Et si le libéralisme se retournait contre la liberté et devenait un outil d'esclavagisme des hommes et de la nature ? Cette question, qui peut paraître surprenante dans ma bouche ne se trouve t'elle pas posée avec simultanément la libéralisation des OGM dans le projet de loi transformé par le Sénat et la condamnation des semences traditionnelles ? En effet, la semaine dernière, l'association Kokopelli qui milite en faveur des semences anciennes et sauvegarde plus de 2500 variétés qu'elle commercialise vient d'être lourdement condamnée pour avoir vendu ses semences , soit 17500 euros à l'Etat et 5000 euros à la fédération des industriels de la semence (FNPSPF).
Pour quelles raisons ?
Parce qu'il est désormais interdit en France de commercialiser les semences anciennes , qui sont le fruit de 12000 ans de travail, car elles seraient devenues dangereuses....
Pour qui ?
Alors que chacun reconnaît l'urgence de sauver la biodiversité , que la FAO a, dans un rapport récent , souligné que ces semences sont une des solutions pour assurer la souveraineté alimentaire, face aux dérèglements climatiques et à l'augmentation de la population mondiale , pourquoi interdire leur commercialisation , alors même que les grandes surfaces vendent les fruits et légumes qui en sont issus ?
Pourquoi cet acharnement , alors que ces semences constituent notre asssurance-vie, dans l'hypothèse où les dérives de l'agrochimie nécessiteraient de retrouver les bases génétiques de notre alimentation ?
Comment , enfin , prétendre lutter pour la liberté, lorsqu'il s'agit d'autoriser la mise en culture des OGM et refuser cette liberté lorsqu'ils 'agit de cultiver des plantes anciennes ?
La réponse est évidemment dans l'appropriation du vivant et l'interdiction faite aux agriculteurs de produire en recourant à des semences reproductibles, sans recourir à l'agrosemence, c'est-à-dire de garder leur autonomie . Il faut donc voir un symbole fort dans le fait qu'au même moment, la culture de plantes anciennes , respectueuses de la biodiversité est sévèrement condamnée, -car cette condamnation entraîne à la ruine les paysans de Kokopelli- et les OGM plébiscitées par le Sénat, qui, sur le rapport d'un des amis les plus sûrs des fabricants d' OGM, M.Bizet, s'apprête à voter une des lois les plus laxistes en Europe . Car, indépendamment des questions liées à l'impact environnemental- indéniable - et à l'impact sanitaire -possible- des OGM, deux questions fondamentales pour notre avenir sont posées : celle du maintien de la biodiversité et celle de la brevetabilité du vivant. Or le choix évident de la technostructure, même si le Grenelle a mis en évidence le contraire , est en défaveur de la biodiversité et pour l'appropriation du vivant par l'agro-industrie .
Opter pour la biodiversité, implique outre un moratoire sur les OGM tant que la question de la coexistence n'est pas techniquement réglée, la liberté de cultiver les plantes anciennes et même leur encouragement grâce à non seulement à des banques de gènes mais à la création d'un répertoire des variétés existantes localement , en risque d'érosion génétique permettant une inscription libre et gratuite, fondée sur l'absence de restriction géographique et quantitative et assurant la liberté de restaurer la biodiversité . Ceux qui le souhaitent doivent pouvoir continuer à cultiver des espèces anciennes vouées autrement à la disparition.
Or, c'est précisément ce que veulent empêcher les promoteurs des OGM et de l'agriculture chimique, alors même que leur discours est fondé sur la liberté de produire Mais c'est d'une liberté bien particulière dont il s'agit puisqu'elle revendique l'interdiction de produire pour les agriculteurs utilisant les semences anciennes , et plus largement, l'interdiction de produire pour tous ceux qui n'auront pas acquitté la redevance sur le brevet . . Entendons nous bien. Il ne s'agit pas de défendre les fauchages volontaires, même si la sanction pénale envisagée par le sénat est sans rapport avec la gravité de l'infraction. Il s'agit de défendre la liberté de produire sans OGM et même avec des semences anciennes, ce qui devient une infraction. Alors que sort cette semaine un ouvrage au vitriol sur les pratiques de Monsanto, de l'agent orange aux OGM en passant par les PCB, la question de la coexistence techniquement possible entre une agriculture conventionnelle et une agriculture OGM est à terme celle de pouvoir produire en gardant une souveraineté alimentaire, c'est-à-dire sans dépendre des brevets détenus aujourd'hui à plus de 70% par Monsanto.
Comment comprendre l'absence de vision économique et historique de ceux qui défendent , au nom de l'économie, et de la liberté des échanges, la diffusion des OGM, alors qu'ils scient la branche sur laquelle ils sont assis puisque cela équivaut à abandonner toute sécurité alimentaire , voire même toute concurrence pour accepter de s'en remettre en quasi-totalité à Monsanto, car même Limagrain dépend largement pour ses brevets de Monsanto.
Alors que notre intérêt national, communautaire et de simple terrien serait de nous battre pour restaurer une biodiversité qui est la condition de notre existence- ce qui ne signifie évidemment pas abandonner la recherche sur les biotechnologies pour trouver une réponse à la coexistence et éventuellement mettre en ?uvre des plantes adaptées aux nouvelles conditions climatiques- et assurer notre indépendance alimentaire en matière de production, il semble que le Parlement veuille suivre une voie opposée. Les amendements adoptés par le Sénat à un projet qui méritait déjà des améliorations importantes sur la transparence en particulier dans le domaine des études sur la santé et sur la responsabilité et l'assurance sont plus qu'inquiétants : suppression de toute représentation effective de la société civile au sein de la commission chargée de donner son avis sur les OGM pour en réserver l'accès aux seuls biologistes défendant les OGM ce qui revient à donner le pouvoir directement aux lobbys, aucune obligation ni transparence concernant les études sur la santé, disparition de l'assurance obligatoire au bénéfice d'une petite mutualisation des dommages immédiats aux cultures voisines, à la charge des agriculteurs en oubliant les détenteurs de brevets etc...Mais au-delà, c'est de notre liberté de produire et de consommer et de notre obligation de sauvegarder la biodiversité qu'il s'agit.