Cet article questionne les fondamentaux du développement durable. Il porte sur les acquis et échecs du concept. Pour Edwin Zaccaï, professeur responsable du Centre d'études du développement durable (ULB), le concept avait eu le mérite de réconcilier environnement et économie.
Info-durable (ID) : Brundtland en 1987. Vingt ans sans réelles avancées ?
Edwin Zaccaï (EZ) : Le DD s’attaque à des problèmes de société qui dépassent de loin le fait de mettre des acteurs autour de la table Comment est-ce que le concept du DD aurait-il pu les prendre en charge ? Une autre question est : « est-ce qu’un autre concept aurait pu faire mieux ? »
ID : Est-ce que le concept n’a pas manqué son rôle de système d’alarme ? Son signal a-t-il été entendu ?
EZ : Je pense qu’au contraire, nous avons souvent eu des déclarations grandioses. L’introduction du rapport Brundtland est par exemple un très beau texte où sont présentées des menaces importantes. Le DD a peut-être éveillé trop d’attentes, car il a dit qu’il fallait tourner la page, mais ni lui ni un autre concept ne pouvait réellement la tourner. Il y a un parallèle à faire avec le concept de « développement ». Si vous lisez les déclarations sur le développement dans les années 50-60, de grandes déclarations annoncent que nous allons partager la technologie et réduire les inégalités. Une des critiques du DD était d’ailleurs que ce concept voulait compenser les échecs du développement sans vrais changements institutionnels.
ID : Il y a tellement de DD, le concept peut-il être en permanence réinventé ?
EZ : C’est un concept qui a plusieurs niveaux : il est un symbole, ne serait-ce que d'un point de vue éthique. La définition de Brundtland est bien sur ce plan, on y souscrit comme on souscrit à des concepts tels la justice ou la démocratie. Et puis il y a le DD en tant que programme. Et là on fait référence aux plans de DD, internationaux, belge, européen. Le DD devient organisateur d’une action politique. Aujourd’hui, ces deux sens coexistent. Le deuxième est évidemment plus difficile à délimiter parce qu’il faudra voir avec le temps comment ces stratégies peuvent porter les fruits. Le DD peut-il s’inscrire au niveau de la notion organisatrice de la transformation politique ? Difficile à dire.
ID : Comment expliquer ce passage raté entre symbole et programme ?
EZ : Le cadre du DD est très large. A un moment donné, l’Europe avait une vision du DD limitée à l’intégration de l’environnement dans toutes les politiques. Il s’agissait là de programmes plus concrets. Puis l’Europe a élargi sa vision en demandant l’équilibre des trois piliers dans ses politiques, au nom du développement durable. Cela provoque des questions difficiles à résoudre : Qui juge de l’équilibre ? Qui est le garant de cet équilibre ? Le premier ministre ou le secrétaire d’état au DD. Si c’est le premier ministre, quelle est la différence entre le DD et ce qu’il fait d’habitude. Si c’est le secrétaire d’état, en quoi peut-il intervenir sur l’action des autres ? Face à ces difficultés, des pays réinterprètent ce cadre selon leur histoire, selon la définition des compétences dans leur propre pays.
ID : Et en Belgique ?
EZ : En Belgique, premièrement les régions sont compétentes en environnement et l’Etat peu. Deuxièmement, la Belgique a une tradition de concertation sociale forte. Troisièmement, des liens à l’origine assez forts entre acteurs pionniers du DD et l’ONU ont été tissés. Ces éléments font que la Belgique a défini une vision du DD avec beaucoup de social et d’économique. D’autres pays ont développé une vision plus « verte », centrée sur l’environnement. La diversité de types de plans n’est pas grave en soi, mais elle rend quand même le dialogue international complexe et surtout la coordination de plans relativement large.
Propos recueillis par Olivier Bailly
Plus d’infos :
Plan Fédéral Développement durable
European Sustainable Development Strategy