Par Gumisai Mutume Afrique Renouveau, Organisation Des Nations Unies.
L'Onu préconise le renforcement de la police et des mesures anti-corruption pour combattre les réseaux criminels.
Les autorités de Guinée-Bissau ont saisi en avril (2007) 635 kilogrammes de cocaïne, estimés à 50 millions de dollars. Les trafiquants ont réussi à s'échapper avec le reste de la cargaison de 2,5 tonnes, car la police n'a pas pu les poursuivre. Le Directeur exécutif de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), Antonio Maria Costa, fait l'éloge de cette saisie mais déplore la faiblesse des forces de police locales. " Il est regrettable que le reste de la cargaison n'ait pas été intercepté, mais ce n'est guère surprenant car la police est très mal équipée et n'a souvent même pas assez d'essence pour ses véhicules. "
Le même mois, les médias ont noté qu'afin d'échapper au renforcement du dispositif policier au large des côtes européennes, les trafiquants de drogue, fournisseurs sud-américains, transporteurs africains et distributeurs européens, s'étaient établis le long du Golfe de Guinée. La Guinée-Bissau, encore en train de se relever d'une guerre civile, est particulièrement vulnérable. C'est l'un des 10 pays les plus pauvres du monde. Elle n'a pas de prisons sûres ni de patrouilles frontalières efficaces mais a par contre une position stratégique proche de l'Europe et une côte poreuse constituée d'un labyrinthe d'îles, un sanctuaire idéal.
Cible privilégiée
La Guinée-Bissau illustre les problèmes de nombreux pays africains appauvris. Selon l'Onudc, de 2000 à 2003, les autorités africaines n'ont réussi à saisir que 600 kilogrammes de cocaïne en moyenne par an, soit 0,2 % du montant estimé des drogues passées par la région dans la même période. L'Afrique n'a que 180 policiers par habitant alors que l'Asie en a 363. Faiblesse des forces de l'ordre, fonctionnaires sous-payés et frontières nationales poreuses font de ces pays un lieu idéal pour les organisations criminelles.
Les organisations criminelles transnationales se livrent aussi au trafic de diamants, de pétrole, d'ivoire, d'armes et même d'êtres humains. Ces activités étant illégales et menées discrètement, les experts notent qu'il est très difficile d'évaluer l'importance du crime organisé. "Mais les activités de renseignement concernant la criminalité internationale et les saisies de contrebande suggèrent qu'il se peut que l'Afrique soit devenue le continent le plus ciblé par le crime organisé", note l'Onudc dans son rapport de 2005 sur le crime et le développement en Afrique. "L'absence de contrôles officiels rend le continent vulnérable au blanchiment d'argent et à la corruption, activités vitales pour l'expansion de la criminalité organisée."
Entrave au développement
Les experts font remarquer que le crime organisé menace la sécurité des personnes et des biens, l'expansion de la démocratie et les droits de l'homme, et peut faire dérailler les programmes de développement. Réciproquement, un développement déséquilibré contribue à la criminalité et enclenche un cercle vicieux pauvreté-crime-pauvreté. La criminalité entraîne aussi la perte d'actifs et de ressources rares. Bien que peu de chiffres soient disponibles, la police sud-africaine a estimé en 1998 que le pays perdait plus de 3 milliards de dollars de revenus par an du fait des activités de divers groupes criminels.
"Les pertes de revenus provoquées par ces crimes posent un grave problème, car ces revenus sont perdus par les pays qui peuvent le moins se le permettre" explique M. Charles Goredema de l'Institut d'études sur la sécurité (Afrique du Sud). En Afrique australe, quand l'or et les diamants font l'objet de contrebande, ils échappent à la taxation et privent l'Etat de ressources pour financer des services essentiels.
La crainte provoquée par la criminalité peut dissuader les investisseurs potentiels. En dépit du fait que le rendement des investissements est très supérieur en Afrique comparé à d'autres régions du monde, la part des investissements étrangers directs en Afrique en 2003 se montait à 8,7 % à peine des 172 milliards de dollars reçus par tous les pays en développement. L'Onudc explique cette situation par la perception que l'Etat de droit prévaut rarement sur le continent.
Combattre le fléau
Pour combattre le crime organisé, les gouvernements peuvent renforcer les lois nationales afin de dissuader les organisations criminelles d'utiliser leurs pays comme points de transit. Avec l'aide de l'Onu, certains pays comme la Guinée-Bissau ont entrepris de réformer leurs services de sécurité. Mais M. Costa, Directeur exécutif de l'Onudc, affirme que la Guinée-Bissau a encore besoin du soutien des organismes internationaux de financement pour acheter équipements, véhicules et systèmes de communication pour sa police. "Si aucun soutien ne se manifeste, dit-il, j'ai bien peur que les policiers honnêtes se découragent. On ne doit pas laisser le pays devenir un narco-Etat."
M. Christophe Compaoré, Secrétaire permanent du Comité national de lutte contre la drogue du Burkina Faso prévient qu'à moins d'améliorer la coopération régionale, un itinéraire de transport de drogue se mettra bientôt en place dans l'Ouest et le Sud-ouest du pays. En avril, la police burkinabé a intercepté pour 10 millions de dollars de cocaïne à la frontière avec le Mali. En réponse au problème du crime organisé, les gouvernements d'Afrique de l'Ouest et du Centre se sont essentiellement contentés de mettre à jour les législations nationales afin de respecter les conventions et les protocoles de l'Onu.
Mais, remarque M. Antonio Mazzitelli du bureau régional d'Afrique de l'Ouest de l'Onudc, le soutien des organisations régionales est également nécessaire pour permettre à ces pays de combattre efficacement la dimension transfrontalière du crime organisé. Le Programme d'action de l'Union africaine préconisait une coopération technique et l'aide de bailleurs de fonds afin de réduire les obstacles que la criminalité et les drogues constituent pour la sécurité et le développement en Afrique, ainsi que la réforme de la justice pénale, des mesures contre le blanchiment d'argent, la corruption et le trafic de drogue. Cependant son efficacité a été entravée par l'insuffisance des ressources.
M. Wilfred Machage, ministre adjoint de la Santé du Kenya résume le défi qui se présente : pour faire des progrès dans la lutte contre ce fléau il faudra disposer d'un meilleur financement, mener un combat permanent contre les réseaux criminels et établir une collaboration entre les services de police régionaux et internationaux.