La Liste rouge des espèces menacées: l’heure du bilan pour 2007
Chaque année, l’Union mondiale pour la nature (UICN) publie sa liste rouge qui constitue l’inventaire mondial le plus complet de l’état de conservation des espèces. Il y paraît clairement que les ressources biologiques sont directement menacées par ce qu’on appelle (à tort?) la société post-industrielle. Actuellement, on estime que le taux d’extinction des espèces est 1 000 à 10 000 fois supérieur à ce qu’il serait naturellement.
Par Elodie Mielczareck
Dans Conscience libre
Un projet scientifique vieux de plusieurs années
Le système de la Liste rouge de l’UICN a été créé en 1963. Pendant plus de 30 ans, la Commission de la sauvegarde des espèces a évalué l’état de conservation des espèces et sous-espèces au plan mondial, attirant l’attention sur celles qui étaient menacées d’extinction et oeuvrant en faveur de leur conservation. Au-delà de l’effort de sensibilisation et de mobilisation du public, des responsables politiques et de la communauté internationale, le projet de l’UICN est aussi méthodologique, il s’agit de proposer un outil d’analyse qui puisse évaluer les progrès réalisés au niveau mondial dans la réduction de la perte de diversité biologique.
Présenté comme l’outil de référence le plus fiable sur l’état de la diversité biologique, la liste rouge de l’UICN s’appuie sur une série de critères précis pour évaluer le risque d’extinction. Ces critères (taux de déclin, population totale, degré de peuplement, répartition notamment) s’appliquent à toutes les espèces et à toutes les parties du monde. La liste rouge permet de répondre à des questions essentielles, telles que :
• Dans quelle mesure telle espèce est-elle menacée ?
• Par quoi telle ou telle espèce est-elle spécialement menacée ?
• Combien y a-t-il d’espèces menacées dans telle région du monde ? • Combien a-t-on dénombré de disparitions d’espèces ?
Le système de classement
Avec le système de la liste rouge de l’UICN, chaque espèce ou sous-espèce peut être classée dans l’une des neuf catégories suivantes : Eteint (”un taxon est dit Éteint lorsqu’il ne fait aucun doute que le dernier individu est mort”), Eteint à l’état sauvage (”un taxon est dit Éteint à l’état sauvage lorsqu’il ne survit qu’en culture, en captivité ou dans le cadre d’une population (ou de populations) naturalisée(s)”), En danger critique d’extinction (le taxon “est confronté à un risque extrêmement élevé d’extinction à l’état sauvage”), En danger (le taxon “est confronté à un risque très élevé d’extinction à l’état sauvage”), Vulnérable (le taxon “est confronté à un risque élevé d’extinction à l’état sauvage”), Quasi menacé, Préoccupation mineure, Données insuffisantes (”un taxon entre dans la catégorie Données insuffisantes lorsqu’on ne dispose pas d’assez de données pour évaluer directement ou indirectement le risque d’extinction en fonction de sa distribution et/ou de l’état de sa population”), Non évalué (”un taxon est dit Non évalué lorsqu’il n’a pas encore été confronté aux critères”).
Un palmarès peu reluisant pour 2007
La liste rouge répertorie désormais 41 415 espèces dont 16 306 sont menacées d’extinction (contre 16 118 l’an dernier). Soit un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit, un tiers des amphibiens et 70% des plantes.
Julia Marton-Lefèvre, Directrice Générale de l’Union mondiale pour la nature (UICN), déclare : « La Liste rouge de l’UICN de cette année démontre que les efforts inappréciables déployés à ce jour pour protéger les espèces sont insuffisants. Le rythme de l’érosion de la biodiversité s’accélère et nous devons agir sans plus attendre pour le réduire de manière significative et pour mettre un terme à cette crise mondiale de l’extinction. Nous pouvons le faire mais uniquement dans le cadre d’un effort concerté à tous les niveaux de la société. »
Quelques exemples de la Liste rouge de l’UICN de 2007
- Le déclin des grands singes
Une nouvelle évaluation de nos parents les plus proches, les grands singes, révèle un tableau plutôt sombre. Le gorille de l’ouest est passé de la catégorie ‘En danger’ à ‘En danger critique d’extinction’. décimé par le commerce de la viande de brousse et le virus Ebola. Depuis 20 à 25 ans, la population a diminué de plus de 60 % et environ un tiers de la population totale présente dans les aires protégées a succombé au virus Ebola depuis 15 ans. Les orang-outan restent quant à eux menacés par la perte d’habitat due à l’exploitation licite et illicite du bois et au défrichage des forêts pour faire place à des plantations de palmiers à huile. À Bornéo, la superficie des plantations de palmiers à huile est passée de 2000 km² à 27 000 km² entre 1984 et 2003. - Première apparition des coraux sur la Liste rouge
Pour la première fois, des coraux ont été inscrits sur la Liste rouge. Dix espèces des Galápagos ont fait leur entrée sur la Liste dont deux dans la catégorie ‘En danger critique d’extinction’ et une dans la catégorie ‘Vulnérable’. Pour ces espèces, les menaces principales sont les effets du phénomène El Niño et des changements climatiques. Par ailleurs, 74 algues des îles Galápagos ont été également inscrites. Préoccupées par les mêmes problèmes (réchauffement et El Nino), les algues sont aussi indirectement affectées par la surpêche qui élimine les prédateurs de la chaîne alimentaire et favorise ainsi la prolifération des oursins et d’autres herbivores consommateurs d’algues. - Le dauphin d’eau douce du Yangtze peut-être éteint
Le dauphin d’eau douce du Yangtze a été inscrit dans la catégorie ‘En danger critique d’extinction’ (Peut-être éteint). Si le dauphin n’a pas été placé dans la catégorie supérieure, c’est qu’il faudra mener d’autres études avant de le classer définitivement ‘Éteint’. Pour cette espèce, les principales menaces sont la pêche, le transport fluvial, la pollution et la dégradation de l’habitat. - Le gavial sur espace réduit
Ce crocodile de l’Inde et du Népal, est aussi confronté aux menaces de la dégradation de son habitat et a été déplacé de la catégorie ‘En danger’ à ‘En danger critique d’extinction’. Récemment, sa population a chuté de 58 % (moins de 436 adultes reproducteurs en 1997 à 182 en 2006). Les barrages, les projets d’irrigation, l’exploitation du sable et les digues artificielles ont envahi son habitat, le réduisant à 2 % de l’aire de répartition d’origine. - Les vautours en crise
Cette année, le nombre total d’oiseaux répertoriés dans la Liste rouge s’élève à 9956 dont 1217 sont menacés. En Afrique et en Asie, les vautours sont sur le déclin et le classement de cinq espèces dans la Liste rouge a été modifié. En Asie, le vautour royal subit un déclin rapide depuis huit ans, poussé par l’utilisation d’un médicament, le diclofenac, pour traiter le bétail. En Afrique, trois espèces de vautours ont fait l’objet d’une nouvelle classification. Le déclin des oiseaux est dû au manque de nourriture, avec la réduction du nombre de mammifères sauvages herbivores, à la perte d’habitat et à la collision avec les lignes à haute tension. Ils ont également été empoisonnés par des carcasses délibérément aspergées d’insecticide pour éliminer les prédateurs du bétail tels que les hyènes, les chacals et les grands félins. Malheureusement ces carcasses tuent aussi les vautours. - Le poisson-cardinal de l’île de Banggai victime du commerce pour les aquariums
La surpêche maintient la pression sur de nombreuses espèces de poissons, tout comme la demande du commerce pour les aquariums. Le poisson-cardinal de l’île de Banggai, très recherché par les amateurs d’aquariums, est inscrit pour la première fois sur la Liste rouge (dans la catégorie ‘En danger’). Ce poisson que l’on ne trouve que dans l’archipel de Banggai, près des Célèbes, en Indonésie, est très lourdement exploité : on en prélève environ 900 000 par an. Les spécialistes de la conservation prônent l’élevage de ce poisson en captivité pour les aquariums afin que les populations sauvages aient une chance de se reconstituer.
Des améliorations?
Il arrive que les mesures de conservation puissent ralentir la perte de diversité biologique mais il reste de nombreuses espèces auxquelles il faudrait consacrer plus d’attention. Cette année, une seule espèce a été transférée vers une catégorie de menace inférieure. La perruche de Maurice (Psittacula eques) qui, il y a 15 ans, était un des perroquets les plus rares au monde, est passée de la catégorie ‘En danger critique d’extinction’ à ‘En danger’. Cette amélioration est le résultat de bonnes mesures de conservation, notamment la surveillance étroite des sites de nidification et l’apport de nourriture supplémentaire, associées à un programme d’élevage en captivité et de lâcher.
Jean-Christophe Vié, Chef adjoint du Programme de l’UICN pour les espèces, déclare : « Notre expérience nous montre que les programmes de conservation peuvent donner de bons résultats mais, malheureusement, cette année, nous n’annonçons d’amélioration que pour une seule espèce. C’est très inquiétant compte tenu des engagements pris par les gouvernements, par exemple l’objectif 2010 de réduction du taux de perte de la biodiversité. Cela montre, à l’évidence, que nous devons redoubler d’efforts pour soutenir les travaux des milliers de personnes enthousiastes qui luttent, chaque jour, dans le monde entier, pour préserver la diversité de la vie sur cette planète.»