Ne manquait que le coup de grâce. Il est venu, hier soir, de l’ancien vice-président américain Al Gore, prix Nobel de la paix 2007, tout juste débarqué d’Oslo, où il a honoré son trophée. Oui, il est venu, dit-il, «dire une vérité qui dérange», référence à son documentaire : «Mon propre pays, les Etats-Unis, est principalement responsable de l’obstruction au progrès ici à Bali.» La sortie a déchaîné un tonnerre d’applaudissements et une poignée de main, appuyée, de l’Indien Rajendra Pachauri, co-Nobélisé pour son travail à la tête du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
A la veille de l’ultime jour de négociation pour tenter d’arracher un plan de route (a minima) sur un nouveau traité climatique post-Kyoto, les Etats-Unis - soutenus par le Japon, le Canada, voire la Russie - refusent toujours de voir figurer dans le texte final une baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) des pays industrialisés de 25 % à 40 % en 2020.
«Coquille vide». Or, «pas de chiffre, cela veut dire qu’on repartirait de Bali avec une coquille vide», dit le ministre allemand de l’Environnement, Sigmar Gabrielle. Pas de calendrier, cela signifie «que des mots» et pas «d’action», embraye le Portugais Humberto Rosa, qui occupe la présidence de l’Union européenne (UE). Pas de politique ambitieuse, mais que du détail technique, cela traduit une démission alors que le «développement sobre en carbone est un levier de croissance», martèle Jean-Louis Borloo, ministre de l’Environnement français. Donc rien pour «enrayer le réchauffement global, limiter l’élévation du niveau des océans, l’aggravation des inondations et des sécheresses, et l’extinction d’espèces animales et végétales», ajoute un membre de la délégation française. Et des simili-concessions sur d’autres sujets, comme le transfert de technologie (lire ci-dessous).
Jamais les Etats-Unis n’ont été autant acculés. Victimes à leur tour du «bashing», qu’eux-mêmes infligeaient aux frenchies, quand Paris refusait l’obstacle irakien. L’administration Bush est tel «un éléphant dans la chambre» dans laquelle il est incapable «de se déplacer», assure Gore.
«Fort Knox». «Ils sont entrés dans un délire d’autiste, confie un diplomate européen au cœur des négociations. Ils ont même annulé une bilatérale avec la Grande-Bretagne, leurs derniers alliés en Europe. Washington est victime du syndrome citadelle assiégée, Fort Knox, en pire.»
Du coup, l’Europe menace de boycotter le joujou de Bush, lancé en septembre, de réductions volontaires d’émissions de GES. Pas question d’aller à Hawaï en janvier, rappelle l’Elysée, si aucun engagement chiffré ne tombe d’ici ce soir. «La bataille de Bali» - Etats-Unis versus Europe - bat son plein. Elle était feutrée. Elle est désormais frontale.