Par Alain Grandjean, Patrick Criqui et Jean-Marc Jancovici. Entre les partisans d'une croissance "as usual", qui se heurte irrémédiablement aux limites de la planète, et ceux de la décroissance, souvent vue comme un retour au Moyen Âge, peut-on donner un contenu concret et mobilisateur a une autre croissance ?
La découverte (récente) du fait que la Terre est finie montre que la croissance illimitées de la consommation de ressources non renouvelables est strictement impossible. De la même manière nous devrons réduire inéluctablement nos émissions de gaz a effet de serre. La généralisation a l'ensemble de l'humanité du mode de vie américain et même européen est impossible. Il n'y a tout simplement pas assez de pétrole pour faire rouler des voitures en Chine si leur taux d'équipement devenait similaire au notre. Les exportateurs occidentaux et les importateurs orientaux en feront un jour ou l'autre la découverte cuisante. Autre exemple : il est strictement impossible de prolonger indéfiniment la croissance actuelle du trafic aérien. Le rêve de la mobilité sans limite pour tous se heurte aux réalités.
Est-ce pour autant la fin du "développement" et la preuve de la nécessite de la décroissance de l'activité économique ? Nous ne le pensons pas et nous ne le souhaitons pas. On imagine en effet trop bien quels pourraient être les résultats sociaux catastrophiques d'une décroissance prolongée : l'entrée dans la dépression généralisée et le désespoir.
Comment par ailleurs la decroissance economique pourrait-elle permettre les mutations rapides de l'economie vers un modele ecologiquement soutenable : comment produire une energie propre en quantite suffisante pour 9 milliards d'hommes en 2050 sans investissements massifs et sans innovations technologiques ?
Cela va necessiter des moyens de recherche et de developpement importants et tous azimuts : des technologies "rustiques", comme la construction et le chauffage au bois, a des innovations radicales dans les technologies du photovoltaique ou les nanotechnologies pour le recyclage ; dans tous les secteurs, de l'agriculture, qui devra developper une "chimie verte", a l'urbanisme, qui devra inventer des organisations spatiales optimales au plan energetique.
Nous ne concilierons les imperatifs ecologiques et sociaux qu'en reussissant a decoupler entierement l'activite economique et sa traduction monetaire, d'une part (qui peut continuer a croitre au niveau mondial), de la consommation (ou plutot de la destruction) de matieres et de l'energie, d'autre part. Comment faire ?
Il va falloir que nous nous imposions des contraintes globales incontournables definies par les capacites des ecosystemes a nous fournir les ressources et les services de maniere soutenable. Grace a une architecture adaptee de quotas, de taxes et de reglements, nous creerons un cadre a l'action decentralisee des acteurs, qui ne pourront plus raisonner hors contrainte et devrons donc developper de nouvelles solutions. Il en resultera des innovations parfois radicales et des investissements massifs pour la preservation et la restauration de l'environnement et des services ecologiques, creant ainsi par ailleurs de nouveaux emplois. Les consommateurs devront s'accommoder d'une certaine sobriete dans la consommation materielle. Mais pas necessairement d'une perte de confort et de qualite de vie. Un seul exemple : ce qui nous interesse c'est de vivre dans une maison temperee, pas de bruler des calories.
La "croissance durable" reste a inventer. Mais "sobriete, investissement, emploi et innovation dans le respect et la restauration de l'environnement", voila un beau defi a relever pour les generations du XXIe siecle. Un "plan Marshall ecologique" peut etre un projet mobilisateur pour tous les jeunes, y compris ceux que nous ne savons pas aujourd'hui accueillir correctement dans la societe.
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