Il existe un relativisme associatif. Il consiste à affirmer sans débat que toutes les associations se valent, que toutes sont justes et qu'il ne saurait être question d'effectuer le moindre tri sous peine de « jeter le bébé avec l'eau du bain ».
Or le bébé est en train de se noyer dans l'eau sale et c'est le Medef qui lance l'appel à la certification : « La transparence financière, le Medef la demande pour toutes les organisations professionnelles et interprofessionnelles, pour toutes les organisations syndicales et pour toutes les ONG » (16 octobre 2007).
Or les associations sur fonds publics présentent quatre spécificités qui font mieux comprendre les effets désastreux du relativisme sur nos finances publiques et notre démocratie.
- Les moyens : 1 600 000 salariés et 10 % du PIB sous pavillon 1901, le tout sous le regard éberlué de 12 millions de bénévoles. Le salariat chasse le bénévolat des associations employeurs.
- La concentration : 4 % des associations soit 30 000 à 40 000 « employeurs » regroupent 80 % des salariés et des fonds publics.
- La démesure des prétentions morales : l'association serait juste par statut et nature d'activité. En trente ans, elle est devenue moralement autonettoyante.
- L'outrecuidance des prétentions politiques. Au président de l'Association des maires de France qui l'interrogeait sur la demande de la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA) de signer la charte des employeurs sur fonds publics, Michel Charasse répond le 5 novembre 2001 : « Vous m'envoyez le texte de déclaration commune avec les associations. Je trouve que ce texte est du baratin insipide qui noie le poisson. Je n'ai donc pas l'intention de m'associer à une démarche collective qui sent son curé et son gauchisme à plein nez. »
Démesure et outrecuidance n'ont pas échappé à Raymond Boudon, qui commente l'opération « Don Quichotte » : « Que le pouvoir politique cède à la pression médiatique est très inquiétant sur l'état de nos institutions. Conséquence, la rue peut désormais»faire la loi* sans mandat, sans représentativité, et avec pour seule caution le coup médiatique. Du coup, des éléments essentiels de notre devenir peuvent se jouer au sein d'associations qui s'érigent en représentants autoproclamés de la population à l'occasion de crises. C'est un phénomène typiquement français que l'on ne retrouve dans aucun autre pays d'Europe. Le comble est que l'on nous fait croire que cette démocratie participative constituerait un degré supérieur de la démocratie » (Le Figaro du 19 janvier 2007).
Au nom d'une supériorité morale par décret, ces Antigone subventionnées se prétendent représentatives de la société civile. Et comme leur existence dépend des administrations qui les ont constituées en courroies de transmission, elles sont devenues le bras séculier d'un secteur public déjà pléthorique.
Catherine Bidou décèle chez les classes moyennes françaises « une participation exceptionnelle au tissu associatif et une propension à prendre le pouvoir localement en colonisant la société civile dans les domaines éducatifs, culturels, voire dans la décision politique par voie élective ».
Louis Chauvel poursuit : « À l'opposé des autres pays, la France reste marquée par des classes moyennes dont le rapport au politique en comparaison avec leur rapport à l'ordre économique est une caractéristique prédominante à la mesure du mouvement de 1968 et de leur conquête politique en 1981. » (1)
Pierre Rosanvallon l'avait pressenti en 1998 : « C'est l'aggravation du déséquilibre électoral du PS entre salariés du public et salariés du privé qui comporte des risques graves pour son avenir politique. Le clivage secteur public-secteur privé devient donc électoralement de plus en plus significatif, dans un contexte politique où la réforme de l'État, la réduction des déficits publics, l'adaptation des services publics à la concurrence mondiale deviennent des enjeux politiques cruciaux en France. »
Marcel Gauchet en tire la conclusion sociologique la plus pertinente : « Voici pourquoi la déferlante individualiste continue de s'abattre sur le grand chaudron des bureaucraties redistributrices. » (2) Que les principaux employeurs sur fonds publics suivent donc l'appel du Medef. Serait-ce insultant, pour des associations qui se présentent aux élections prud'homales depuis 2002, d'être qualifiées d'employeurs ?
Marcel Gauchet en tire la conclusion sociologique la plus pertinente : « Voici pourquoi la déferlante individualiste continue de s'abattre sur le grand chaudron des bureaucraties redistributrices. » (2) Que les principaux employeurs sur fonds publics suivent donc l'appel du Medef. Serait-ce insultant, pour des associations qui se présentent aux élections prud'homales depuis 2002, d'être qualifiées d'employeurs ?
Il s'agit de combler un triple déficit de connaissance, de cohérence et de gouvernance.
L'Insee doit trier entre associations selon leur taille, le volume, l'origine et la nature de leurs ressources, la prédominance du bénévolat ou du salariat, une représentativité, une transparence et une gouvernance crédibles parce que certifiées par des organismes indépendants comme l'Afnor.
Le Parlement doit se doter d'un corps d'auditeurs à l'instar des grandes démocraties. À l'instar de la Charity Commission britannique, la Cour des comptes doit se doter d'une « chambre des associations ». Le Conseil d'État doit proposer un statut pour « employeur associatif ». Le Conseil national de la vie associative doit s'ouvrir aux non-Parisiens et aux bénévoles. Le président de la République doit instituer la structure interministérielle qui fait cruellement défaut.
Nos prédécesseurs ont séparé l'Église de l'État, séparons l'association des caisses publiques, des urnes, des corporations et du marché. Moralisons la dépense publique pour laïciser la politique.
Victor Hugo a écrit : « Rien n'est plus fort qu'une idée dont l'heure est arrivée. »
Mieux qu'une rupture : La réforme.
1) Dans Les Classes moyennes à la dérive, de Louis Chauvel, « La république des idées », Seuil, 2006.
2) La Religion dans la démocratie, Marcel Gauchet, Gallimard, 1998.