Dans le Midwest américain, les distilleries d’éthanol ont poussé presque aussi vite que le maïs ces deux dernières années. Rien qu’en Iowa, le plus gros Etat producteur de maïs, une quarantaine ont été construites ou sont en voie de sortir de terre. Le biocarburant semblait être le nouvel or vert et tout le monde, y compris les agriculteurs, s’est dépêché d’investir. Le maïs était là, l’argent aussi, les débouchés assurés. Mais depuis le printemps, le prix de l’éthanol a chuté de 30 %, alors que celui du maïs reste élevé. La cause : le marché est menacé d’engorgement.
«De la casse».
Début octobre, VeraSun Energy Corp, l’un des plus gros producteurs américain d’éthanol, a gelé la construction d’une usine censée produire 420 millions de litres par an, dans l’Indiana. «Compte tenu du changement abrupt dans les conditions du marché, il est prudent d’ajuster notre rythme actuel d’expansion», a justifié le directeur financier, Danny Herron. Il n’est pas le seul à revoir ses projets à la baisse. Dans l’Iowa seulement deux sites sont en travaux, le chiffre le plus bas depuis 1999. Dans l’Illinois, sur les 38 permis de construire accordés, seuls cinq devraient aboutir en 2007.
«C’est la fin du boom de l’éthanol, mais pas de l’éthanol», analyse Neil Harl, professeur d’économie à l’Iowa State University et consultant pour les producteurs de la corn belt (la «ceinture de maïs» qui désigne les Etats où cette production est prépondérante). «Les 134 distilleries existantes dans le pays devraient s’en sortir, à moins qu’elles n’arrivent pas à couvrir leurs coûts de production. Seules deux pour l’instant sont déjà dans ce cas-là», estime-t-il. Mais la question est de savoir si les 90 autres prévues sur le papier vont voir le jour. «Si oui, alors on risque la surproduction et il y aura de la casse.»
La ruée vers l’éthanol s’est précipitée en 2005 quand le Congrès, à Washington, a voté une loi sur l’énergie imposant aux pétroliers de mélanger un carburant renouvelable à l’essence. Accompagné de subventions généreuses, l’objectif de production fixé pour 2012 était de 28 milliards de litres d’éthanol contre 13 milliards consommés en 2004. L’idée était de progressivement monter en puissance. Or «on y est déjà», note Neil Harl. D’ici l’an prochain, les Etats-Unis devraient même produire près de 45,5 milliards de litres, selon Eitan Bernstein, un analyste en énergie chez Friedman, Billings, Ramsey Group.
Corrosif.
La question est de savoir que faire de tout cet éthanol quand les infrastructures de stockage et de transport n’ont, elles, pas connu le même boom. Les surplus posent déjà problème, faute de réservoirs adaptés. Contrairement à l’essence, l’éthanol est corrosif et se mélange à l’eau. Il ne peut être transporté par les pipelines habituels. Et les trains, camions et barges, plus chers, sont pris d’assaut. «On trouve l’éthanol à la pompe ici, dans le Midwest, où il est produit, explique Neil Harl, mais pas sur les côtes où sont les grandes agglomérations.» Une étude du ministère de l’Agriculture prévenait récemment que «les problèmes au niveau de la chaîne d’approvisionnement pourraient inhiber la croissance de l’industrie de l’éthanol».
Mais la plupart des analystes estiment que ce ne sont que problèmes transitoires qui finiront par être réglés. «Cette industrie a doublé de taille en seulement deux ans. Les infrastructures vont finir par suivre», veut croire le porte-parole de Renewable Fuels Association, qui représente les producteurs à Washington.
Derrière cet optimisme apparent, les lobbyistes travaillent dur à Washington pour obtenir du Congrès qu’une nouvelle loi sur l’énergie augmente la quantité d’éthanol devant être mélangée à l’essence. Le Sénat a déjà proposé d’imposer aux compagnies pétrolières de mixer 136 milliards de litres d’ici à 2022.
Tout en les écoutant d’une oreille, les élus entendent de l’autre les mises en garde contre une nouvelle ruée vers l’or vert. Les compagnies pétrolières ont trouvé des alliés inattendus : les éleveurs et l’industrie agroalimentaire. Moins de maïs étant disponible sur le marché, son prix reste élevé et réduit leurs marges. Il se répercute déjà sur le lait, les céréales ou le pain. Quant aux écologistes, ils sont moins enthousiastes : une étude de l’Académie nationale des sciences prévient que les productions record de maïs mettent en danger les ressources en eau du Midwest.
Inquiétudes.
L’éthanol, vu comme une source inattendue de prospérité pour les communautés rurales du Midwest, est maintenant source d’inquiétude. Pour ceux qui voient leurs marges se réduire à mesure que le prix de l’éthanol chute, comme pour ceux qui ont mis du temps à investir dans une distillerie et qui se demandent s’ils n’ont pas raté le coche.