Nathalie Kosciusko-Morizet : "Le système actuel n’est pas durable"
http://www.terra-economica.info/NKM-Le-systeme-actuel-n-est-pas,3700.html
La France doit-elle courir après la croissance ? La décroissance est-elle une option ? Nous avons posé ces questions à la secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie. Entretien sans tabou avec Frédéric Stucin (M.Y.O.P) , Simon Barthélémy , Walter Bouvais.
Moratoire sur les autoroutes, explosion des gaz à effet de serre, débat sur le PIB, calcul de l’empreinte écologique de la France, réforme de l’Organisation mondiale du commerce… Terra Economica n’a épargné aucun sujet à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, auprès de Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables.
N’y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de faire mieux – des voitures moins polluantes, par exemple, dont le bonus-malus fait la promotion – et des messages, publicitaires notamment, qui disent tout et son contraire ?
Bien sûr. Nous sommes dans une société en mutation, avec une palette de bonnes volontés, de vraies solutions et d’habillage vert de plus ou moins bonne foi sur des produits. Mais nous créons des systèmes pour que le consommateur puisse mettre ses actes d’achat en accord avec son éthique. Selon certains, nous allons vers ce que Dominique Bourg appelle « l’économie de fonctionnalité ». Dans une telle économie, vous n’avez pas besoin d’être propriétaire d’un bien pour l’utiliser. C’est le principe du Vélib’ ou bientôt de la « Voiturelib’ ». Avec plusieurs utilisateurs pour un même véhicule, on diminue les flux de matière et d’énergie.
Cela suffira-t-il vraiment ?
C’est beaucoup plus novateur que d’acheter une Toyota Prius [1]. Notre choix peut être critiqué, mais en créant des incitations, comme le bonusmalus, on envoie des signaux aux entreprises et aux consommateurs, sans imposer de suite une solution. Le bilan carbone de la voiture hydrogène est, par exemple, catastrophique : ce véhicule pèse très lourd et l’hydrogène est produit à l’aide d’un compresseur au gaz. Pourtant Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de Californie, prépare une autoroute avec des pompes à hydrogène. Certains pensent qu’il s’agit de l’avenir, d’autres ne croient plus aux transports individuels. Personnellement, il me semble que nous n’avons pas la légitimité pour refermer l’éventail. Il en va de même pour les énergies renouvelables : la vraie énergie solaire est celle que capture la plante, qui le fait beaucoup mieux que n’importe quelle cellule photovoltaïque. Et je pense que nous ne sommes pas allés au terme de la réflexion sur la biomasse.
Est-ce pour ne pas refermer l’éventail que le gouvernement n’a pas prononcé de moratoire sur les infrastructures routières ?
C’est un problème différent. Nous avons fixé clairement les objectifs dans le Grenelle de l’environnement, mais il nous faut désormais un comité interministériel d’aménagement du territoire pour les décliner et fixer la nouvelle carte des infrastructures. Chaque élu pense que la règle vaut pour les autres, surtout en période d’élections municipales. On nous parle de nouvelle civilisation, mais nos élus se demandent quand cela va se concrétiser. Ils veulent mener à bout leurs projets immédiats.
Si l’on suit les préconisations du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), nous allons devoir trancher à courte échéance et infléchir les émissions de gaz à effet de serre au plus tard en 2015. Y croyez-vous vraiment ?
Je vais vous donner mon point de vue personnel. J’ai commencé à travailler sur les questions de changement climatique en 1997. Quand nous parlions de gaz à effet de serre, personne ne savait de quoi il s’agissait et, dans le meilleur des cas, les gens confondaient cela avec le trou dans la couche d’ozone. En 2002, jeune députée, j’ai souhaité suivre les questions d’environnement. A l’époque, j’ai obtenu la présidence du groupe Santé et Environnement car cela n’intéressait personne. A contrario, regardez la prise de conscience qui a eu lieu en 2007. Tout cela va à une vitesse vertigineuse.
Sans doute, mais la conférence de Bali sur le climat a aussi montré toutes les limites de cette prise de conscience.
La déception est légitime. Les attentes des peuples étaient fortes. Mais Bali visait à lancer de nouvelles négociations, et cela s’est avéré plutôt fructueux, malgré des objectifs pas aussi chiffrés que nous l’aurions souhaité. Au sortir de la conférence, nous disposons tout de même d’un calendrier. Surtout, l’ensemble des pays développés a accepté de consentir des efforts comparables. Les Etats-Unis ont ainsi entériné l’idée que l’American way of life devait changer. Ce n’est pas rien.
Dans l’ouvrage Signons la paix avec la terre, Mathis Wackernagel explique qu’il dispose d’une équipe de 10 à 15 personnes pour calculer l’empreinte écologique de tous les pays du monde quand, en France, 7 000 personnes mesurent le produit intérieur brut (PIB) du pays. Pourquoi ne mesurons-nous pas notre empreinte écologique ?
Un comité opérationnel du Grenelle travaille sur la question des indicateurs de richesse (lire ci-contre). Les bilans carbone de différentes administrations et entreprises sont en passe d’être réalisés. Mais avec la réorganisation des ministères des Transports, de l’Equipement et de l’Ecologie, nous mesurons les difficultés à faire bouger nos administrations. Pendant trente ans, des services ont construit des routes. Ce n’est pas simple de leur dire désormais : « vous allez faire des transports en commun » sans que cela soit perçu comme une remise en cause. C’est paradoxalement plus difficile que de faire évoluer le consommateur.
Est-il possible de pousser le citoyen vers des modes de consommation sobres et responsables quand le discours politique dominant se focalise sur le pouvoir d’achat et la croissance à tout prix ?
Le terme « croissance » est très ambigu. Il a été assimilé à l’idée du bien-être et de la richesse, ce que tout le monde désire naturellement. Mais en même temps, ce n’est pas exactement ce que le PIB mesure. Il y a un décalage entre les espérances légitimes des gens et la façon dont on les décline en termes économiques. Par exemple, on nous demande des politiques de circulation douce et de transports propres, perçus comme un vecteur fort de qualité de la vie. Dans ma circonscription, on a créé il y a un an le premier arrêt de bus sur autoroute. A Briis-sous-Forges (Essonne), l’A10 n’offrait en effet pas d’entrée ou de sortie pour les voitures. L’autoroute ne représentait donc aucun bénéfice pour les habitants. Aujourd’hui, on peut laisser son vélo ou sa voiture dans un parking et un petit ascenseur vous conduit devant une porte qui s’ouvre seulement quand le bus arrive. Celui-ci vous mène ensuite directement au RER à Massy. Cette expérience innovante a fait monter le prix des maisons alentours. Et le bus est utilisé comme argument par les agents immobiliers. C’est complètement sous le signe de l’écologie, car cela évite de construire une nouvelle route. C’est du pouvoir d’achat puisque ça coûte moins cher de prendre un ticket de bus plutôt que sa voiture, et c’est de la croissance pour ceux qui en profitent.
La croissance reste tout de même présentée d’une façon quantitative et matérielle qui n’est pas tenable : elle est assise sur la consommation de 125 % des ressources renouvelables de la planète. Comment modifier ce modèle économique ?
Moi, je rêve d’avoir en France une collectivité capable de développer le même système qu’à Munich. Dans les années 1970, cette ville a renoncé à installer une coûteuse station d’épuration de l’eau pour investir dans la reconversion en « bio » de toute l’agriculture du bassin versant. Les Munichois ont passé des contrats avec les agriculteurs pour fournir toute la restauration collective de Munich. Ils n’ont pas eu besoin de financer l’épuration car ils n’avaient plus de problème de pollution agricole. En outre, ils ont gagné en mieux-être en approvisionnant la ville en produits biologiques et locaux. Je pense qu’en se fixant de tels objectifs, nous pouvons résoudre le problème. Pourquoi, par exemple, ne pas relocaliser certaines productions dans le monde agricole ? Il y a quelque chose d’aberrant à développer sans fin et à grands coups de transports émetteurs de gaz à effet de serre une agriculture de plus en plus intensive. Je suis favorable à une refonte en profondeur des accords de l’Organisation mondiale du commerce. Car ces accords favorisent une organisation des marchés qui n’est pas durable.
Il y aurait une révolutionnaire au gouvernement ?
Je ne suis pas une révolutionnaire. Mais prendre simplement en compte le coût écologique du transport me conviendrait.
Notre rêve de société de consommation est-il, selon vous, compatible avec les limites physiques de la planète ?
C’est une question que je me pose quand je vois le développement des gadgets très technologiques contenant des produits polluants. La solution n’est pas évidente. Nous sommes contraints de réduire les flux de matière. Mais comment savoir si cela se fera par du rationnement – car moins de gens pourront profiter d’outils peu optimisés –, par des ruptures technologiques qui permettront à chacun d’avoir son outil, ou enfin par une mutualisation à travers une économie des fonctionnalités ? Nous savons que le système actuel n’est pas durable, mais je conteste le terme de décroissance. Il est presque aussi faux que celui de croissance. La croissance ne permet pas de prendre en compte toute la complexité du monde contemporain et d’appréhender ce qu’est le concept de richesse. La décroissance comporte les mêmes erreurs car elle est encore dans le même paradigme. —
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Nathalie Kosciusko-Morizet , polytechnicienne et ingénieure de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, conseillait déjà le Premier ministre, en 2002, sur les questions d’écologie et de développement durable. Députée de l’Essonne, depuis 2002, la secrétaire d’Etat, 34 ans, est aussi conseillère régionale d’Ilede- France depuis 2004.
(Nathalie Kosciusko-Morizet (Crédit : Frédéric Stucin / MYOP) Moratoire sur les autoroutes, explosion des gaz à effet de serre, débat sur le PIB, calcul de l’empreinte écologique de la France, réforme de l’Organisation mondiale du commerce… Terra Economica n’a épargné aucun sujet à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, auprès de Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables.
N’y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de faire mieux – des voitures moins polluantes, par exemple, dont le bonus-malus fait la promotion – et des messages, publicitaires notamment, qui disent tout et son contraire ?
Bien sûr. Nous sommes dans une société en mutation, avec une palette de bonnes volontés, de vraies solutions et d’habillage vert de plus ou moins bonne foi sur des produits. Mais nous créons des systèmes pour que le consommateur puisse mettre ses actes d’achat en accord avec son éthique. Selon certains, nous allons vers ce que Dominique Bourg appelle « l’économie de fonctionnalité ». Dans une telle économie, vous n’avez pas besoin d’être propriétaire d’un bien pour l’utiliser. C’est le principe du Vélib’ ou bientôt de la « Voiturelib’ ». Avec plusieurs utilisateurs pour un même véhicule, on diminue les flux de matière et d’énergie.
Cela suffira-t-il vraiment ?
C’est beaucoup plus novateur que d’acheter une Toyota Prius [1]. Notre choix peut être critiqué, mais en créant des incitations, comme le bonusmalus, on envoie des signaux aux entreprises et aux consommateurs, sans imposer de suite une solution. Le bilan carbone de la voiture hydrogène est, par exemple, catastrophique : ce véhicule pèse très lourd et l’hydrogène est produit à l’aide d’un compresseur au gaz. Pourtant Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de Californie, prépare une autoroute avec des pompes à hydrogène. Certains pensent qu’il s’agit de l’avenir, d’autres ne croient plus aux transports individuels. Personnellement, il me semble que nous n’avons pas la légitimité pour refermer l’éventail. Il en va de même pour les énergies renouvelables : la vraie énergie solaire est celle que capture la plante, qui le fait beaucoup mieux que n’importe quelle cellule photovoltaïque. Et je pense que nous ne sommes pas allés au terme de la réflexion sur la biomasse.
Est-ce pour ne pas refermer l’éventail que le gouvernement n’a pas prononcé de moratoire sur les infrastructures routières ?
C’est un problème différent. Nous avons fixé clairement les objectifs dans le Grenelle de l’environnement, mais il nous faut désormais un comité interministériel d’aménagement du territoire pour les décliner et fixer la nouvelle carte des infrastructures. Chaque élu pense que la règle vaut pour les autres, surtout en période d’élections municipales. On nous parle de nouvelle civilisation, mais nos élus se demandent quand cela va se concrétiser. Ils veulent mener à bout leurs projets immédiats.
Si l’on suit les préconisations du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), nous allons devoir trancher à courte échéance et infléchir les émissions de gaz à effet de serre au plus tard en 2015. Y croyez-vous vraiment ?
Je vais vous donner mon point de vue personnel. J’ai commencé à travailler sur les questions de changement climatique en 1997. Quand nous parlions de gaz à effet de serre, personne ne savait de quoi il s’agissait et, dans le meilleur des cas, les gens confondaient cela avec le trou dans la couche d’ozone. En 2002, jeune députée, j’ai souhaité suivre les questions d’environnement. A l’époque, j’ai obtenu la présidence du groupe Santé et Environnement car cela n’intéressait personne. A contrario, regardez la prise de conscience qui a eu lieu en 2007. Tout cela va à une vitesse vertigineuse.
Sans doute, mais la conférence de Bali sur le climat a aussi montré toutes les limites de cette prise de conscience.
La déception est légitime. Les attentes des peuples étaient fortes. Mais Bali visait à lancer de nouvelles négociations, et cela s’est avéré plutôt fructueux, malgré des objectifs pas aussi chiffrés que nous l’aurions souhaité. Au sortir de la conférence, nous disposons tout de même d’un calendrier. Surtout, l’ensemble des pays développés a accepté de consentir des efforts comparables. Les Etats-Unis ont ainsi entériné l’idée que l’American way of life devait changer. Ce n’est pas rien.
Dans l’ouvrage Signons la paix avec la terre, Mathis Wackernagel explique qu’il dispose d’une équipe de 10 à 15 personnes pour calculer l’empreinte écologique de tous les pays du monde quand, en France, 7 000 personnes mesurent le produit intérieur brut (PIB) du pays. Pourquoi ne mesurons-nous pas notre empreinte écologique ?
Un comité opérationnel du Grenelle travaille sur la question des indicateurs de richesse (lire ci-contre). Les bilans carbone de différentes administrations et entreprises sont en passe d’être réalisés. Mais avec la réorganisation des ministères des Transports, de l’Equipement et de l’Ecologie, nous mesurons les difficultés à faire bouger nos administrations. Pendant trente ans, des services ont construit des routes. Ce n’est pas simple de leur dire désormais : « vous allez faire des transports en commun » sans que cela soit perçu comme une remise en cause. C’est paradoxalement plus difficile que de faire évoluer le consommateur.
Est-il possible de pousser le citoyen vers des modes de consommation sobres et responsables quand le discours politique dominant se focalise sur le pouvoir d’achat et la croissance à tout prix ?
Le terme « croissance » est très ambigu. Il a été assimilé à l’idée du bien-être et de la richesse, ce que tout le monde désire naturellement. Mais en même temps, ce n’est pas exactement ce que le PIB mesure. Il y a un décalage entre les espérances légitimes des gens et la façon dont on les décline en termes économiques. Par exemple, on nous demande des politiques de circulation douce et de transports propres, perçus comme un vecteur fort de qualité de la vie. Dans ma circonscription, on a créé il y a un an le premier arrêt de bus sur autoroute. A Briis-sous-Forges (Essonne), l’A10 n’offrait en effet pas d’entrée ou de sortie pour les voitures. L’autoroute ne représentait donc aucun bénéfice pour les habitants. Aujourd’hui, on peut laisser son vélo ou sa voiture dans un parking et un petit ascenseur vous conduit devant une porte qui s’ouvre seulement quand le bus arrive. Celui-ci vous mène ensuite directement au RER à Massy. Cette expérience innovante a fait monter le prix des maisons alentours. Et le bus est utilisé comme argument par les agents immobiliers. C’est complètement sous le signe de l’écologie, car cela évite de construire une nouvelle route. C’est du pouvoir d’achat puisque ça coûte moins cher de prendre un ticket de bus plutôt que sa voiture, et c’est de la croissance pour ceux qui en profitent.
La croissance reste tout de même présentée d’une façon quantitative et matérielle qui n’est pas tenable : elle est assise sur la consommation de 125 % des ressources renouvelables de la planète. Comment modifier ce modèle économique ?
Moi, je rêve d’avoir en France une collectivité capable de développer le même système qu’à Munich. Dans les années 1970, cette ville a renoncé à installer une coûteuse station d’épuration de l’eau pour investir dans la reconversion en « bio » de toute l’agriculture du bassin versant. Les Munichois ont passé des contrats avec les agriculteurs pour fournir toute la restauration collective de Munich. Ils n’ont pas eu besoin de financer l’épuration car ils n’avaient plus de problème de pollution agricole. En outre, ils ont gagné en mieux-être en approvisionnant la ville en produits biologiques et locaux. Je pense qu’en se fixant de tels objectifs, nous pouvons résoudre le problème. Pourquoi, par exemple, ne pas relocaliser certaines productions dans le monde agricole ? Il y a quelque chose d’aberrant à développer sans fin et à grands coups de transports émetteurs de gaz à effet de serre une agriculture de plus en plus intensive. Je suis favorable à une refonte en profondeur des accords de l’Organisation mondiale du commerce. Car ces accords favorisent une organisation des marchés qui n’est pas durable.
Il y aurait une révolutionnaire au gouvernement ?
Je ne suis pas une révolutionnaire. Mais prendre simplement en compte le coût écologique du transport me conviendrait.
Notre rêve de société de consommation est-il, selon vous, compatible avec les limites physiques de la planète ?
C’est une question que je me pose quand je vois le développement des gadgets très technologiques contenant des produits polluants. La solution n’est pas évidente. Nous sommes contraints de réduire les flux de matière. Mais comment savoir si cela se fera par du rationnement – car moins de gens pourront profiter d’outils peu optimisés –, par des ruptures technologiques qui permettront à chacun d’avoir son outil, ou enfin par une mutualisation à travers une économie des fonctionnalités ? Nous savons que le système actuel n’est pas durable, mais je conteste le terme de décroissance. Il est presque aussi faux que celui de croissance. La croissance ne permet pas de prendre en compte toute la complexité du monde contemporain et d’appréhender ce qu’est le concept de richesse. La décroissance comporte les mêmes erreurs car elle est encore dans le même paradigme. —
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Nathalie Kosciusko-Morizet , polytechnicienne et ingénieure de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, conseillait déjà le Premier ministre, en 2002, sur les questions d’écologie et de développement durable. Députée de l’Essonne, depuis 2002, la secrétaire d’Etat, 34 ans, est aussi conseillère régionale d’Ilede- France depuis 2004.
Moratoire sur les autoroutes, explosion des gaz à effet de serre, débat sur le PIB, calcul de l’empreinte écologique de la France, réforme de l’Organisation mondiale du commerce… Terra Economica n’a épargné aucun sujet à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, auprès de Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables.
N’y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de faire mieux – des voitures moins polluantes, par exemple, dont le bonus-malus fait la promotion – et des messages, publicitaires notamment, qui disent tout et son contraire ?
Bien sûr. Nous sommes dans une société en mutation, avec une palette de bonnes volontés, de vraies solutions et d’habillage vert de plus ou moins bonne foi sur des produits. Mais nous créons des systèmes pour que le consommateur puisse mettre ses actes d’achat en accord avec son éthique. Selon certains, nous allons vers ce que Dominique Bourg appelle « l’économie de fonctionnalité ». Dans une telle économie, vous n’avez pas besoin d’être propriétaire d’un bien pour l’utiliser. C’est le principe du Vélib’ ou bientôt de la « Voiturelib’ ». Avec plusieurs utilisateurs pour un même véhicule, on diminue les flux de matière et d’énergie.
Cela suffira-t-il vraiment ?
C’est beaucoup plus novateur que d’acheter une Toyota Prius [1]. Notre choix peut être critiqué, mais en créant des incitations, comme le bonusmalus, on envoie des signaux aux entreprises et aux consommateurs, sans imposer de suite une solution. Le bilan carbone de la voiture hydrogène est, par exemple, catastrophique : ce véhicule pèse très lourd et l’hydrogène est produit à l’aide d’un compresseur au gaz. Pourtant Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de Californie, prépare une autoroute avec des pompes à hydrogène. Certains pensent qu’il s’agit de l’avenir, d’autres ne croient plus aux transports individuels. Personnellement, il me semble que nous n’avons pas la légitimité pour refermer l’éventail. Il en va de même pour les énergies renouvelables : la vraie énergie solaire est celle que capture la plante, qui le fait beaucoup mieux que n’importe quelle cellule photovoltaïque. Et je pense que nous ne sommes pas allés au terme de la réflexion sur la biomasse.
Est-ce pour ne pas refermer l’éventail que le gouvernement n’a pas prononcé de moratoire sur les infrastructures routières ?
C’est un problème différent. Nous avons fixé clairement les objectifs dans le Grenelle de l’environnement, mais il nous faut désormais un comité interministériel d’aménagement du territoire pour les décliner et fixer la nouvelle carte des infrastructures. Chaque élu pense que la règle vaut pour les autres, surtout en période d’élections municipales. On nous parle de nouvelle civilisation, mais nos élus se demandent quand cela va se concrétiser. Ils veulent mener à bout leurs projets immédiats.
Si l’on suit les préconisations du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), nous allons devoir trancher à courte échéance et infléchir les émissions de gaz à effet de serre au plus tard en 2015. Y croyez-vous vraiment ?
Je vais vous donner mon point de vue personnel. J’ai commencé à travailler sur les questions de changement climatique en 1997. Quand nous parlions de gaz à effet de serre, personne ne savait de quoi il s’agissait et, dans le meilleur des cas, les gens confondaient cela avec le trou dans la couche d’ozone. En 2002, jeune députée, j’ai souhaité suivre les questions d’environnement. A l’époque, j’ai obtenu la présidence du groupe Santé et Environnement car cela n’intéressait personne. A contrario, regardez la prise de conscience qui a eu lieu en 2007. Tout cela va à une vitesse vertigineuse.
Sans doute, mais la conférence de Bali sur le climat a aussi montré toutes les limites de cette prise de conscience.
La déception est légitime. Les attentes des peuples étaient fortes. Mais Bali visait à lancer de nouvelles négociations, et cela s’est avéré plutôt fructueux, malgré des objectifs pas aussi chiffrés que nous l’aurions souhaité. Au sortir de la conférence, nous disposons tout de même d’un calendrier. Surtout, l’ensemble des pays développés a accepté de consentir des efforts comparables. Les Etats-Unis ont ainsi entériné l’idée que l’American way of life devait changer. Ce n’est pas rien.
Dans l’ouvrage Signons la paix avec la terre, Mathis Wackernagel explique qu’il dispose d’une équipe de 10 à 15 personnes pour calculer l’empreinte écologique de tous les pays du monde quand, en France, 7 000 personnes mesurent le produit intérieur brut (PIB) du pays. Pourquoi ne mesurons-nous pas notre empreinte écologique ?
Un comité opérationnel du Grenelle travaille sur la question des indicateurs de richesse (lire ci-contre). Les bilans carbone de différentes administrations et entreprises sont en passe d’être réalisés. Mais avec la réorganisation des ministères des Transports, de l’Equipement et de l’Ecologie, nous mesurons les difficultés à faire bouger nos administrations. Pendant trente ans, des services ont construit des routes. Ce n’est pas simple de leur dire désormais : « vous allez faire des transports en commun » sans que cela soit perçu comme une remise en cause. C’est paradoxalement plus difficile que de faire évoluer le consommateur.
Est-il possible de pousser le citoyen vers des modes de consommation sobres et responsables quand le discours politique dominant se focalise sur le pouvoir d’achat et la croissance à tout prix ?
Le terme « croissance » est très ambigu. Il a été assimilé à l’idée du bien-être et de la richesse, ce que tout le monde désire naturellement. Mais en même temps, ce n’est pas exactement ce que le PIB mesure. Il y a un décalage entre les espérances légitimes des gens et la façon dont on les décline en termes économiques. Par exemple, on nous demande des politiques de circulation douce et de transports propres, perçus comme un vecteur fort de qualité de la vie. Dans ma circonscription, on a créé il y a un an le premier arrêt de bus sur autoroute. A Briis-sous-Forges (Essonne), l’A10 n’offrait en effet pas d’entrée ou de sortie pour les voitures. L’autoroute ne représentait donc aucun bénéfice pour les habitants. Aujourd’hui, on peut laisser son vélo ou sa voiture dans un parking et un petit ascenseur vous conduit devant une porte qui s’ouvre seulement quand le bus arrive. Celui-ci vous mène ensuite directement au RER à Massy. Cette expérience innovante a fait monter le prix des maisons alentours. Et le bus est utilisé comme argument par les agents immobiliers. C’est complètement sous le signe de l’écologie, car cela évite de construire une nouvelle route. C’est du pouvoir d’achat puisque ça coûte moins cher de prendre un ticket de bus plutôt que sa voiture, et c’est de la croissance pour ceux qui en profitent.
La croissance reste tout de même présentée d’une façon quantitative et matérielle qui n’est pas tenable : elle est assise sur la consommation de 125 % des ressources renouvelables de la planète. Comment modifier ce modèle économique ?
Moi, je rêve d’avoir en France une collectivité capable de développer le même système qu’à Munich. Dans les années 1970, cette ville a renoncé à installer une coûteuse station d’épuration de l’eau pour investir dans la reconversion en « bio » de toute l’agriculture du bassin versant. Les Munichois ont passé des contrats avec les agriculteurs pour fournir toute la restauration collective de Munich. Ils n’ont pas eu besoin de financer l’épuration car ils n’avaient plus de problème de pollution agricole. En outre, ils ont gagné en mieux-être en approvisionnant la ville en produits biologiques et locaux. Je pense qu’en se fixant de tels objectifs, nous pouvons résoudre le problème. Pourquoi, par exemple, ne pas relocaliser certaines productions dans le monde agricole ? Il y a quelque chose d’aberrant à développer sans fin et à grands coups de transports émetteurs de gaz à effet de serre une agriculture de plus en plus intensive. Je suis favorable à une refonte en profondeur des accords de l’Organisation mondiale du commerce. Car ces accords favorisent une organisation des marchés qui n’est pas durable.
Il y aurait une révolutionnaire au gouvernement ?
Je ne suis pas une révolutionnaire. Mais prendre simplement en compte le coût écologique du transport me conviendrait.
Notre rêve de société de consommation est-il, selon vous, compatible avec les limites physiques de la planète ?
C’est une question que je me pose quand je vois le développement des gadgets très technologiques contenant des produits polluants. La solution n’est pas évidente. Nous sommes contraints de réduire les flux de matière. Mais comment savoir si cela se fera par du rationnement – car moins de gens pourront profiter d’outils peu optimisés –, par des ruptures technologiques qui permettront à chacun d’avoir son outil, ou enfin par une mutualisation à travers une économie des fonctionnalités ? Nous savons que le système actuel n’est pas durable, mais je conteste le terme de décroissance. Il est presque aussi faux que celui de croissance. La croissance ne permet pas de prendre en compte toute la complexité du monde contemporain et d’appréhender ce qu’est le concept de richesse. La décroissance comporte les mêmes erreurs car elle est encore dans le même paradigme. —
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Nathalie Kosciusko-Morizet , polytechnicienne et ingénieure de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, conseillait déjà le Premier ministre, en 2002, sur les questions d’écologie et de développement durable. Députée de l’Essonne, depuis 2002, la secrétaire d’Etat, 34 ans, est aussi conseillère régionale d’Ilede- France depuis 2004.
(Nathalie Kosciusko-Morizet (Crédit : Frédéric Stucin / MYOP) Moratoire sur les autoroutes, explosion des gaz à effet de serre, débat sur le PIB, calcul de l’empreinte écologique de la France, réforme de l’Organisation mondiale du commerce… Terra Economica n’a épargné aucun sujet à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, auprès de Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables.
N’y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de faire mieux – des voitures moins polluantes, par exemple, dont le bonus-malus fait la promotion – et des messages, publicitaires notamment, qui disent tout et son contraire ?
Bien sûr. Nous sommes dans une société en mutation, avec une palette de bonnes volontés, de vraies solutions et d’habillage vert de plus ou moins bonne foi sur des produits. Mais nous créons des systèmes pour que le consommateur puisse mettre ses actes d’achat en accord avec son éthique. Selon certains, nous allons vers ce que Dominique Bourg appelle « l’économie de fonctionnalité ». Dans une telle économie, vous n’avez pas besoin d’être propriétaire d’un bien pour l’utiliser. C’est le principe du Vélib’ ou bientôt de la « Voiturelib’ ». Avec plusieurs utilisateurs pour un même véhicule, on diminue les flux de matière et d’énergie.
Cela suffira-t-il vraiment ?
C’est beaucoup plus novateur que d’acheter une Toyota Prius [1]. Notre choix peut être critiqué, mais en créant des incitations, comme le bonusmalus, on envoie des signaux aux entreprises et aux consommateurs, sans imposer de suite une solution. Le bilan carbone de la voiture hydrogène est, par exemple, catastrophique : ce véhicule pèse très lourd et l’hydrogène est produit à l’aide d’un compresseur au gaz. Pourtant Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de Californie, prépare une autoroute avec des pompes à hydrogène. Certains pensent qu’il s’agit de l’avenir, d’autres ne croient plus aux transports individuels. Personnellement, il me semble que nous n’avons pas la légitimité pour refermer l’éventail. Il en va de même pour les énergies renouvelables : la vraie énergie solaire est celle que capture la plante, qui le fait beaucoup mieux que n’importe quelle cellule photovoltaïque. Et je pense que nous ne sommes pas allés au terme de la réflexion sur la biomasse.
Est-ce pour ne pas refermer l’éventail que le gouvernement n’a pas prononcé de moratoire sur les infrastructures routières ?
C’est un problème différent. Nous avons fixé clairement les objectifs dans le Grenelle de l’environnement, mais il nous faut désormais un comité interministériel d’aménagement du territoire pour les décliner et fixer la nouvelle carte des infrastructures. Chaque élu pense que la règle vaut pour les autres, surtout en période d’élections municipales. On nous parle de nouvelle civilisation, mais nos élus se demandent quand cela va se concrétiser. Ils veulent mener à bout leurs projets immédiats.
Si l’on suit les préconisations du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), nous allons devoir trancher à courte échéance et infléchir les émissions de gaz à effet de serre au plus tard en 2015. Y croyez-vous vraiment ?
Je vais vous donner mon point de vue personnel. J’ai commencé à travailler sur les questions de changement climatique en 1997. Quand nous parlions de gaz à effet de serre, personne ne savait de quoi il s’agissait et, dans le meilleur des cas, les gens confondaient cela avec le trou dans la couche d’ozone. En 2002, jeune députée, j’ai souhaité suivre les questions d’environnement. A l’époque, j’ai obtenu la présidence du groupe Santé et Environnement car cela n’intéressait personne. A contrario, regardez la prise de conscience qui a eu lieu en 2007. Tout cela va à une vitesse vertigineuse.
Sans doute, mais la conférence de Bali sur le climat a aussi montré toutes les limites de cette prise de conscience.
La déception est légitime. Les attentes des peuples étaient fortes. Mais Bali visait à lancer de nouvelles négociations, et cela s’est avéré plutôt fructueux, malgré des objectifs pas aussi chiffrés que nous l’aurions souhaité. Au sortir de la conférence, nous disposons tout de même d’un calendrier. Surtout, l’ensemble des pays développés a accepté de consentir des efforts comparables. Les Etats-Unis ont ainsi entériné l’idée que l’American way of life devait changer. Ce n’est pas rien.
Dans l’ouvrage Signons la paix avec la terre, Mathis Wackernagel explique qu’il dispose d’une équipe de 10 à 15 personnes pour calculer l’empreinte écologique de tous les pays du monde quand, en France, 7 000 personnes mesurent le produit intérieur brut (PIB) du pays. Pourquoi ne mesurons-nous pas notre empreinte écologique ?
Un comité opérationnel du Grenelle travaille sur la question des indicateurs de richesse (lire ci-contre). Les bilans carbone de différentes administrations et entreprises sont en passe d’être réalisés. Mais avec la réorganisation des ministères des Transports, de l’Equipement et de l’Ecologie, nous mesurons les difficultés à faire bouger nos administrations. Pendant trente ans, des services ont construit des routes. Ce n’est pas simple de leur dire désormais : « vous allez faire des transports en commun » sans que cela soit perçu comme une remise en cause. C’est paradoxalement plus difficile que de faire évoluer le consommateur.
Est-il possible de pousser le citoyen vers des modes de consommation sobres et responsables quand le discours politique dominant se focalise sur le pouvoir d’achat et la croissance à tout prix ?
Le terme « croissance » est très ambigu. Il a été assimilé à l’idée du bien-être et de la richesse, ce que tout le monde désire naturellement. Mais en même temps, ce n’est pas exactement ce que le PIB mesure. Il y a un décalage entre les espérances légitimes des gens et la façon dont on les décline en termes économiques. Par exemple, on nous demande des politiques de circulation douce et de transports propres, perçus comme un vecteur fort de qualité de la vie. Dans ma circonscription, on a créé il y a un an le premier arrêt de bus sur autoroute. A Briis-sous-Forges (Essonne), l’A10 n’offrait en effet pas d’entrée ou de sortie pour les voitures. L’autoroute ne représentait donc aucun bénéfice pour les habitants. Aujourd’hui, on peut laisser son vélo ou sa voiture dans un parking et un petit ascenseur vous conduit devant une porte qui s’ouvre seulement quand le bus arrive. Celui-ci vous mène ensuite directement au RER à Massy. Cette expérience innovante a fait monter le prix des maisons alentours. Et le bus est utilisé comme argument par les agents immobiliers. C’est complètement sous le signe de l’écologie, car cela évite de construire une nouvelle route. C’est du pouvoir d’achat puisque ça coûte moins cher de prendre un ticket de bus plutôt que sa voiture, et c’est de la croissance pour ceux qui en profitent.
La croissance reste tout de même présentée d’une façon quantitative et matérielle qui n’est pas tenable : elle est assise sur la consommation de 125 % des ressources renouvelables de la planète. Comment modifier ce modèle économique ?
Moi, je rêve d’avoir en France une collectivité capable de développer le même système qu’à Munich. Dans les années 1970, cette ville a renoncé à installer une coûteuse station d’épuration de l’eau pour investir dans la reconversion en « bio » de toute l’agriculture du bassin versant. Les Munichois ont passé des contrats avec les agriculteurs pour fournir toute la restauration collective de Munich. Ils n’ont pas eu besoin de financer l’épuration car ils n’avaient plus de problème de pollution agricole. En outre, ils ont gagné en mieux-être en approvisionnant la ville en produits biologiques et locaux. Je pense qu’en se fixant de tels objectifs, nous pouvons résoudre le problème. Pourquoi, par exemple, ne pas relocaliser certaines productions dans le monde agricole ? Il y a quelque chose d’aberrant à développer sans fin et à grands coups de transports émetteurs de gaz à effet de serre une agriculture de plus en plus intensive. Je suis favorable à une refonte en profondeur des accords de l’Organisation mondiale du commerce. Car ces accords favorisent une organisation des marchés qui n’est pas durable.
Il y aurait une révolutionnaire au gouvernement ?
Je ne suis pas une révolutionnaire. Mais prendre simplement en compte le coût écologique du transport me conviendrait.
Notre rêve de société de consommation est-il, selon vous, compatible avec les limites physiques de la planète ?
C’est une question que je me pose quand je vois le développement des gadgets très technologiques contenant des produits polluants. La solution n’est pas évidente. Nous sommes contraints de réduire les flux de matière. Mais comment savoir si cela se fera par du rationnement – car moins de gens pourront profiter d’outils peu optimisés –, par des ruptures technologiques qui permettront à chacun d’avoir son outil, ou enfin par une mutualisation à travers une économie des fonctionnalités ? Nous savons que le système actuel n’est pas durable, mais je conteste le terme de décroissance. Il est presque aussi faux que celui de croissance. La croissance ne permet pas de prendre en compte toute la complexité du monde contemporain et d’appréhender ce qu’est le concept de richesse. La décroissance comporte les mêmes erreurs car elle est encore dans le même paradigme.
Nathalie Kosciusko-Morizet , polytechnicienne et ingénieure de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, conseillait déjà le Premier ministre, en 2002, sur les questions d’écologie et de développement durable. Députée de l’Essonne, depuis 2002, la secrétaire d’Etat, 34 ans, est aussi conseillère régionale d’Ilede- France depuis 2004.
- (Nathalie Kosciusko-Morizet (Crédit : Frédéric Stucin / MYOP)
Moratoire sur les autoroutes, explosion des gaz à effet de serre, débat sur le PIB, calcul de l’empreinte écologique de la France, réforme de l’Organisation mondiale du commerce… Terra Economica n’a épargné aucun sujet à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, auprès de Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables.
N’y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de faire mieux – des voitures moins polluantes, par exemple, dont le bonus-malus fait la promotion – et des messages, publicitaires notamment, qui disent tout et son contraire ?
Bien sûr. Nous sommes dans une société en mutation, avec une palette de bonnes volontés, de vraies solutions et d’habillage vert de plus ou moins bonne foi sur des produits. Mais nous créons des systèmes pour que le consommateur puisse mettre ses actes d’achat en accord avec son éthique. Selon certains, nous allons vers ce que Dominique Bourg appelle « l’économie de fonctionnalité ». Dans une telle économie, vous n’avez pas besoin d’être propriétaire d’un bien pour l’utiliser. C’est le principe du Vélib’ ou bientôt de la « Voiturelib’ ». Avec plusieurs utilisateurs pour un même véhicule, on diminue les flux de matière et d’énergie.
Cela suffira-t-il vraiment ?
C’est beaucoup plus novateur que d’acheter une Toyota Prius [1]. Notre choix peut être critiqué, mais en créant des incitations, comme le bonusmalus, on envoie des signaux aux entreprises et aux consommateurs, sans imposer de suite une solution. Le bilan carbone de la voiture hydrogène est, par exemple, catastrophique : ce véhicule pèse très lourd et l’hydrogène est produit à l’aide d’un compresseur au gaz. Pourtant Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de Californie, prépare une autoroute avec des pompes à hydrogène. Certains pensent qu’il s’agit de l’avenir, d’autres ne croient plus aux transports individuels. Personnellement, il me semble que nous n’avons pas la légitimité pour refermer l’éventail. Il en va de même pour les énergies renouvelables : la vraie énergie solaire est celle que capture la plante, qui le fait beaucoup mieux que n’importe quelle cellule photovoltaïque. Et je pense que nous ne sommes pas allés au terme de la réflexion sur la biomasse.
Est-ce pour ne pas refermer l’éventail que le gouvernement n’a pas prononcé de moratoire sur les infrastructures routières ?
C’est un problème différent. Nous avons fixé clairement les objectifs dans le Grenelle de l’environnement, mais il nous faut désormais un comité interministériel d’aménagement du territoire pour les décliner et fixer la nouvelle carte des infrastructures. Chaque élu pense que la règle vaut pour les autres, surtout en période d’élections municipales. On nous parle de nouvelle civilisation, mais nos élus se demandent quand cela va se concrétiser. Ils veulent mener à bout leurs projets immédiats.
Si l’on suit les préconisations du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), nous allons devoir trancher à courte échéance et infléchir les émissions de gaz à effet de serre au plus tard en 2015. Y croyez-vous vraiment ?
Je vais vous donner mon point de vue personnel. J’ai commencé à travailler sur les questions de changement climatique en 1997. Quand nous parlions de gaz à effet de serre, personne ne savait de quoi il s’agissait et, dans le meilleur des cas, les gens confondaient cela avec le trou dans la couche d’ozone. En 2002, jeune députée, j’ai souhaité suivre les questions d’environnement. A l’époque, j’ai obtenu la présidence du groupe Santé et Environnement car cela n’intéressait personne. A contrario, regardez la prise de conscience qui a eu lieu en 2007. Tout cela va à une vitesse vertigineuse.
Sans doute, mais la conférence de Bali sur le climat a aussi montré toutes les limites de cette prise de conscience.
La déception est légitime. Les attentes des peuples étaient fortes. Mais Bali visait à lancer de nouvelles négociations, et cela s’est avéré plutôt fructueux, malgré des objectifs pas aussi chiffrés que nous l’aurions souhaité. Au sortir de la conférence, nous disposons tout de même d’un calendrier. Surtout, l’ensemble des pays développés a accepté de consentir des efforts comparables. Les Etats-Unis ont ainsi entériné l’idée que l’American way of life devait changer. Ce n’est pas rien.
Dans l’ouvrage Signons la paix avec la terre, Mathis Wackernagel explique qu’il dispose d’une équipe de 10 à 15 personnes pour calculer l’empreinte écologique de tous les pays du monde quand, en France, 7 000 personnes mesurent le produit intérieur brut (PIB) du pays. Pourquoi ne mesurons-nous pas notre empreinte écologique ?
Un comité opérationnel du Grenelle travaille sur la question des indicateurs de richesse (lire ci-contre). Les bilans carbone de différentes administrations et entreprises sont en passe d’être réalisés. Mais avec la réorganisation des ministères des Transports, de l’Equipement et de l’Ecologie, nous mesurons les difficultés à faire bouger nos administrations. Pendant trente ans, des services ont construit des routes. Ce n’est pas simple de leur dire désormais : « vous allez faire des transports en commun » sans que cela soit perçu comme une remise en cause. C’est paradoxalement plus difficile que de faire évoluer le consommateur.
Est-il possible de pousser le citoyen vers des modes de consommation sobres et responsables quand le discours politique dominant se focalise sur le pouvoir d’achat et la croissance à tout prix ?
Le terme « croissance » est très ambigu. Il a été assimilé à l’idée du bien-être et de la richesse, ce que tout le monde désire naturellement. Mais en même temps, ce n’est pas exactement ce que le PIB mesure. Il y a un décalage entre les espérances légitimes des gens et la façon dont on les décline en termes économiques. Par exemple, on nous demande des politiques de circulation douce et de transports propres, perçus comme un vecteur fort de qualité de la vie. Dans ma circonscription, on a créé il y a un an le premier arrêt de bus sur autoroute. A Briis-sous-Forges (Essonne), l’A10 n’offrait en effet pas d’entrée ou de sortie pour les voitures. L’autoroute ne représentait donc aucun bénéfice pour les habitants. Aujourd’hui, on peut laisser son vélo ou sa voiture dans un parking et un petit ascenseur vous conduit devant une porte qui s’ouvre seulement quand le bus arrive. Celui-ci vous mène ensuite directement au RER à Massy. Cette expérience innovante a fait monter le prix des maisons alentours. Et le bus est utilisé comme argument par les agents immobiliers. C’est complètement sous le signe de l’écologie, car cela évite de construire une nouvelle route. C’est du pouvoir d’achat puisque ça coûte moins cher de prendre un ticket de bus plutôt que sa voiture, et c’est de la croissance pour ceux qui en profitent.
La croissance reste tout de même présentée d’une façon quantitative et matérielle qui n’est pas tenable : elle est assise sur la consommation de 125 % des ressources renouvelables de la planète. Comment modifier ce modèle économique ?
Moi, je rêve d’avoir en France une collectivité capable de développer le même système qu’à Munich. Dans les années 1970, cette ville a renoncé à installer une coûteuse station d’épuration de l’eau pour investir dans la reconversion en « bio » de toute l’agriculture du bassin versant. Les Munichois ont passé des contrats avec les agriculteurs pour fournir toute la restauration collective de Munich. Ils n’ont pas eu besoin de financer l’épuration car ils n’avaient plus de problème de pollution agricole. En outre, ils ont gagné en mieux-être en approvisionnant la ville en produits biologiques et locaux. Je pense qu’en se fixant de tels objectifs, nous pouvons résoudre le problème. Pourquoi, par exemple, ne pas relocaliser certaines productions dans le monde agricole ? Il y a quelque chose d’aberrant à développer sans fin et à grands coups de transports émetteurs de gaz à effet de serre une agriculture de plus en plus intensive. Je suis favorable à une refonte en profondeur des accords de l’Organisation mondiale du commerce. Car ces accords favorisent une organisation des marchés qui n’est pas durable.
Il y aurait une révolutionnaire au gouvernement ?
Je ne suis pas une révolutionnaire. Mais prendre simplement en compte le coût écologique du transport me conviendrait.
Notre rêve de société de consommation est-il, selon vous, compatible avec les limites physiques de la planète ?
C’est une question que je me pose quand je vois le développement des gadgets très technologiques contenant des produits polluants. La solution n’est pas évidente. Nous sommes contraints de réduire les flux de matière. Mais comment savoir si cela se fera par du rationnement – car moins de gens pourront profiter d’outils peu optimisés –, par des ruptures technologiques qui permettront à chacun d’avoir son outil, ou enfin par une mutualisation à travers une économie des fonctionnalités ? Nous savons que le système actuel n’est pas durable, mais je conteste le terme de décroissance. Il est presque aussi faux que celui de croissance. La croissance ne permet pas de prendre en compte toute la complexité du monde contemporain et d’appréhender ce qu’est le concept de richesse. La décroissance comporte les mêmes erreurs car elle est encore dans le même paradigme. —
Nathalie Kosciusko-Morizet , polytechnicienne et ingénieure de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, conseillait déjà le Premier ministre, en 2002, sur les questions d’écologie et de développement durable. Députée de l’Essonne, depuis 2002, la secrétaire d’Etat, 34 ans, est aussi conseillère régionale d’Ilede- France depuis 2004.