Les ministres européens de la Pêche, arrivés hier matin à Bruxelles pour entamer leur traditionnel marathon destiné à fixer les quotas annuels de poissons, pays par pays et espèce par espèce, ont eu la désagréable surprise de se retrouver face à un mur. Un mur au sens propre du terme. Voir la vidéo
«Marchandage». Au petit matin, 200 militants de Greenpeace avaient en effet empilé des blocs de parpaings sur deux mètres et demi de haut et près de trente de large, barrant ainsi l’accès principal au Justus-Lipsius, le bâtiment du Conseil des ministres de l’Union européenne. Avec un message inscrit tout du long : «Fermé jusqu’au rétablissement des stocks de poissons.» Les six autres entrées (voitures et piétons) étaient également bloquées par des militants. Objectif : dénoncer «l’irresponsabilité des ministres».
«Année après année, ils s’assoient sur les avis des scientifiques et mettent en pièces les recommandations de la Commission européenne en fixant, au mois de décembre, lors d’un grand marchandage, des niveaux de prélèvement qui vident les mers de leurs poissons», fustige l’association écologique. L’exécutif européen reconnaît en effet que la plupart des espèces sont surexploitées : «80 % des stocks se situent en deçà des limites biologiques de sécurité», note Bruxelles dans ses propositions de quotas de pêche pour 2008.
Or, toujours selon les calculs de la Commission, depuis vingt ans, les taux de capture autorisés adoptés par les ministres de la Pêche sont supérieurs de 50 % aux recommandations des scientifiques.
Délogé. «C’est hallucinant, il y a 2 000 scientifiques qui donnent des avis, qui sont payés par la Commission, et systématiquement le Conseil des ministres n’en tient pas compte», déplore Romain Chabrol, responsable de la communication de Greenpeace France, qui participait à l’opération coup-de-poing d’hier. Et d’ajouter : «Le minimum serait d’associer les ministres européens de l’Environnement à la décision.» A 11 heures, les trois jours de grand marchandage pouvaient finalement commencer, les forces de l’ordre avaient délogé les activistes et des ouvriers, appelés en renfort, avaient démoli le mur.
Pour Greenpeace, le mode actuel d'accord entre Etats-membres sur ces niveaux de captures doit être profondément réformé. « Ce Conseil des pêches se révèle être chaque année une catastrophe pour la pérennité des pêcheries, déclare Saskia Richartz, conseillère politique de Greenpeace pour les questions européennes. A moins que les choses ne changent drastiquement et que le pouvoir de décision soit cédé aux Ministres européens de l'environnement, celles-ci vont faire face à un effondrement écologique et économique ! »
Depuis le début des années 1980, les décisions du Conseil des pêches se traduit par un déclin alarmant des stocks de poissons. Année après année, les ministres ne tiennent pas compte des avis des scientifiques et mettent en pièce les recommandations de la Commission en fixant en décembre, lors d'un grand marchandage, des niveaux de prélèvement qui vident les mers de leurs poissons. Résultat : les pêcheries européennes sont parmi les moins durables et les moins rentables au monde.
Le 27 octobre 2007, la Cour des Comptes Européenne a par ailleurs publié un rapport sur les systèmes de contrôle et de sanction dans les pêcheries européennes. C'est ni plus ni moins la dénonciation de 25 ans de gestion communautaire des pêches qui y est mise en évidence, décortiquée et expliquée.
« Si le Conseil des pêches européen était une entreprise privée, ses directeurs auraient été depuis longtemps licenciés pour négligence et irresponsabilité ! dit Stéphan Beaucher, responsable de la campagne océans pour Greenpeace France. Le conseil des pêches n'a réussi à instaurer dans ce secteur ni rentabilité économique, ni protection environnementale ou pérennité des stocks. Il est plus que temps de passer à un autre mode de gestion. »
Pour Greenpeace, les prochaines décisions liées à la pêche devraient être soumises à un droit de regard public et se faire selon les modalités suivantes :
- Tous les TAC devraient être égaux ou inférieurs aux recommandations des scientifiques. Concernant les stocks exploités bien au-delà de leurs seuils biologiques d'exploitation, l'effort de pêche doit être amené à un niveau très bas et accru une fois seulement que le recouvrement du stock est prouvé. A terme, tous les stocks doivent être exploités en dessous de leur taux de rendements maximal (MSY).
- Pour 2008, les TAC nationaux devraient être mis en conformité avec les règles précédemment énoncées et avec les standards européens de protection marine, en particulier celles sur les aires protégées.
- Enfin, seule la création d'un large réseau de réserves marines couvrant de 20 à 50% de la surface des mers et océans permettra de régénérer la biodiversité marine. Les Etats-membres s'étaient engagés à créer un tel réseau avant 1998… Il n'en a rien été : ils ont continué à courir après des bénéfices à court terme sans se mettre en conformité avec les lois de conservation de l'Union Européenne.