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La vraie menace écologique se situe ailleurs, dans le recours au pétrole des sables bitumineux et à l'essence synthétique dérivée du charbon. | ||
Pierre Veya Mercredi 10 octobre 2007 |
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«L'utilisation d'un carburant tiré des plantes pour les moteurs peut sembler insignifiante aujourd'hui, mais comprenez qu'une telle essence deviendra avec le temps aussi importante que le pétrole ou les produits issus de la houille»1. La prophétie est ancienne. Celui qui s'exprimait ainsi n'est autre que le célèbre inventeur Rudolf Diesel, le père du moteur qui porte son nom. C'était en 1912. Comme Henry Ford, l'ingénieur allemand misait déjà, au motif de la sécurité d'approvisionnement, sur les biocarburants. Son premier moteur diesel, présenté à l'Exposition universelle de Paris (1900), pétaradait à l'huile d'arachide. La concurrence du paysan-pompiste Un siècle plus tard, la vision des pionniers se réalise. Le raz-de-marée de l'essence verte est en cours: leur part double chaque année et, d'ici 2010 à 2020, les carburants issus des végétaux représenteront entre 10 et 20% de toute l'essence consommée en Europe et aux Etats-Unis. Selon la firme Clean Tech, le marché global des biocarburants frôlera les 90 milliards de dollars en 2016 contre 18 milliards en 2006. Quelques faits en vrac: le Brésil du président Lula s'imagine déjà à la tête d'une nouvelle Arabie saoudite de l'or vert; les firmes automobiles s'achètent des pages entières dans les journaux pour vanter les vertus de leurs voitures qui carburent à l'essence dite «bio»; les paysans et en particulier les céréaliers se ruent par milliers et avec leurs hectares sous la charrue pour produire colza, betteraves, maïs et même blé pour alimenter les centaines de distilleries et raffineries qui se construisent chaque année dans le monde; les compagnies pétrolières s'inquiètent de la soudaine concurrence du paysan-pompiste; l'OPEP, le tout-puissant cartel de l'or noir, révise à la baisse ses objectifs pour «tenir compte» de la production «significative» des biocarburants; les prix alimentaires s'affolent, le prix du blé et celui du maïs ont doublé; le prix mondial du sucre s'aligne désormais sur celui du pétrole. Depuis quelques mois, le climat euphorique a toutefois changé: la bulle, comparable à celle qui a nourri Internet, va exploser d'ici peu, avertissent les banques d'affaires. Trop d'essence verte, trop peu de voitures équipées, des cours de matières premières surfaits... La deuxième crise de l'essence verte a commencé. Huile de jatropha Mais pour l'heure, c'est d'un procès dont il est question. A raison, la communauté scientifique a mis en garde les 41 Etats qui ont décidé de se lancer dans la production massive de biocarburants. Que disent-ils? L'essence (éthanol) ou le diesel (huile) produits à partir des végétaux destinés à l'alimentation humaine ou animale présentent un bilan écologique négatif ou à peine positif2. Les biocarburants issus de distilleries alimentées au charbon dégagent davantage de gaz à effet de serre et utilisent davantage d'énergie que le même litre d'essence issu du pétrole. Le bilan est positif si la même distillerie est connectée au réseau de gaz, nettement positif si le litre d'essence est produit à partir de la canne à sucre ou si le litre de diesel a comme origine l'huile de jatropha ou le sucre du miscanthus géant (herbe à éléphant) qui poussent sans engrais minéraux. Aux critiques sur l'apport réel des biocarburants au bilan énergétique s'ajoutent les menaces que leur développement fait peser sur les écosystèmes. L'Indonésie rase ses forêts pour exploiter ses palmeraies (huile de palme), les paysans brésiliens abandonnent les cultures vivrières pour planter de la canne à sucre et cultivent du soja aux frontières de l'Amazonie. Comble de l'absurde, le nouvel eldorado des agrocarburants alimenterait la hausse des prix des produits agricoles, hausse qui intervient après plus de vingt années de stagnation. Peu importe si les mauvaises récoltes en Australie ou en Ukraine sont la cause véritable de l'agroinflation qui a saisi le monde, les biocarburants sont les coupables. Alors même que l'impact réel des biocarburants sur le prix des denrées alimentaires est «encore négligeable. D'ailleurs, après une bonne récolte, les prix du maïs sont repartis à la baisse aux Etats-Unis. En période de prix bas, les biocarburants pourront servir de filet de sécurité pour les agriculteurs. Mais dès qu'ils remontent, la filière alimentaire devient prioritaire [...]», explique Philippe Chalmin, professeur à l'Université de Paris Dauphine, qui fait autorité dans le monde des matières premières, selon le magazine Bilan. Mais rien n'y fait: aux réserves des scientifiques, aux craintes des écologistes s'agrègent les critiques très officielles de la Banque mondiale et de l'OCDE. Biocarburants de seconde génération La menace que font peser les biocarburants sur les écosystèmes et l'alimentation en général existe mais elle doit être relativisée. Dès que les prix agricoles repartent à la hausse, il devient plus rentable pour les paysans de se concentrer sur les cultures vivrières. Et surtout, les biocarburants de première génération vont être remplacés par ceux dits de seconde génération, provenant des déchets (paille, petit lait, bois, etc.) ou de plantes dont la culture n'entre pas en compétition avec les terres arables. Une étude américaine a même démontré que les plantes sauvages qui poussent dans les terrains vagues ou des sites pollués pourraient, en raison de leur forte teneur en sucre, représenter une filière prometteuse. Les plantes sauvages permettraient non seulement de produire de l'énergie mais de retirer de l'atmosphère du C02, car leur coupe régulière augmenterait l'effet de séquestration du gaz carbonique. Certes, la nouvelle vague des biocarburants balbutie encore mais la phase de pré-industrialisation a bien commencé. Les chercheurs tentent d'améliorer l'efficacité des processus de fermentation et d'extraction des sucres. Pour cela, les sociétés de biotechnologies utilisent des microbes manipulés qui ont la capacité de briser l'extraordinaire résistance des murs cellulaires de la plante. Concrètement, on tente de reproduire en mieux le processus de digestion de l'estomac des termites qui dégrade si efficacement la cellulose. Les plus grands noms de l'industrie du capital risque se sont lancés dans cette aventure. Ils ont pour parrain Bill Gates, Richard Branson et même les fondateurs de Google. Le Lawrence Berkeley National Laboratory a reçu en mai 2007 un don de... 500 millions de dollars de BP pour son projet Helios dont l'objectif est d'ouvrir une voie «rapide et raisonnable» en vue «d'une substitution de l'énergie fossile par le soleil et les plantes», selon son inspirateur, le Prix Nobel de physique Steve Chu. Scénario contrarié La «chimie verte» a devant elle une très longue route. Aussi, afin d'apaiser les craintes sur les biocarburants, des centres de recherche aux Etats-Unis mais également en Europe (EPFL) ont mis sur pied des labels qui permettront de vérifier le bilan écologique des carburants verts. C'est vers 2015 que l'essence tirée des déchets devrait faire son apparition, au moment où s'amorcera le déclin des premiers agrocarburants. Ce scénario est cependant d'ores et déjà contrarié. Car l'industrie pétrolière voit d'un très mauvais œil la montée en puissance de la bioénergie. Selon Business Week (octobre 2007), la pétrochimie finance les campagnes de déstabilisation des biocarburants, notamment au travers d'études partiales et très orientées. Selon le même magazine, les pétroliers font tout pour ralentir l'installation des pompes proposant le fameux mélange E85 (85% éthanol), au grand dam des constructeurs automobiles qui dénoncent ouvertement ce qu'ils assimilent à un coup bas. Mais c'est peut-être l'arbre qui cache la forêt: les «nouveaux» pétroles. Un baril à plus de 70 dollars favorise l'exploitation très polluante des sables bitumineux de l'Alberta (Canada) et encourage la gazéification du charbon ou la liquéfaction du gaz pour produire de la benzine ou du diesel synthétique. C'est le procès de ces procédés qu'il faudrait instruire de toute urgence. 1Cité par Ron Pernick et Clint Wilder dans «The Clean Tech Revolution», Collins. 2«Science», Vol 311, 27 janvier 2006. |