La secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, Rama Yade, a été priée par Nicolas Sarkozy de taire ses critiques pendant la visite de Kadhafi. Enjeu, 10 milliards d’euros.
Boycotter. Toute la journée d’hier, il a donc fallu faire le gros dos et contenir le vrai malaise au sein de la majorité. Le tout sous un tir nourri de la gauche, du Modem et d’une opinion publique qui peine à cautionner la diplomatie du carnet de chèques de Nicolas Sarkozy.
Une diplomatie revendiquée par le chef de l’Etat, qui a évoqué «des dizaines de milliards d’euros» de contrats (lire page 4). Mais qui a tout de même précisé hier soir avoir dit à Kadhafi «combien il fallait continuer à progresser sur le chemin des droits de l’homme».
Tôt le matin sur France Inter, Bernard Kouchner avait cherché à protéger sa secrétaire d’Etat : «Non seulement je la soutiens, mais c’est ma secrétaire d’Etat et, de temps en temps, un ministre des Affaires étrangères envie une secrétaire d’Etat qui peut parler ainsi des droits de l’homme. C’est son travail.» Néanmoins, contrairement à ce qu’il laisse entendre, il n’y a eu aucune répartition des rôles entre eux. Kouchner n’a pas assisté au dîner officiel en l’honneur du colonel, hier soir à l’Elysée, pour cause de dîner avec son homologue allemand. «Un heureux hasard», a-t-il dit.
De son côté, le PS s’est déchaîné. Les députés socialistes ont décidé de boycotter aujourd’hui la réception de Kadhafi à la présidence de l’Assemblée nationale. Quant à Ségolène Royal, elle a félicité Rama Yade pour ses «déclarations courageuses et fermes» contre la venue du dirigeant libyen.
Pince-fesse. Toutefois le débat interne à la droite rend de nouveau l’opposition peu audible. Au sein de l’UMP, ils sont une minorité à juger, comme Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, «inacceptables» les propos de Rama Yade.
Plus nombreux sont les députés qui confessent leur trouble à l’idée de dérouler ce matin le tapis rouge de l’Assemblée sous les pieds du «Guide». «Je trouve inadmissible que l’on reçoive Kadhafi au Palais-Bourbon, tempête Lionnel Luca (Alpes-Maritimes). J’aurais trouvé plus normal de l’entendre dans le cadre de la commission d’enquête sur les conditions de libération des infirmières bulgares.» Et le même de «féliciter» Rama Yade. Comme Françoise de Panafieu, candidate à la mairie de Paris, qui lui a dit «bravo».
Plus mesuré, Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, se convertit à la realpolitik mais ne se désolidarise pas de la secrétaire d’Etat: «Il faut être pragmatique et accompagner la volonté de la Libye de réintégrer la communauté internationale, dit-il. Pour autant, je ne suis dupe de rien. La Libye est tout sauf un état démocratique. J’adhère à la quasi-totalité de ce qu’a dit Rama Yade.» Jean-François Copé, chef de file des députés UMP, n’assistera pas, lui, au pince-fesse : «Je ne veux pas annuler la réunion de groupe qui a lieu au même moment», justifie le député maire de Meaux qui admet toutefois «ne pas avoir une envie irrépressible» d’assister à la réception en l’honneur du Libyen.
Interrogé sur Rama Yade, il sort un nouveau joker : «Je ne comprends pas toujours très bien certaines communications du gouvernement, dit Copé. Et en l’occurrence, je n’ai sans doute pas les clés pour comprendre.» Qu’il se rassure, même des ministres ont du mal à suivre.