour prédire que le village d'exilés partira au vent à la moindre tempête. Les maisons - si on peut les appeler ainsi - sont des abris de paille.
Il fait chaud et humide. Le soleil est à peine supportable. Sous son chapeau et ses lunettes dorées, Hazi Amir Hossan sue à grosses gouttes. Le président du comité de parents montre fièrement la nouvelle école du village.
M. Hossan a quitté l'île de Kutubdia en 1991, après le cyclone dévastateur qui a tué 130 000 Bangladais, dont 19 membres de sa famille.
«J'ai été propulsé par le vent et je me suis accroché à un cocotier, raconte-t-il. Trois heures plus tard, je suis descendu. Il y avait des morts partout. Parmi les corps, j'ai vu ma femme et deux de mes filles. Elles étaient en vie. Mais mes trois autres filles étaient mortes.»
Les experts ne s'entendent pas sur la question de savoir si le réchauffement climatique augmentera la force des cyclones. Mais l'intensification des moussons est l'une des conséquences appréhendées. Cette année, les inondations ont été particulièrement fortes en Asie du Sud-Est. Rien qu'au Bangladesh, 1000 personnes sont mortes et 2,5 millions ont été déplacées. En août, plus de 40% du pays a été submergé.
Au début de la mousson, des pluies torrentielles se sont abattues sur la ville portuaire de Chittagong, causant un glissement de terrain qui a fait 125 morts. En 24 heures, il est tombé presque 27cm de pluie. «C'est un record! Déjà, on voit que les pluies sont plus irrégulières et plus intenses», signale Mamunul Khan, du PNUD au Bangladesh.
D'après des responsables de l'ONU, les intempéries des derniers mois sont un avant-goût des conséquences du réchauffement climatique.
Yakub Ali aura encore plus de raisons de blâmer les vagues.