Gap savait-il ce qui se passait chez son sous-traitant indien ? La marque américaine affirme évidemment que non. Et sans chercher à la dédouaner, on peut penser qu’elle dit vrai. Les enfants esclaves découverts par l’enquête de l’hebdomadaire britannique The Observer travaillaient en effet dans l’atelier d’un sous-traitant, dont le leader du vêtement en Amérique ne connaissait peut-être même pas l’existence.
«Des mains fines». L’explication est pourtant simple : le fournisseur chargé de cette commande destinée à Gap Kids avait lui-même sous-traité une partie de la production dans un autre atelier. Un sweatshop invisible, donc, puisque les représentants de Gap ne visitent que les fournisseurs avec lesquels l’entreprise traite directement. «Le travail manuel est systématiquement sous-traité à l’extérieur des usines qui négocient directement avec le client, explique ainsi un agent textile chargé de suivre les productions indiennes de grosses marques occidentales. Ce travail demande beaucoup de place et de main-d’œuvre. C’est impossible de le faire dans l’usine.» Ce procédé est notamment utilisé pour tout ce qui touche aux broderies, soit la grande spécialité de l’industrie indienne du vêtement. Or, «pour les broderies, les enfants restent souvent la main-d’œuvre préférée des fournisseurs, car ils ont les mains fines et une meilleure vue», affirme un autre agent de cette branche, basée à New Delhi, toujours sous couvert d’anonymat.
Pourtant, le textile indien est censé être socialement responsable, du moins en ce qui concerne les usines qui travaillent pour l’export. Contrairement à de nombreux autres secteurs d’activités, le textile figurait en effet parmi les treize industries où le travail des enfants avait été strictement interdit par la loi, depuis 1986. Mais c’est surtout la multiplication des inspections et des codes de conduites imposés par les clients occidentaux, ces dernières années, qui ont poussé les fournisseurs indiens à se plier à la législation.
Au-delà des capacités. En très grande majorité, les infractions relevées lors des inspections ne concernent ainsi plus que les heures supplémentaires – excessives ou pas assez payées – et des problèmes mineurs d’hygiène, de sécurité, ou de formation. Mais le système des sous-traitants en cascade – utilisé pour les broderies mais aussi afin de parer au plus pressé parce que les fournisseurs acceptent parfois des commandes qui dépassent leurs capacités de production – a pour effet de retirer la transparence qu’ont apporté les audits sociaux. «Avec ce système, il est impossible de tout contrôler», avoue ainsi l’un des agents textile interrogés.
Correspondant à New Delhi de Liberation PIERRE PRAKASH
http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/288173.FR.php