Longtemps dernière de la classe européenne, loin derrière l'Allemagne et l'Espagne, la France rattrape son retard dans l'éolien. Les industriels de l'énergie font preuve d'un intérêt de plus en plus marqué pour le secteur. Au risque de faire exploser la valorisation des sociétés spécialisées dans le développement et l'exploitation des fermes du vent. L'offshore recèle encore de belles opportunités.
L'évolution du parc éolien en France |
Our s'en convaincre, il suffit de s'attarder sur les paysages de Beauce, de Bretagne, de Picardie ou du Grand Sud : l'éolien est en passe de faire sa place au soleil. Et ce n'est qu'un début ! Selon Jean-Michel Germa, PDG de la Compagnie du Vent et vice-président du Syndicat de l'énergie renouvelable (SER), " d'ici dix à quinze ans, les opérateurs exploiteront sur le territoire français près de 8.000 éoliennes soit environ l'équivalent de 25.000 MWh ". La progression s'annonce spectaculaire. À la fin du premier semestre 2007, on ne comptait que 300 mâts érigés, pour une puissance de 2.000 MWh. Ce qui correspond à la consommation annuelle d'électricité d'une agglomération de 2 millions d'habitants, hors chauffage et industrie.
TOLERE A LA MARGE
Le retard hexagonal plonge ses racines dans l'histoire industrielle française. Dans un pays où le développement du nucléaire a permis une certaine indépendance énergétique, l'éolien n'a longtemps été toléré qu'à la marge. Ses détracteurs l'assimilaient à une lubie folklorique pratiquée par de dangereux illuminés. Mais le vent a tourné. Le dérèglement climatique a bouleversé les conservatismes. Bon gré, mal gré, les producteurs d'énergie " carbonée " et les tenants du nucléaire ont été contraints d'accepter les arguments de ces pionniers. Ce qui devrait permettre à la France de faire face à ses obligations en matière de production d'énergie renouvelable.
La directive européenne du 9 mars 2007 oblige les pouvoirs publics à pousser les feux : 20 % de la production annuelle d'énergie devra être réalisée à partir de sources d'énergie renouvelables d'ici à 2020. " Aujourd'hui, nous en sommes tout juste à 10 % et la marge de manoeuvre se situe incontestablement dans l'éolien ", assure Jérôme Billerey, le PDG d'Aerowatt, un développeur de " fermes " éoliennes, qui prévoit de réaliser un chiffre d'affaires de 7 millions d'euros en 2007 contre 4,5 millions en 2006. L'hydraulique est au " taquet ", résume Jérôme Billerey, et " le photovoltaïque et la biomasse ne sont pas encore passés à un stade industriel en dépit de progrès évidents ". À partie de 2030, prophétise Jean-Michel Germa, " l'éolien représentera probablement environ 14 % de la consommation énergétique française... contre 1,2 % aujourd'hui ". Les contrats préférentiels de rachat de l'électricité éolienne, garantis par EDF sur une durée de quinze ans, aident à ce que les exploitants se sentent pousser des ailes. " Le tarif proposé (8,2 centimes le kWh) se situe dans la fourchette basse en Europe, tempère Jean-Michel Germa. Mais le dispositif permet toutefois de rendre plus rentables les sites où les conditions de vent sont un peu moins favorables. "
DES DEBOUCHES STABLES
Ces contrats d'achats comportent des modulations en fonction de la vitesse du vent. " Ils donnent de la visibilité à nos projets. Quelle autre activité peut se prévaloir d'une telle sécurité et d'une telle stabilité dans ses débouchés commerciaux ? " souligne David Corchia, le PDG d'EDF Énergies Nouvelles, la filiale énergies renouvelables de l'électricien national. " On peut dater de l'entrée en vigueur de ces contrats la véritable naissance de l'éolien français ", assure Jérôme Billerey.
Un autre verrou a sauté : celui que représentait la gestion administrative vétilleuse des autorisations d'implantation. Certes, il faut toujours dialoguer avec plus d'une vingtaine d'interlocuteurs dans les différentes administrations, de l'Équipement à l'Agriculture, en passant par la Direction générale de l'aviation civile et les autorités sanitaires. Toutefois, " la création des zones de développement éolien (ZDE) nous facilite grandement la tâche ", admet Jean-François Rosado, le PDG de la Société française d'éoliennes.
Les ZDE, installées en juillet dernier, permettent, à l'initiative des communes et sous le contrôle du préfet, de créer des périmètres territoriaux éligibles aux contrats d'achat garantis par EDF. Les permis de construire sont délivrés après consultation de la population et la réalisation d'études d'impact. Les délais moyens de réalisation des projets ne devraient guère s'améliorer - entre dix-huit mois et deux ans -, mais ces ZDE " vont donner un cadre juridiquement plus stable à nos déploiements ", note Jean-François Rosado.
Cette nouvelle donne grise les opérateurs et attire les investisseurs qui accordent désormais la plus grande attention aux entreprises du secteur. En France, si l'on excepte la société Vergnet, récemment introduite en Bourse et qui est spécialisée dans la production d'éoliennes de moyenne puissance rabattables, destinées aux zones cycloniques, il n'existe pas de véritable filière industrielle. Une ribambelle de bureaux d'études, de sociétés d'ingénierie et de filiales de grands groupes ont, toutefois, survécu aux temps héroïques. Ils tiennent le marché du développement et de l'exploitation des parcs éoliens. Ces entreprises de taille moyenne affichent déjà, pour certaines d'entre elles, des comptes de résultat encourageants. Elles sont plus que jamais courtisées. La pression monte... Les valorisations de ces pépites de l'éolien aussi.
" Les investisseurs ont pris conscience qu'une fenêtre stratégique s'ouvrait ", confirme Olivier Dupont, président du directoire du fonds de capital-développement Demeter Partners, spécialisé dans les éco-industries, présent au capital d'Aerowatt et de Vergnet. " Il faut toutefois prendre conscience que ces investissements, sur un marché aujourd'hui très spéculatif, revêtent une part de risque souvent sous-estimée. "
RETARDS DE LIVRAISON
La valeur de ces sociétés est directement corrélée avec le portefeuille de permis de construire en cours d'instruction qu'elles détiennent... et qu'elles tendent naturellement à " gonfler ". " Ces entreprises maîtrisent un savoir-faire complexe mais elles entretiennent pas mal d'intox sur leurs capacités en MWh installées et sur leurs projets en développement ", explique Olivier Dupont. Des projets qui restent soumis à de multiples aléas : régularité et vitesse moyenne du vent, acquisition du foncier, problèmes de raccordement au réseau. Il faut aussi compter avec les retards fréquents de livraison des turbines. Les capacités de production des équipementiers tournent à plein régime... Enfin, les défenseurs de l'environnement et du paysage se mobilisent de plus en plus fréquemment contre les projets éoliens, comme en témoigne l'activisme de l'association Vent de colère. Les meilleures prévisions de rentabilité peuvent être déjouées par l'imprévu. " La grandeur moyenne des investissements se situe entre 1,3 million et 1,5 million d'euros par MWh pour un taux de retour qui varie entre 8 % et 10 % ", précise Jean-François Rosado.
Les émules d'Éole ne vivent pas de l'air du temps. " Les projets sont gourmands en études préalables et mobilisent beaucoup de cash avant les premiers tours de pale. Ils ne génèrent donc pas immédiatement de chiffre d'affaires. Dans l'intervalle, il faut tenir ", prévient Jérôme Billerey. Les investisseurs peuvent se rabattre sur le rachat de fermes déjà exploitées qui sont fréquemment mises sur le marché par les développeurs et les exploitants... à prix d'or.
Les sociétés de capital-développement et les private equities ne sont pas aujourd'hui les mieux placés pour emporter la mise de l'éolien français. " Le marché va connaître une intense phase de consolidation, prédit Jean-Michel Germa. Elle sera essentiellement menée par les industriels de l'énergie. " Depuis plusieurs semaines, ces derniers sont aux avant-postes. Après avoir raté l'acquisition de Bonus, puis de l'allemand REpower que lui a soufflé Suzlon, Areva vient de racheter un autre opérateur allemand de l'éolien, la société Multibrid, grand spécialiste de l'offshore (éolien maritime). Poweo, le fournisseur privé d'électricité, a acquis en fin d'année des fermes éoliennes auprès de Perfect Wind et s'est invité au capital de la Rose des Vents Lorrains. Poweo a d'ailleurs prévu de se doter d'une capacité de production d'énergie renouvelable de 600 MWh à l'horizon 2012. Alstom, qui a racheté l'espagnol Ecotècnia, affiche aussi de solides ambitions.
PRETS A TOUS LES SACRIFICES
Dans ce contexte, le marché de l'éolien français bruit aujourd'hui de toutes les rumeurs. Et les industriels, pressés de se conformer à leurs obligations en matière d'énergie durable, sont prêts à tous les sacrifices. " Les projets d'acquisitions des énergéticiens donnent lieu à des valorisations qui n'ont pas grand-chose à voir avec la valeur actuarielle des sociétés-cibles ", regrette ainsi Roland Derrien, le gestionnaire d'un fonds spécialisé au Crédit Agricole Private Equity.
Si le ticket d'entrée du marché français de l'éolien installé reste aujourd'hui très élevé, des opportunités semblent toutefois offertes aux investisseurs pour des projets d'investissement offshore. Il n'existe aujourd'hui aucune capacité installée dans les eaux territoriales françaises si l'on excepte le projet d'implantation de 141 machines menée par la Compagnie du Vent aux larges des côtes normandes (environ 700 MWh). Selon le SER, la puissance installée en mer en 2015 pourrait avoisiner les 4.000 MWh. L'opportunité est à saisir avant que la fameuse fenêtre stratégique ne se referme.
Un marché mondial en très forte progression
Le marché mondial de l'énergie éolienne progresse plus fortement que toute autre source d'énergie renouvelable. En 2006, les capacités de production ont ainsi crû de 32 %, soit l'équivalent d'environ 15.200 MWh supplémentaires représentant 15 milliards d'euros d'investissement. L'Allemagne reste le champion de l'énergie éolienne, avec plus de 20.000 MWh, suivie de l'Espagne (plus de 10.000 MWh), des États-Unis, de l'Inde et du Danemark. Les Danois parviennent même à faire presque jeu égal avec les combustibles traditionnels. Dans cet archipel de 5,4 millions d'habitants, l'énergie éolienne assure désormais un cinquième de la production électrique du pays. En Espagne, la part de l'éolien est de 8 %, mais elle devrait atteindre 15 % d'ici à la fin de la décennie.
JÉRÔME CHASNIER