Au Moyen-âge, la conception du cosmos était très différente de la notre. L’univers était composé de quatre éléments (feu, terre, eau, et air), et chacun avait deux des quatre qualités principales : humidité, chaleur, froideur, sécheur
La composition de la matière1
Une bonne compréhension de la conception cosmologique, et le rapport entre le cosmos et la vie humaine est essentielle à toute étude de la psychologie et de la causalité au Moyen-âge. Nous commençons, alors, avec un exposé ébauché de la façon dont on comprenait le cosmos à l’époque qui nous intéresse. Il faut préciser que les assertions faites ici-bas, doivent être comprises comme faisant référence aux idées courantes à l’époque.
Au Moyen-âge, la conception du cosmos était très différente de la notre. L’univers était composé de quatre éléments (feu, terre, eau, et air), et chacun avait deux des quatre qualités principales : humidité, chaleur, froideur, sécheur :
- Feu (chaud et sec)
- Terre (froide et sèche)
- Eau (froide et humide)
- Air (chaude et humide)
L'image à droite est une représentation médiévale de la corréspondence entre les humeurs, les éléments, et leur contexte dans le cosmos.
La forme de la terre et l’ordonnément cosmologiqueLe mouvement des planètesLa gravité et l’hiérarchie des élémentsmoraliser et d’allégoriser la physique.
Contrairement à la conception populaire de la pensée du moyen âge, on savait déjà que la terre était une sphère et non pas plate. Par contre, la terre se trouvait figée au centre de l’univers. Les sept planètes connues giraient autour de la terre en cercles concentriques. Après la dernièer des planètes se trouvaient les étoiles, le primum mobile, et au plus haut des cieux, Dieu :
Terre : Lune : Mercure : Vénus : soleil : Mars : Jupiter : Saturne : étoiles : primum mobile : Dieu
Nous ne savons pas exactement ce qu’était le primum mobile. Le mieux qu’on puisse dire est que c’est un être ou un esprit si épris de Dieu qu’il veut que tout son être soit à la fois en contact avec la totalité de Dieu. De ce désir vient qu’il est en mouvement perpétuel à une vitesse incalculable. C’est ce mouvement qui fait girer les planètes autour de la terre.
Il existe déjà le concept de la gravité. Une pierre jetée dans un trou transperçant la terre ne sort pas de l’autre côté, mais s’arrête au centre même de la terre. Dieu et la terre se trouvent aux deux extrémités de l’univers. Dieu est parfait, au dessus de tout. La terre, par contre, est le plus lourd, le plus ignoble des éléments et se trouve, alors, au plus loin possible de Dieu. La logique oblige que l’enfer est au plus loin possible de Dieu, d’où l’idée que l’enfer était ‘en-bas’ au centre de la terre, et le ciel ‘en-haut’ avec Dieu. Les autres éléments ont leur place assignée dans l’univers selon leur ‘bonté’ relative à Dieu. La terre étant au fond, au-dessus il y a l’eau, puis l’air, et finalement, le plus éthéré des éléments, le feu. Les images du cosmos montrent une couche de feu qui sépare la région matérielle de Dieu. Avec ce modèle de l’univers, il est facile de
L'image à coté vient du Book of Divine Works de Hildegard de Bingen, c.1230.2
La communication de la volonté divineMédecine et science céleste3 ; astrologie et astronomie ne sont qu’une seule science, de même que médecine et astrologie/astronomie. Avant de traiter un patient, le médecin consulte des chartes astrologiques (voir la volvelle à droite)4. Puisque chaque partie du corps correspond à un signe du zodiaque il y a des saisons propices, comme des saisons où il est dangereux d’intervenir dans telle ou telle partie du corps. Il est déconseillé, par exemple, de purger un patient de sang des parties du corps qui correspondent à la lune.
Tout ce qui est entre Dieu et la terre fonctionne en tant que médiateur de la volonté de Dieu. Les planètes, selon leur position relative l’une à l’autre, et par rapport aux signes du zodiaque, transmettent vers les hommes la volonté divine, par exemple, en matière politique, la croissance des fœtus, et l’heur que porte un jour quelconque. Le zodiaque partage cette fonction déterminatrice avec les planètes.
Le zodiaque est utilisé comme un calendrier. Toutes les parties du corps humain sont assignés à un signe du zodiaque (voir à gauche)
Chaque étape de la vie humaine est sous la protection d’une des planètes, comme l’explique Le joli buisson de Jonece. Mercure, capricieux et fougueux, par exemple, règne entre l’âge de cinq et quatorze ans, tandis que le froid Saturne domine pendant la vieillesse.
Les humeurs et la santéLes humeurs et la personnalitéLa psychologie du mélancoliqueun commentaire critique sur un poème de Charles d'Orléans, poète de la mélancolie.
Les humeurs du corps humain (le sang, la bile noire ou la mélancolie, la bile jaune ou la colère, et la flegme) ne sont que les correspondants microcosmiques des éléments du macrocosme. De même que l’univers n’est pas sain que lorsque les éléments sont en bon équilibre, le corps tombe malade là ou il y a un excès. Le corps est capable jusqu’à un certain point de se vider des superfluités, mais a parfois besoin de l’aide artificiel. On remédiait la maladie en restituant l’équilibre, par le moyen des purges de sang, et avec les vomitifs, par exemple.
Les humeurs n’ordonnent pas uniquemment la santé, mais determinent, selon laquelle est dominante, le caractère de chaque individu. Il y a, alors, quatre types de personnalité. Celui qui en qui le sang domine est sanguin. Il est de bonne humeur, et bien équilibré. Le flegmatique est enclin à la passivité, à la fatigue, à la lenteur, à la fainéantise, et aussi, au surpoids. Le colérique est vif et subtil, mais souffre d’une tendance violente et prodigue. Le mélancolique tombe facilement en désespoir. Il peut facilement envier son prochain. Son caractère veut qu’il soit parfois excessivement discret, même mystérieux, mais il est aussi créateur, même génie. Il est le plus dangereux, étant capable des actes imprévus et de la colère injustifiée.
Le terme ‘mélancolie’ a un large emploi. Qui souffre de la mélancolie n’est peut être que triste. Mais il peut également faire une dépression. Il éprouve un désespoir, un cuisant contemptus mundi, dû à sa sensibilité trop aigue de la futilité des choses mondaines. Assailli par de telles pensées, le mélancolique éprouve un sentiment de chagrin pour lequel il ne trouve aucune remède. Suivez le lien pour lire
Différence entre la mélancolie et d’autres types de personnalitéEcritures scientifiques à propos de la mélancolie
Il faut préciser que la lassitude du mélancolique n’a rien à voir avec la lassitude du flegmatique ; le mélancolique est excessivement sensible, lorsque le flegmatique en manque. De même que la lassitude flegmatique est tout-à fait autre que celle du mélancolique, le courroux mélancolique n’est pas comme celui du colérique ; au lieu d’être justifié tel qu’il est chez le colérique, il est imprévu et déraisonnable. On ne se surprend pas, alors, d’apprendre que la mélancolie est associée avec la lune, vraisemblablement à cause de l’instabilité de celle-ci.
Grand nombre d'écrivains du moyen âge ont traité de la mélancolie, notablement les médecins et les hommes de l’église. Arnaldus de Villanova, écrivant en latin (ici traduit en anglais), nous explique la théorie qui propose qu’une image de l’objet aimé se fait imprimer sur la conscience de l’amoureux, et suscite une crise de folie :
‘And from this it necessarily follows that because of this intense desire for the thing, its form is retained in a fantastically powerful manner and a memory of the thing is thereby constantly present’. (Arnaldus, p, 46-7)
‘For when a gracious or delightful thing is present to the mind, from the pleasure taken in this perception the diverse spirits in the heard are suddenly heated up, and having been heated up they are abruptly dispersed throughout the body. And so when, heated up and nearly burning, they arrive in large quantities at the estimative faculty, that organ is unable to suppress their heat; then they swirl around with turbulent motions, and confuse the judgment; and like drunks, such people make false and erroneous judgements.’ (Arnaldus, p. 49-50)
David de Dinant lui aussi il écrit que la mélancolie ressemble à l’intoxication :
‘Aristotle also says that black bile is similar to wine and brings about the same behaviour patterns as drinking wine does. For just as drinking makes a man talkative who formerly, when sober, was quiet, and then drinking more makes him argumentative and foul-mouthed, then it makes him pass out in a stupor and finally causes him to become comatose like an epileptic, even so black bile has these effects.’ (David of Dinant, 1963, p. 3)6
L’effluxion de l’humeur corrosif dans le sang risque d’occasionner les hallucinations, la démence ou de la folie. Evrart de Conty décrit la façon dont l’humeur mélancolique corrompt la vision de sorte que le mélancolique voie devant lui tout ce que son imagination malade a produit dans son esprit :
‘Nous veons bien aussi en frenesie que le malade cuide veoir voler mouchetes souvent devant ly ou qu’il y ait piletes ou festus ou aucunes telles choses, et y gecte les mains aucenesfois et les desire a prendre, sy come Ypocras dit en Pronostiques et Galiens aussi, desquelles choses toutesfoiz il n’est riens par dehors, ainz est tout par dedens en l’ame deceue, pour aucunes fumees qui montent en la teste, dont aucune partie passe par les yeulx et devant la pupile, et ainsy se presentent a la vertu visive en diverses figures et couleurs, selon ce que elles sont aussi de diverses manieres. Et de ce avient il aucunesfoiz que aucun cuident veir les angres, aucunesfoiz les malvais esperis, selon ce que les fumees dessusdites sont cleres ou obscures. Il avint a Amiens aussi, en ma jonesce, que une moult riche dame a telle melancolie fu ramenee que toutesfoiz que on lui offroit a boyre, fut vin, fut yaue, il lui sembloit que le hanap estoit tout plain d’araignes, dont elle avoit abominacion et horreur telle qu’elle n’en osoit boire, ainz s’en fuioit arriere.’ (Évrart de Conty, p. 200)7
Gerson, théologien, se sert de sa discipline pour arriver à une diagnose de la maladie mélancolique. Il nous laisse voir jusqu’à quel point la sainteté et la folie peuvent se ressembler. Il avertit son lecteur de ne pas se laisser décevoir par les faux saints :
‘A few months ago when I was in Arras, I heard tell of a certain woman, married with children, who sometimes would go without food for two days, sometimes for four or more; for this she was admired by many. I managed to speak with her; I examined her with many exhortations; I found this abstinence not to be sobriety but a vain and arrogant obstinacy. […] She could not produce any good reason why she acted that way except to say that she was unworthy of eating bread.’ (Gerson, 1962, p. 43)8
‘For it brings about incurable ailments due to lesions of the brain and perturbation of the rational faculty, such that through the mania or fury or other melancholic passions that fantasms kept inside the mind are so deeply and intimately rooted there that they seem to appear outside as real entities, and a man thinks that he hears, sees, or touches that which is not actually perceive with any external sense.’ (Gerson, p. 44)
De la même manière que les activités quotidiennes, tels que l’acte de manger, peuvent être corrompues pas l’influence néfaste de l’humour mélancolique, l’amour, le plus noble des divertissements courtois pourrait aussi se dégrader en folie. Au Jugement du roi de Navarre, de Machaut, on débat le cas d’une dame dont l’amant est mort, et un chevalier dont la dame a été infidèle, pour décider si les femmes ou les hommes aiment mieux, et si l’amant devenu fou est martyre ou égoïste.
Un cas apart : l’influence de La consolation de la philosophie de Boèce9 homme politique et savant, écrivait pendant les dernières années de l’antique empire romain. Ses écrits aux sujets de la logique, la musique, et l’astronomie étaient canoniques pendant l’époque scholastique du Moyen-âge. Il est possible que Boèce fût chrétien, mais on ne peut pas en être sûr. Cependant, les savants du Moyen-âge lisaient ses œuvres comme s’il l’avait été. Ayant connu du succès mondain, il a connu aussi une chute précipitée. On l’accusa faussement de la trahison, à cause duquel il fut incarcéré. C’est en prison qu’il écriva le plus célèbre de ses œuvres, La consolation de la philosophie, œuvre très bien répandu partout dans l’Europe du Moyen-âge, et traduit plusieurs fois en ancien français.
Boèce,
La consolation est un traité à propos de la souffrance humaine et l’injustice du sort. Le lecteur est rassuré que la paix et la justice viennent après la mort, et alors de dépasser, pendant son vivant, les caprices du sort. Pour douloureux que soit la vie, il est futile de se plaindre puisque la vie est ephemère. En fixant notre regard sur l’éternité, nous nous détournons du chaos apparent vers l’ordre du cosmos.
Dans le schéma essentiel de La consolation, l’auteur, tombé dans une mélancolie affreuse, est visité par la dame Philosophie, ses vêtements déchirés par les divers philosophes qui se sont battus auprès d'elle . Elle console l’auteur en le rappelant des vérités que son âme connaissait avant d’être né. Dans cette idée platonicienne, dame Philosophie fait souvenir à Boèce que c’est son corps mortel, inévitablement corrompu, qui lui a fait oublier les vérités qui mènent vers la vie éternelle et à la sérénité dans cette vie. Philosophie console le désespéré en lui rassurant que, pour peu qu’il puisse le sembler ici-bas sur terre, le cosmos est en harmonie.
Plusieurs auteurs du Moyen âge finissant se servent de ce modèle. On peut citer en particulier La Fontaine amoureuse de Machaut. L’amante d’un jeune prince désespéré, contraint de quitter son pays et ainsi de s’éloigner de sa dame, vient lui consoler dans un rêve.10
De la même manière, Le livre de la cité des dames de Christine de Pizan débute avec la dépression de l’auteur occasionnée par sa lecture d’un livre misogyne. Christine se croit méprisable, de nulle valeur pour le simple fait d’être femme. Trois dames allégoriques, Raison, Rectitude et Justice, viennent la rendre visite pour l’encourager et pour la faire souvenir de sa valeur. Ainsi que le rencontre de Boèce avec la dame Philosophie résulte en (ou occasionne) l’écriture du livre, Christine termine par écrire La cité, œuvre proto-féministe dont la finalité est de démontrer l’ingénuité et la valeur des femmes.
Le livre d’espérance d’Alain Chartier est aussi influencé par la tradition boécienne. Nous voyons comme une figure grotesque suffoque son intellect accablé par les maux du monde, et le fait tomber dans un sommeil malsain, et alors dans la mélancolie. Sa capacité de raisonner est corrompue. Dans ce sommeil, il est tourmenté par trois femmes horribles, Défiance, Indignation et Désespérance. Chartier est sauvé par Nature qui éveille son intellect. Il est conforté par les trois vertus chrétiennes de Foi, Espérance et Charité.
On ne peut pas s’évader de l’importance du sexe du protagoniste dans ces trois œuvres. Toutes ces quatre œuvres– celles de Boèce, Christine, Machaut et Chartier – dépeignent le sexe féminin de manière ambigüe. La dame Philosophie de Boèce est bénévole ; l’est aussi la femme dans l’œuvre de Machaut, même pris en compte le fait qu’elle est la cause de l’angoisse du protagoniste amoureux. Dans le cas de Chartier, son ‘je’ est fragmenté. Sa décadence est marque par une féminisation, de sorte que le féminin est associé avec la faiblesse et la carence de raison. L’œuvre de Christine de Pizan diffère en matière du sexe de l’auteur. Les forces qui l’oppriment sont masculines, autres par rapport à elle, comme pour Chartier et Boèce, les forces néfastes étaient féminines. Cependant, dans tous les cas, la consolation vient d’une figure féminine. Le mal qui accable Christine résulte en une aliénation de son propre sexe, dans un rejet de soi. Ce motif de l’aliénation par les mensonges de la société se trouve très bien illustré par l’histoire, raconté au début de La cité, du meunier qui, ivre, était revêtu en femme par ses camarades. Eveillé, il croyait ses camarades quand ils lui disaient ce qu’il était, au lieu de faire confiance à sa propre auto-connaissance.
Index : Page
- Préliminaires
- La composition de la matière
- La forme de la terre et l'ordonnément cosmologique
- Le mouvement des planètes
- La gravité et l'hierarchie des éléments
- La communication de la volonté divine
- Médecine et science céleste
- Les humeurs et la santé
- Les humeurs et la personnalité
- La psychologie du mélancolique
- La différence entre la mélancolie et d'autres types de personnalité
- Écritures scientifiques à propos de la mélancolie
- Un cas apart : l'influence de La consolation de la philosophie de Boèce
- Référencess
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- Manual of Byhferth, anglais, c. 1100, tiré de Veronica Sekules, Medieval Art, (Oxford: University Press, 2001), p. 128 Sekules, p.122 Des Trèes riches heures du duc de Berry, Sekules, p.123 Volvelle de Gonville and Caius College, MS 336/725 fol. 153v, tiré de Paul Binski and Stella Panayatova, eds, The Cambridge Illuminations: Ten Centuries of Book Production in the Medieval West, (London: Harvey Miller, 2005), p.321. Arnaldus de Villanova, Opera medica omnia, ed. Michael R. McVaughn, (Barcelona : Universitat de Barcelona, 1985) David de Dinant, Studia mediewistyczne : Davidis de Dinanto Quaternulorum Fragmenta, ed. Marianus Kurdialek, (Warszawa : Panstwowe Wydawnictwo Naukowe, 1963) Évrart de Conty, Le livre des éschez amoureux moralisés, ed. Françoise Guichard-Tesson, (Montréal : CERES, 1993) Jean Gerson, Œuvres complètes, ed. Mgr. Glorieux, (Paris ; New York : Desclée, 1960-73) Boèce, De arithmetica, De musica, (Cambridge University Library, MS Ii.3.12 fol. 6iv), Binski et Panayatova, p.304 De manuscrit 9221 de la Bibliothèque nationale, tiré de Guillaume de Machaut, La Fontaine amoureuse, ed. Jacqueline Cerquiglini-Toulet (Paris: Stock, 1993), couverture
La composition de la matière1
Une bonne compréhension de la conception cosmologique, et le rapport entre le cosmos et la vie humaine est essentielle à toute étude de la psychologie et de la causalité au Moyen-âge. Nous commençons, alors, avec un exposé ébauché de la façon dont on comprenait le cosmos à l’époque qui nous intéresse. Il faut préciser que les assertions faites ici-bas, doivent être comprises comme faisant référence aux idées courantes à l’époque.
Au Moyen-âge, la conception du cosmos était très différente de la notre. L’univers était composé de quatre éléments (feu, terre, eau, et air), et chacun avait deux des quatre qualités principales : humidité, chaleur, froideur, sécheur :
- Feu (chaud et sec)
- Terre (froide et sèche)
- Eau (froide et humide)
- Air (chaude et humide)
L'image à droite est une représentation médiévale de la corréspondence entre les humeurs, les éléments, et leur contexte dans le cosmos.
La forme de la terre et l’ordonnément cosmologiqueLe mouvement des planètesLa gravité et l’hiérarchie des élémentsmoraliser et d’allégoriser la physique.
Contrairement à la conception populaire de la pensée du moyen âge, on savait déjà que la terre était une sphère et non pas plate. Par contre, la terre se trouvait figée au centre de l’univers. Les sept planètes connues giraient autour de la terre en cercles concentriques. Après la dernièer des planètes se trouvaient les étoiles, le primum mobile, et au plus haut des cieux, Dieu :
Terre : Lune : Mercure : Vénus : soleil : Mars : Jupiter : Saturne : étoiles : primum mobile : Dieu
Nous ne savons pas exactement ce qu’était le primum mobile. Le mieux qu’on puisse dire est que c’est un être ou un esprit si épris de Dieu qu’il veut que tout son être soit à la fois en contact avec la totalité de Dieu. De ce désir vient qu’il est en mouvement perpétuel à une vitesse incalculable. C’est ce mouvement qui fait girer les planètes autour de la terre.
Il existe déjà le concept de la gravité. Une pierre jetée dans un trou transperçant la terre ne sort pas de l’autre côté, mais s’arrête au centre même de la terre. Dieu et la terre se trouvent aux deux extrémités de l’univers. Dieu est parfait, au dessus de tout. La terre, par contre, est le plus lourd, le plus ignoble des éléments et se trouve, alors, au plus loin possible de Dieu. La logique oblige que l’enfer est au plus loin possible de Dieu, d’où l’idée que l’enfer était ‘en-bas’ au centre de la terre, et le ciel ‘en-haut’ avec Dieu. Les autres éléments ont leur place assignée dans l’univers selon leur ‘bonté’ relative à Dieu. La terre étant au fond, au-dessus il y a l’eau, puis l’air, et finalement, le plus éthéré des éléments, le feu. Les images du cosmos montrent une couche de feu qui sépare la région matérielle de Dieu. Avec ce modèle de l’univers, il est facile de
L'image à coté vient du Book of Divine Works de Hildegard de Bingen, c.1230.2
La communication de la volonté divineMédecine et science céleste3 ; astrologie et astronomie ne sont qu’une seule science, de même que médecine et astrologie/astronomie. Avant de traiter un patient, le médecin consulte des chartes astrologiques (voir la volvelle à droite)4. Puisque chaque partie du corps correspond à un signe du zodiaque il y a des saisons propices, comme des saisons où il est dangereux d’intervenir dans telle ou telle partie du corps. Il est déconseillé, par exemple, de purger un patient de sang des parties du corps qui correspondent à la lune.
Tout ce qui est entre Dieu et la terre fonctionne en tant que médiateur de la volonté de Dieu. Les planètes, selon leur position relative l’une à l’autre, et par rapport aux signes du zodiaque, transmettent vers les hommes la volonté divine, par exemple, en matière politique, la croissance des fœtus, et l’heur que porte un jour quelconque. Le zodiaque partage cette fonction déterminatrice avec les planètes.
Le zodiaque est utilisé comme un calendrier. Toutes les parties du corps humain sont assignés à un signe du zodiaque (voir à gauche)
Chaque étape de la vie humaine est sous la protection d’une des planètes, comme l’explique Le joli buisson de Jonece. Mercure, capricieux et fougueux, par exemple, règne entre l’âge de cinq et quatorze ans, tandis que le froid Saturne domine pendant la vieillesse.
Les humeurs et la santéLes humeurs et la personnalitéLa psychologie du mélancoliqueun commentaire critique sur un poème de Charles d'Orléans, poète de la mélancolie.
Les humeurs du corps humain (le sang, la bile noire ou la mélancolie, la bile jaune ou la colère, et la flegme) ne sont que les correspondants microcosmiques des éléments du macrocosme. De même que l’univers n’est pas sain que lorsque les éléments sont en bon équilibre, le corps tombe malade là ou il y a un excès. Le corps est capable jusqu’à un certain point de se vider des superfluités, mais a parfois besoin de l’aide artificiel. On remédiait la maladie en restituant l’équilibre, par le moyen des purges de sang, et avec les vomitifs, par exemple.
Les humeurs n’ordonnent pas uniquemment la santé, mais determinent, selon laquelle est dominante, le caractère de chaque individu. Il y a, alors, quatre types de personnalité. Celui qui en qui le sang domine est sanguin. Il est de bonne humeur, et bien équilibré. Le flegmatique est enclin à la passivité, à la fatigue, à la lenteur, à la fainéantise, et aussi, au surpoids. Le colérique est vif et subtil, mais souffre d’une tendance violente et prodigue. Le mélancolique tombe facilement en désespoir. Il peut facilement envier son prochain. Son caractère veut qu’il soit parfois excessivement discret, même mystérieux, mais il est aussi créateur, même génie. Il est le plus dangereux, étant capable des actes imprévus et de la colère injustifiée.
Le terme ‘mélancolie’ a un large emploi. Qui souffre de la mélancolie n’est peut être que triste. Mais il peut également faire une dépression. Il éprouve un désespoir, un cuisant contemptus mundi, dû à sa sensibilité trop aigue de la futilité des choses mondaines. Assailli par de telles pensées, le mélancolique éprouve un sentiment de chagrin pour lequel il ne trouve aucune remède. Suivez le lien pour lire
Différence entre la mélancolie et d’autres types de personnalitéEcritures scientifiques à propos de la mélancolie
Il faut préciser que la lassitude du mélancolique n’a rien à voir avec la lassitude du flegmatique ; le mélancolique est excessivement sensible, lorsque le flegmatique en manque. De même que la lassitude flegmatique est tout-à fait autre que celle du mélancolique, le courroux mélancolique n’est pas comme celui du colérique ; au lieu d’être justifié tel qu’il est chez le colérique, il est imprévu et déraisonnable. On ne se surprend pas, alors, d’apprendre que la mélancolie est associée avec la lune, vraisemblablement à cause de l’instabilité de celle-ci.
Grand nombre d'écrivains du moyen âge ont traité de la mélancolie, notablement les médecins et les hommes de l’église. Arnaldus de Villanova, écrivant en latin (ici traduit en anglais), nous explique la théorie qui propose qu’une image de l’objet aimé se fait imprimer sur la conscience de l’amoureux, et suscite une crise de folie :
‘And from this it necessarily follows that because of this intense desire for the thing, its form is retained in a fantastically powerful manner and a memory of the thing is thereby constantly present’. (Arnaldus, p, 46-7)
‘For when a gracious or delightful thing is present to the mind, from the pleasure taken in this perception the diverse spirits in the heard are suddenly heated up, and having been heated up they are abruptly dispersed throughout the body. And so when, heated up and nearly burning, they arrive in large quantities at the estimative faculty, that organ is unable to suppress their heat; then they swirl around with turbulent motions, and confuse the judgment; and like drunks, such people make false and erroneous judgements.’ (Arnaldus, p. 49-50)
David de Dinant lui aussi il écrit que la mélancolie ressemble à l’intoxication :
‘Aristotle also says that black bile is similar to wine and brings about the same behaviour patterns as drinking wine does. For just as drinking makes a man talkative who formerly, when sober, was quiet, and then drinking more makes him argumentative and foul-mouthed, then it makes him pass out in a stupor and finally causes him to become comatose like an epileptic, even so black bile has these effects.’ (David of Dinant, 1963, p. 3)6
L’effluxion de l’humeur corrosif dans le sang risque d’occasionner les hallucinations, la démence ou de la folie. Evrart de Conty décrit la façon dont l’humeur mélancolique corrompt la vision de sorte que le mélancolique voie devant lui tout ce que son imagination malade a produit dans son esprit :
‘Nous veons bien aussi en frenesie que le malade cuide veoir voler mouchetes souvent devant ly ou qu’il y ait piletes ou festus ou aucunes telles choses, et y gecte les mains aucenesfois et les desire a prendre, sy come Ypocras dit en Pronostiques et Galiens aussi, desquelles choses toutesfoiz il n’est riens par dehors, ainz est tout par dedens en l’ame deceue, pour aucunes fumees qui montent en la teste, dont aucune partie passe par les yeulx et devant la pupile, et ainsy se presentent a la vertu visive en diverses figures et couleurs, selon ce que elles sont aussi de diverses manieres. Et de ce avient il aucunesfoiz que aucun cuident veir les angres, aucunesfoiz les malvais esperis, selon ce que les fumees dessusdites sont cleres ou obscures. Il avint a Amiens aussi, en ma jonesce, que une moult riche dame a telle melancolie fu ramenee que toutesfoiz que on lui offroit a boyre, fut vin, fut yaue, il lui sembloit que le hanap estoit tout plain d’araignes, dont elle avoit abominacion et horreur telle qu’elle n’en osoit boire, ainz s’en fuioit arriere.’ (Évrart de Conty, p. 200)7
Gerson, théologien, se sert de sa discipline pour arriver à une diagnose de la maladie mélancolique. Il nous laisse voir jusqu’à quel point la sainteté et la folie peuvent se ressembler. Il avertit son lecteur de ne pas se laisser décevoir par les faux saints :
‘A few months ago when I was in Arras, I heard tell of a certain woman, married with children, who sometimes would go without food for two days, sometimes for four or more; for this she was admired by many. I managed to speak with her; I examined her with many exhortations; I found this abstinence not to be sobriety but a vain and arrogant obstinacy. […] She could not produce any good reason why she acted that way except to say that she was unworthy of eating bread.’ (Gerson, 1962, p. 43)8
‘For it brings about incurable ailments due to lesions of the brain and perturbation of the rational faculty, such that through the mania or fury or other melancholic passions that fantasms kept inside the mind are so deeply and intimately rooted there that they seem to appear outside as real entities, and a man thinks that he hears, sees, or touches that which is not actually perceive with any external sense.’ (Gerson, p. 44)
De la même manière que les activités quotidiennes, tels que l’acte de manger, peuvent être corrompues pas l’influence néfaste de l’humour mélancolique, l’amour, le plus noble des divertissements courtois pourrait aussi se dégrader en folie. Au Jugement du roi de Navarre, de Machaut, on débat le cas d’une dame dont l’amant est mort, et un chevalier dont la dame a été infidèle, pour décider si les femmes ou les hommes aiment mieux, et si l’amant devenu fou est martyre ou égoïste.
Un cas apart : l’influence de La consolation de la philosophie de Boèce9 homme politique et savant, écrivait pendant les dernières années de l’antique empire romain. Ses écrits aux sujets de la logique, la musique, et l’astronomie étaient canoniques pendant l’époque scholastique du Moyen-âge. Il est possible que Boèce fût chrétien, mais on ne peut pas en être sûr. Cependant, les savants du Moyen-âge lisaient ses œuvres comme s’il l’avait été. Ayant connu du succès mondain, il a connu aussi une chute précipitée. On l’accusa faussement de la trahison, à cause duquel il fut incarcéré. C’est en prison qu’il écriva le plus célèbre de ses œuvres, La consolation de la philosophie, œuvre très bien répandu partout dans l’Europe du Moyen-âge, et traduit plusieurs fois en ancien français.
Boèce,
La consolation est un traité à propos de la souffrance humaine et l’injustice du sort. Le lecteur est rassuré que la paix et la justice viennent après la mort, et alors de dépasser, pendant son vivant, les caprices du sort. Pour douloureux que soit la vie, il est futile de se plaindre puisque la vie est ephemère. En fixant notre regard sur l’éternité, nous nous détournons du chaos apparent vers l’ordre du cosmos.
Dans le schéma essentiel de La consolation, l’auteur, tombé dans une mélancolie affreuse, est visité par la dame Philosophie, ses vêtements déchirés par les divers philosophes qui se sont battus auprès d'elle . Elle console l’auteur en le rappelant des vérités que son âme connaissait avant d’être né. Dans cette idée platonicienne, dame Philosophie fait souvenir à Boèce que c’est son corps mortel, inévitablement corrompu, qui lui a fait oublier les vérités qui mènent vers la vie éternelle et à la sérénité dans cette vie. Philosophie console le désespéré en lui rassurant que, pour peu qu’il puisse le sembler ici-bas sur terre, le cosmos est en harmonie.
Plusieurs auteurs du Moyen âge finissant se servent de ce modèle. On peut citer en particulier La Fontaine amoureuse de Machaut. L’amante d’un jeune prince désespéré, contraint de quitter son pays et ainsi de s’éloigner de sa dame, vient lui consoler dans un rêve.10
De la même manière, Le livre de la cité des dames de Christine de Pizan débute avec la dépression de l’auteur occasionnée par sa lecture d’un livre misogyne. Christine se croit méprisable, de nulle valeur pour le simple fait d’être femme. Trois dames allégoriques, Raison, Rectitude et Justice, viennent la rendre visite pour l’encourager et pour la faire souvenir de sa valeur. Ainsi que le rencontre de Boèce avec la dame Philosophie résulte en (ou occasionne) l’écriture du livre, Christine termine par écrire La cité, œuvre proto-féministe dont la finalité est de démontrer l’ingénuité et la valeur des femmes.
Le livre d’espérance d’Alain Chartier est aussi influencé par la tradition boécienne. Nous voyons comme une figure grotesque suffoque son intellect accablé par les maux du monde, et le fait tomber dans un sommeil malsain, et alors dans la mélancolie. Sa capacité de raisonner est corrompue. Dans ce sommeil, il est tourmenté par trois femmes horribles, Défiance, Indignation et Désespérance. Chartier est sauvé par Nature qui éveille son intellect. Il est conforté par les trois vertus chrétiennes de Foi, Espérance et Charité.
On ne peut pas s’évader de l’importance du sexe du protagoniste dans ces trois œuvres. Toutes ces quatre œuvres– celles de Boèce, Christine, Machaut et Chartier – dépeignent le sexe féminin de manière ambigüe. La dame Philosophie de Boèce est bénévole ; l’est aussi la femme dans l’œuvre de Machaut, même pris en compte le fait qu’elle est la cause de l’angoisse du protagoniste amoureux. Dans le cas de Chartier, son ‘je’ est fragmenté. Sa décadence est marque par une féminisation, de sorte que le féminin est associé avec la faiblesse et la carence de raison. L’œuvre de Christine de Pizan diffère en matière du sexe de l’auteur. Les forces qui l’oppriment sont masculines, autres par rapport à elle, comme pour Chartier et Boèce, les forces néfastes étaient féminines. Cependant, dans tous les cas, la consolation vient d’une figure féminine. Le mal qui accable Christine résulte en une aliénation de son propre sexe, dans un rejet de soi. Ce motif de l’aliénation par les mensonges de la société se trouve très bien illustré par l’histoire, raconté au début de La cité, du meunier qui, ivre, était revêtu en femme par ses camarades. Eveillé, il croyait ses camarades quand ils lui disaient ce qu’il était, au lieu de faire confiance à sa propre auto-connaissance.
Index : Page
- Préliminaires
- La composition de la matière
- La forme de la terre et l'ordonnément cosmologique
- Le mouvement des planètes
- La gravité et l'hierarchie des éléments
- La communication de la volonté divine
- Médecine et science céleste
- Les humeurs et la santé
- Les humeurs et la personnalité
- La psychologie du mélancolique
- La différence entre la mélancolie et d'autres types de personnalité
- Écritures scientifiques à propos de la mélancolie
- Un cas apart : l'influence de La consolation de la philosophie de Boèce
- Référencess
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Références : Voir la bibliographie
- Manual of Byhferth, anglais, c. 1100, tiré de Veronica Sekules, Medieval Art, (Oxford: University Press, 2001), p. 128 Sekules, p.122 Des Trèes riches heures du duc de Berry, Sekules, p.123 Volvelle de Gonville and Caius College, MS 336/725 fol. 153v, tiré de Paul Binski and Stella Panayatova, eds, The Cambridge Illuminations: Ten Centuries of Book Production in the Medieval West, (London: Harvey Miller, 2005), p.321. Arnaldus de Villanova, Opera medica omnia, ed. Michael R. McVaughn, (Barcelona : Universitat de Barcelona, 1985) David de Dinant, Studia mediewistyczne : Davidis de Dinanto Quaternulorum Fragmenta, ed. Marianus Kurdialek, (Warszawa : Panstwowe Wydawnictwo Naukowe, 1963) Évrart de Conty, Le livre des éschez amoureux moralisés, ed. Françoise Guichard-Tesson, (Montréal : CERES, 1993) Jean Gerson, Œuvres complètes, ed. Mgr. Glorieux, (Paris ; New York : Desclée, 1960-73) Boèce, De arithmetica, De musica, (Cambridge University Library, MS Ii.3.12 fol. 6iv), Binski et Panayatova, p.304 De manuscrit 9221 de la Bibliothèque nationale, tiré de Guillaume de Machaut, La Fontaine amoureuse, ed. Jacqueline Cerquiglini-Toulet (Paris: Stock, 1993), couverture