Compte-rendu subjectif du Colloque du 5 octobre 2007 au Cadran à Évreux par Robin Branchu pour http://www.passerelleco.info http://www.passerelleco.info/breve.php3?id_breve=187
d’une part, par le basculement de l’éternel développement durable à la lutte contre le réchauffement climatique, notion beaucoup moins ambiguë ;
d’autre part, par le passage de l’omniprésent appel à la responsabilité individuelle – les comportements éco-citoyens tels que ramasser ses papiers, trier ses déchets, faire du co-voiturage, à l’échelle collective et territoriale où les leviers d’action sont incomparablement plus importants.
Peut-être allait-on, enfin, déboucher sur quelque efficacité écologique ?
Hélas ! Trois ateliers déclinaient ce colloque, le réduisant du même coup :
Atelier 1 : « Quelles énergies renouvelables pour aujourd’hui ? »
Atelier 2 : « Comment maîtriser l’énergie dans les bâtiments et le logement ? »
Atelier 3 : « Comment intégrer les énergies dans les politiques d’aménagement du territoire ? »
Or, les chiffres de l’ADEME de mai 2005 répartissaient les secteurs émetteurs de CO² comme suit :
déplacements 28%,
industrie et l’agriculture 24%,
chauffage des logements 18%,
transport des marchandises 17%,
chauffage et électricité au travail 9%,
eau chaude et électricité 4%.
Aucun des trois thèmes n’abordait le problème de réchauffement climatique de front, et pour tout dire on passait à côté de l’essentiel.
L’angle d’attaque était celui des « bonnes pratiques » locales, occasion de se faire mousser, sans même se rendre compte ni avouer clairement que 69% du sujet n’était pas traité ! (28 + 24 + 17)
Lors du débat de clôture, il se trouve qu’Yves Cochet avoue qu’à propos du tout voiture, « on ne peut pas changer du jour au lendemain », sans aller plus loin dans sa réflexion.
Profitant de cette aubaine pour mettre les pieds dans le plat (après tout c’est moins culpabilisant pour tout le monde que ce soit Yves Cochet soi-même qui se fasse interpeller sur cette épineuse question plutôt que quelqu’un d’autre), j’attrape le micro et j’embraye sur l’adage « dis-moi à quelles sources tu t’informes et je te dirai qui tu es » en me référant au journal La Décroissance. Ne sachant pas combien de temps je parviendrais à conserver le micro, je voulais commencer par l’essentiel : mes sources d’information, que chacun pouvait se procurer en kiosque.
Yves Cochet répond en substance que la décroissance est inévitable d’ici quelques mois ou quelques années en raison de l’explosion à venir du prix du pétrole et qu’il vaut mieux s’y préparer, tout en remettant une louche sur la propagande pour le journal du même nom. Merci Yves : La Décroissance c’est ma piqûre de rappel mensuelle sans laquelle j’aurais, peut-être, baissé les bras comme tant d’autres.
Objectif atteint en quelque sorte.
Pendant que je terminais mon intervention sur l’indispensable rôle des collectivités territoriales pour engager une relocalisation de l’économie et pour relancer des filières artisanales, peu émettrices de gaz à effet de serre (GES), l’animateur gesticulait dans tous les sens comme pour dire : « il interpelle mon invité d’honneur en public, je ne peux pas laisser passer ça, au secours, de l’air, je me noie, il faut coûte que coûte donner la parole à Yves Cochet pour qu’il puisse répondre et du même coup couper la parole à ce blanc bec ! »
Bertrand Tierce, merci ! Tu m’as appris quelque chose. La prochaine fois je tâcherai de dire dans le micro : « je ne sais pas ce qui arrive à Bertrand à gesticuler comme ça, si vous pouviez arrêter, ça me perturbe pendant que je parle, ça crée une pollution visuelle, c’est très désagréable et même incorrect pour moi autant que pour le public, si vous pouviez vous calmer Monsieur l’animateur, merci. »
Pierre Radane (ancien directeur de l’ADEME nationale, commission transports chez les Verts), était également à la tribune et Yves Cochet avait bien dit qu’ils n’étaient pas d’accord sur tous les sujets, sans préciser lesquels. Par ailleurs Pierre Radane affiche son hostilité pour la publicité. Du coup aux petits fours je m’en vais le trouver pour lui parler de Sao Paulo, 11 millions d’habitants, qui vient d’interdire et d’enlever dans toute la ville l’affichage publicitaire comme la première des sources de pollution, mère de toutes les autres, mais je m’y prends mal : j’annonce mes références (La Décroissance) avant le contenu, et là il me coupe brutalement : « la décroissance c’est une connerie »… Effectivement, pour réagir de la sorte un quart d’heure après avoir entendu Yves Cochet sans broncher, ils ne sont pas d’accord sur tous les points…
Quelques pistes non évoquées : des deux principaux obstacles mentaux à un engagement collectif dans une réduction radicale des émissions de CO², j’en ai déjà cité un : les sources d’information.
Le second est ce qu’on pourrait appeler « le raisonnement par procuration », et en l’occurrence la résignation par procuration : la décroissance « personne n’y est prêt », tu n’arriveras jamais à convaincre « les gens » : nous parlons, nous raisonnons « au nom des autres » comme chantait Jehan Jonas, à tel point que nous n’avons plus de pensée individuelle propre. Et tout le monde pensant « au nom des autres », les autres eux-mêmes raisonnant au nom des autres, le serpent de la non-liberté de penser se mord la queue.
Notre représentation du monde souffre non seulement du progrès technologique omniprésent et tête baissée, mais plus encore de ce qu’on pourrait appeler « le manichéisme de la pensée linéaire » qui ne sait pas faire autrement qu’aller de l’avant même si c’est une fuite en avant. C’est une amnésie moderne étrangère à toutes les sociétés traditionnelles : de la difficulté à se rappeler à la pensée circulaire, cyclique. Affirmer l’évidence selon laquelle l’homme a vécu des millénaires sans émission excessive de GES, et ceci jusqu’à 1850 environ en France (la révolution industrielle et du charbon), ça dérange. Ça active immanquablement la zone du cerveau « retour en arrière ». Et pourtant ! Si l’on y ajoute sur-abondance alimentaire (ce qui était le cas de nombre de sociétés traditionnelles, voir Bernard Maris « Antimanuel d’économie », Tome 2, chapitre 13), mutualisation des connaissances botaniques (voir Kokopelli), hygiène, habitat à énergie positive, conscience d’une mondialisation harmonieuse et non belliqueuse, culture, ne pourrions-nous pas parler plutôt d’un retour en avant ?
Bien. Donc une collectivité territoriale se lance non pas dans le « tout technologique » mais dans une relocalisation artisanale progressive, ciblée, maîtrisée, décidée sous forme participative. Par quoi commence-t-elle ? Tout est possible, à commencer par des jardins partagés jusqu’à plus faim, (réinsertion, insertion, éducation, indépendance alimentaire locale, solidarité et entraide, intergénérationnel) mais je vous propose un Symbole avec un grand C : la Chicorée.
On tord le nez au café, symbole de l’exploitation du tiers-monde et des transports aériens réunis, et on retrouve une habitude qu’avaient encore nos grand-mères voici quelques décennies quand un paquet de chicorée soluble trônait dans les placards de chaque cuisine. Et la chicorée locale est biologique, et la petite entreprise est mise sur pied en partenariat avec Favrichou. Et bientôt une maille rongée emporta tout l’ouvrage.