Areva est parvenu à écouler aux Chinois deux réacteurs EPR pour 8 milliards d'euros, grâce surtout à la fourniture pendant 15 ans de l'uranium nécessaire à leur fonctionnement.
Officiellement, il s’agit là du contrat du siècle. Pour Areva, la mission en Chine de Nicolas Sarkozy se solde par un retentissant cocorico : c’est que le super VRP de France S.A. est enfin parvenu à faire avaliser par Pékin et la firme publique CGNPC un contrat de 8 milliards d’euros portant sur la livraison d’ici 6-8 ans de 2 réacteurs EPR, dits de 3ème génération, et de leurs services associés, dont la fourniture pendant 15 ans du combustible nécessaire à leur fonctionnement. Or, l’affaire était dans les tuyaux depuis de longs mois sans toutefois être conclue. On se souvient que la signature d’une lettre d’intention avait même été repoussée in extremis en juillet pour des raisons « techniques » et « d’agenda ».
A noter qu' EDF sera associé à ce méga-projet en prenant le tiers d'une co-entreprise avec CGNPC chargée d'exploiter les nouvelles centrales. Ces deux EPR chinois s’ajouteront donc aux deux précédents actuellement en cours de construction : celui de Flamanville dans la Manche et celui surtout d’Olkiluoto en Finlande, « la vitrine » de cette technologie selon l’expression de la direction de la communication, bien que le chantier finlandais connaisse de nombreux déboires. Son exploitation débutera du reste avec deux ans de retard.
Mieux encore : l’accord sera libellé en euros, ce qui permettra au groupe dirigé par Anne Lauvergeon de limiter les risques de change à l’avenir, si les parités euro/dollar/yuan venaient à évoluer. Enfin, et c’est là un argument sensible, ce contrat historique pèsera « beaucoup d’emplois » dixit la présidente du directoire du n°1 mondial du nucléaire civil. Et l’ancienne sherpa de François Mitterrand de préciser lundi matin sur Europe 1 : « Quand nous faisons des grands contrats de ce genre, que ce soit en Chine ou dans un autre pays, nous entraînons avec nous beaucoup d'autres entreprises, beaucoup de PME, par exemple 200 ou 250 d'entre elles. Et un salarié nouveau embauché chez Areva c'est en moyenne 2 à 3 salariés embauchés chez nos sous-traitants ». Concrètement, le champion français de l’atome a embauché 8600 personnes l’an dernier. Il table sur un volant de 10.000 recrutements cette année. Au final, le titre grimpait de plus de 4,5% lundi.
Officieusement, en revanche, la réalité serait un peu moins euphorisante. « On est face à un rouleau compresseur de désinformation, dénonce ainsi pour L’Expansion.com Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. En France, le nucléaire reste une idéologie avant d’être une technologie. Il faut donc que la filière industrielle soit géniale. On doit pouvoir vanter ses triomphes. D’où la surenchère dithyrambique sur le contrat d’Areva. En l’espèce, on oublie de dire que le groupe a été obligé de brader son EPR dont les Chinois ne voulaient pas à l’origine. Au final, ces derniers en auront donc deux pour le prix d’un ! Car un seul de ces réacteurs vaut aux alentours de 3 milliards d’euros. En vérité, seul le volet « services associés » a permis de débloquer la situation. Les Chinois ont été malins, car ils ont obtenu qu’Areva les alimente en uranium depuis leurs gisements africains». Or, on sait que ce minerai est désormais un trésor hautement convoité à l’échelle planétaire. Sa valeur marchande a d’ailleurs décuplé en cinq ans.
Même son de cloche ou presque au sein du pôle Energie de Greenpeace France : « Alors que depuis des années, Areva nous bassine avec une prétendue relance du nucléaire, l’entreprise se montre aujourd’hui prête à brader des EPR pour envoyer un signal commercial fort aux clients potentiels que sont les États-Unis ou le Royaume-Uni et leur faire croire qu’elle est compétitive (...) Areva fait donc un considérable cadeau aux électriciens chinois, en leur offrant ou bien le combustible, ou bien l’un des deux réacteurs. Mais qui va payer la note de cette stratégie commerciale ? ».
Chez Areva, on s’insurge évidemment contre une telle attaque et on prend soin de rappeler que chacune des composantes du projet demeure rentable tout en reconnaissant que l’offre intégrée proposée ajoute de la valeur à l’ensemble. A la direction de la communication, on se plaît aussi à souligner que les Chinois étaient cette fois demandeurs du combustible que pour l’heure les rivaux américains sont incapables d’assurer. On se souvient que le groupe dirigé par Anne Lauvergeon s’était fait souffler à l’automne dernier par le duo Westinghouse/Toshiba un contrat de plusieurs milliards de dollars pour quatre réacteurs de 3ème génération un peu moins puissants que l’EPR.