Pour Mark Tercek, directeur du Centre pour les marchés de l'environnement chez Goldman Sachs, l'objectif est clair. "Notre objectif est d'être la meilleure banque d'affaires du monde, mais nous avons réalisé que se concentrer sur les problèmes environnementaux pouvait améliorer notre business.Nous suivons attentivement les évolutions du monde, une partie de notre stratégie est d'être en pointe dans ce domaine. Aussi, nous sommes tombés d'accord avec les environnementalistes : on peut faire quelque chose de bon pour l'environnement, de bon pour notre business et de bon pour la société."
"On peut faire quelque chose de bon pour l'environement, de bon pour notre business et de bon pour la société"
C'est la fièvre écologique. La folie du "green". Des banquiers aux élus, des patrons aux chefs d'Etat, des fondations aux instituts, tout le monde s'y met. Pour sauver le monde. Enfin, surtout pour ne pas rater la prochaine révolution et, comme pour le net, se positionner au mieux dans la compétition. Les transactions financières sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique ont atteint en 2006 le chiffre record de 100 milliards de dollars. Chez Goldman Sachs, l'histoire veut qu'en 2002, la banque ait été convaincue par des environnementalistes auxquels elle venait de confier la gestion d'un territoire vierge situé en Terre de Feu. Le poids de 82 millions d'actionnaires américains de plus en plus sensibles aux changements climatiques a plus sûrement joué. Tout comme la nécessité d'anticiper des réglementations plus restrictives.
Toujours est-il qu'en 2005, Goldman Sachs s'engage. Elle investit un milliard de dollars dans les énergies renouvelables, puis opère sur le tout nouveau marché européen des crédits carbone. La banque publie aussi un classement de ses clients les plus "responsables" et prône pour les autres des stratégies de développement "propre". Ses détracteurs dénoncent une opération de "com". Mais depuis, toutes les grandes banques ont suivi.
Alors, au printemps dernier, pas moins de 400 investisseurs se sont pressés chez Goldman Sachs pour y entendre les représentants d'ONG. "On leur a dit: voilà ce qui se passe avec le changement climatique. Voilà pourquoi les gens du business feraient bien d'y prêter attention, et pas seulement en tant que citoyens, mais parce qu'il y a là des risques et des opportunités", se félicite Marc Tercek. Et pour cause. "Le vert, c'est la tendance dominante", assure le consultant Andrew Shapiro, 39 ans. Avec son compère Nick Eisenberger, 37 ans, ils dirigent Green Order, un cabinet de conseil en stratégie environnementale, perché sur Lexington Avenue. Dans une ambiance de start-up, ces anciens avocats écolos, habillés à "la cool", s'attachent à remodeler l'activité de leurs clients. Pour qu'ils fassent de meilleurs produits à moindre coût et fidélisent ainsi leurs consommateurs. "On ne peut plus se contenter du "je suis vert, tu es vert, il est vert..." Il s'agit désormais de définir comment le développement durable peut être une source d'innovation", précise Shapiro. Sous son nez, l'écran d'ordinateur affiche la recette du succès : "Crédibilité, pertinence, efficacité, différenciation."
La chance a frappé à leur porte en 2004, quand la deuxième société de la planète, General Electric, a fait appel à eux pour créer son programme Ecomagination. Toute une offensive commerciale basée sur la défense de l'environnement. "Ils ne l'ont pas fait parce qu'ils ont bon coeur, mais parce qu'il y a une vraie opportunité commerciale", explique Shapiro. Pour bâtir les argumentaires, Green Order a notamment fait des calculs : l'installation d'ampoules fluorescentes au lieu des incandescentes dans les 80 usines du groupe évite la dispersion de 62.000 tonnes de CO2, l'équivalent de 12.000 voitures en moins sur les routes, et permet une économie de cinq millions de dollars.
Depuis 2006, le cabinet est ainsi passé de sept à vingt-cinq employés, et gère désormais des clients tels que Pfizer, Office Depot, General Motors, DuPont ou BP. Pourtant, Shapiro et Eisenberger restent prudents. Ils savent que leur société surfe sur le battage médiatique autour du "vert". "La prochaine phase du green business, ce sera du vrai poker. Avec une simple question : combien vous mettez sur la table pour suivre ?" Pour l'heure, les multinationales continuent à se payer des publicités entières pour vanter leur "responsabilité" écologique. Et, depuis septembre, la première chaîne de supermarché du monde, Wal Mart, exige le bilan carbone de ses fournisseurs pour faire oublier sa piteuse politique sociale.
Certes l'administration Bush traîne encore les pieds, mais nombre d'hommes politiques de la planète ont déjà pris le relais des sociétés. "Ce sont les gouvernements qui fixent les règles, le marché ne va pas réussir seul. On a besoin de lois", martelait ainsi Al Gore sur la scène de la Clinton Global Initiative. Ces leaders ont, eux aussi, saisi les risques et les opportunités du défi. Tel, à ses côtés, le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, qui surprend tout le monde en affirmant que l'Afrique peut devenir "le premier continent neutre en carbone". Un vrai paradis pour les énergies renouvelables, avec son soleil, ses vents, ses cultures et ses fleuves. Selon lui, une gestion judicieuse des seules ressources hydroélectriques de l'Ethiopie et du Congo fournirait assez d'électricité pour tout le continent.
"Alors qu'elle n'y a pas contribué, l'Afrique sera l'une des principales victimes du réchauffement climatique, expliquait Meles Zenawi au JDD. La seule façon de nous en sortir, c'est la voie du développement propre. Les technologies en sont la clé, mais elles sont trop chères, ceux qui les ont développées doivent les partager avec nous. Ainsi, nous ferons partie de la solution et non plus du problème. Il nous sera facile de nous engager à devenir un continent neutre en carbone puisque nous partons de zéro." Impressionné par la démonstration de Meles Zenawi, Bill Clinton en a fait le récit détaillé à Nicolas Sarkozy lors de sa visite à Paris au début du mois.
Aux Nations unies, le nouveau secrétaire général Ban Ki-moon s'est, lui aussi, emparé du sujet et dénonce le "manque de volonté politique" des Etats. Logique, son pays, la Corée du Sud, est en pointe. L'actuel protocole de Kyoto ne lui impose même pas de réduire ses émissions de CO2. Candidate à l'exposition internationale de 2012 sur le site de la ville de Yeosu, un port du sud de la péninsule, la Corée a choisi de construire son dossier sur une thématique porteuse : la préservation des océans, "qui représentent 70 % de la surface de la terre et abritent 90 % des organismes vivants".
"Jusqu'à maintenant il n'y a pas de modèle, mais dans un avenir proche, on pourra dégager des théories conciliant économie et écologie"
Pour assurer le succès de Yeosu en novembre prochain, face à ses rivales Tanger et Wroclaw, les Sud-Coréens mettent le paquet. En septembre, ils avaient ainsi convié un symposium à Séoul sur "le réchauffement climatique et les océans". Un représentant de Tuvalu est venu y dire sa crainte de voir son archipel du Pacifique submergé par la montée des eaux. Le Prix Nobel de la paix 2006, Mohammed Yunus, a, quant à lui, rappelé que pour son Bangladesh natal et ses 150 millions d'habitants, le sujet était "une question de vie ou de mort". 40 % des terres sont en effet à moins d'un mètre au-dessus du niveau de la mer.
"Avec l'expo de Yeosu, nous voulons faire clairement passer le message qu'après s'être plutôt concentrée sur la croissance, la Corée du Sud veut opérer une transition vers l'harmonisation du développement et la protection de l'environnement", confie le Premier ministre Han Duck-soo. De fait, le pays en est à son troisième plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre. A l'image des aciéries Posco qui, près du port de Gwangyang, étudient un nouveau système permettant encore de réduire les rejets de 20 à 30%.
Onzième puissance économique, la Corée sait parfaitement que la bataille de l'innovation se gagnera dans les cerveaux. Actuel envoyé spécial de l'ONU sur le changement climatique, l'ancien ministre et économiste Han Seung-soo explique : "Beaucoup de gens pensent que l'on peut concilier économie et écologie, améliorer l'environnement en favorisant la croissance. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas de modèle, mais, dans un avenir proche, on pourra dégager des théories. La Chine et l'Inde n'auront plus alors de raisons de s'y opposer." Il y travaille, intarissable sur le sujet, glosant devant le profane sur "l'optimum de Paretto" ou "la loi des rendements décroissants".
Le débat s'est déplacé. Plus personne, ou presque, ne conteste le réchauffement climatique.
*Cool it, Bjorn Lomborg, Knopf, 2007.
**Breakthrough,Ted Nordhaus et Michael Shellenberger, Houghton Mifflin Co, 2007.