Le Mali est peuplé de vingt-sept ethnies. On dit que Bako Dagnon connaît l’histoire de chacune d’elles. On affirme aussi que le maire cultivateur de Niafunké, Ali Farka Touré (1939-2006), le plus grand vendeur de disques malien en Occident ces derniers temps, la consultait pour son savoir des chansons et des généalogies mandingues.
Bako Dagnon a fait un passage éclair début décembre à Paris pour présenter son premier album hors du Mali: chant hypnotique, récitation ample et irrésistible. Une musique distinguée produite par François Bréant, connaisseur des arpèges du mandé depuis 1987 où il a réalisé Soro, le manifeste recherché de Salif Keita, voix la plus ferme du Sahel, avant de travailler avec Thione Seck et Idrissa Soumaoro, deux chants indispensables du Mali, ou le puissant Guinéen Sekouba Bambino.
Griots. Collaborateur en leurs temps de Ronnie Bird, Alan Stivell, Magma ou Lavilliers, Bréant réalise pour Bako Dagnon un disque aux musiques sophistiquées où de petites touches de modernisme soulignent l’enracinement du répertoire de la cantatrice, forte de ses trente-cinq ans de carrière et surtout d’un long lignage griotique. Flûte, violon, harmonica, guitare composent des harmonies fluides, épurées pour des incantations sans âge. Bako Dagnon chante des contes à la fois précis et magiques, comme son demi-sourire énigmatique.
Après cinq cassettes réalisées au Mali, ce premier album à vocation internationale a été enregistré à Bamako, au Bogolon, le studio le plus couru du Mali, certainement le pays le plus musical d’Afrique, mais où l’ampleur du piratage ces dernières années a écœuré plus d’un producteur.
D’ailleurs, c’est au Bogolon, du nom d’un noble tissu du Mali, que Bako Dagnon a enregistré, il y a trois ans, sa première collaboration à un projet international, Mandekalou, deux disques rassemblant la fine fleur de la tradition et de la modernité maliennes. Elle y paraît en boubou, ronde et sensuelle, le port souverain, déclamant quelque épisode épique de l’empire mandingue fondé au XIIIe siècle à partir des ethnies Malinké, Bambara et Dioula. Aujourd’hui, elle chante les troubadours d’antan, l’amour, la splendeur féminine, les forgerons respectés et redoutés, la gloire d’un descendant du Prophète ou l’épopée du chasseur Donsoké, qui engrossa l’épouse du roi sans savoir qu’elle était reine. Bako reprend un culte maternel, son émouvant Bélé Bélé improvisé en 1972.
Encyclopédie. Originaire de la région de Kita, près de la frontière guinéenne, réputée pour l’éloquence de ses griots, Bako suit, très jeune, sa mère animatrice de cérémonies familiales et entame ainsi son apprentissage encyclopédique des cultures ethniques du pays. Elle est recrutée en 1974 pour dix ans au sein de l’Ensemble instrumental du Mali, orchestre national créé en 1961 par le président Modibo Keita, père socialiste de l’indépendance du Mali, par où sont passés nombre d’artistes prestigieux du pays. A l’exemple de Bazouma Sissoko dit Vieux Lion, incarnation de la tradition malienne qui fait chanter chez lui Bako pour l’authenticité de sa voix, son lyrisme économe.
Il paraît que de nombreux amateurs français écoutent en boucle le disque international de Bako Dagnon, cette fameuse connexion «tradimoderne», comme on l’appelle désormais. Ne dit-elle pas d’ailleurs qu’«une chanson ne se finit jamais» ?