Plus de 2 millions d'arbres en forêts tropicales appartenant à près de 5000 espèces, répartis sur 12 sites et 3 continents, ont été suivis depuis les années 1980. Objectifs de cette étude du CNRS de grande envergure : analyser la capacité de stockage en carbone des forêts tropicales et mesurer l'effet des changements climatiques sur leur fonctionnement.
Ce travail est réalisé par une équipe internationale coordonnée par Jérôme Chave (1), chercheur au CNRS . Leurs résultats, publiés le 4 mars 2008 dans Plos Biology, suggèrent que les forêts tropicales étudiées sont bien des puits de carbone, mais qu'elles semblent réagir principalement à des phénomènes intrinsèques, plutôt qu'aux changements climatiques. Ils montrent la complexité du fonctionnement des écosystèmes forestiers, leur fragilité et l'importance de lutter pour leur conservation.
Les forêts tropicales représentent près des deux tiers de la biodiversité terrestre et stockent plus de la moitié du carbone de la biosphère. Des études récentes prédisent que dans un environnement enrichi en dioxyde de carbone, des modifications physiologiques s’opéreraient chez les plantes tropicales. Leur fonctionnement serait modifié, leur biomasse augmenterait et elles séquestreraient plus de carbone (2). Dans ces conditions, les espèces d'arbres à croissance rapide seraient favorisées par rapport aux espèces à croissance lente. Globalement, les puits de carbone constitué par les forêts tropicales contribueraient à limiter les émissions atmosphériques de carbone fossile.
Le groupe de recherche international dirigé par le Smithsonian Tropical Research Institute et coordonné par Jérôme Chave a testé pour la première fois ces hypothèses en utilisant des inventaires forestiers mis en place depuis le début des années 1980. Ce projet réunit 38 collaborateurs dans 15 pays. Plus de 2 millions d'arbres de plus de 1 cm de diamètre appartenant à près de 5000 espèces y ont été inventoriés. Les chercheurs ont mis au point des méthodes statistiques nouvelles permettant, pour une espèce donnée, d’estimer la biomasse des arbres en fonction de la densité du bois et du diamètre du tronc. Ils ont aussi pu définir deux groupes d’espèces : celles à croissance rapide et celles à croissance lente. Dans chaque parcelle étudiée, ils ont réalisé des bilans de carbone à l’échelle de l’écosystème et pour chacun de ces groupes d’espèces.
Jérôme Chave et ses collaborateurs ont confirmé que la capacité de stockage en carbone avait augmenté significativement au cours des deux dernières décennies. Les forêts tropicales anciennes sont donc bien des puits importants de carbone. Quel est le mécanisme à l’origine de cette séquestration de carbone ? Dans tous les sites à l'exception d'un seul, les espèces à croissance lente ont augmenté en biomasse, mais pas les espèces à croissance rapide (3). Il n’y a donc pas d’évidence claire que les forêts tropicales aient modifié leur fonctionnement en réponse aux changements climatiques dans les deux dernières décennies. Ces résultats suggèrent plutôt que ces forêts sont en train de se reconstituer après des perturbations passées. Par conséquent, les forêts tropicales ne pourront pas limiter l’augmentation rapide du dioxyde de carbone atmosphérique pendant encore très longtemps.
L’origine des perturbations des forêts tropicales dont nous voyons encore aujourd’hui la trace reste un mystère. Une hypothèse parfois avancée est que les hommes ont altéré ces forêts depuis plus longtemps qu’on ne le croit habituellement. Cependant, des événements climatiques ou des processus intrinsèques à l’écosystème (par exemple des attaques par des agents pathogènes) auraient pu aussi avoir le même effet. Une étude plus détaillée de ces perturbations naturelles permettrait de mieux comprendre les conséquences que peuvent provoquer des activités humaines sur les forêts tropicales. L’observation des variations de long terme dans les sites d’études suggère notamment que ces forêts sont particulièrement sensibles aux épisodes de sécheresse. Or certains modèles de prévision climatique prédisent une diminution des précipitations sur les forêts tropicales dans les prochaines décennies. Ainsi, même si l’effet des changements climatiques sur le fonctionnement de ces forêts n’est pas démontré dans l’étude, il est probable que cet effet joue un rôle de plus en plus important dans les années futures… Il est donc primordial de poursuivre ces études à grande échelle et de lutter pour la conservation des forêts tropicales.
Travail de mesure à Panama, sur le site de Barro Colorado Island.
© Jérôme Chave / CNRS
(ces visuels sont disponibles auprès de la photothèque du CNRS, [email protected]).
Notes :
(1) Jérôme Chave est chercheur au laboratoire Evolution et diversité biologique (CNRS/Université Toulouse 3/Ecole nationale de formation agronomique)
(2) La biomasse forestière est la quantité de matière vivante constituée par les arbres d'une forêt, toutes composantes comprises (racines, branches, feuilles, etc.). Elle est constituée pour moitié de carbone.
(3) Un seul site contredit cette tendance générale, dans la forêt de Sinharaja au Sri Lanka. Cette forêt montre une décroissance de la biomasse sur pied et une augmentation des espèces à croissance rapide. Mais une inspection plus détaillée des résultats montre qu'une seule espèce d'arbres de canopée, appelée localement « bois-de-fer » (Mesua nagassarium), a vu ses effectifs décroître de manière dramatique, peut-être sous l'effet d'une attaque de pathogènes spécifiques.
Références :
Assessing evidence for a pervasive alteration in tropical tree communities
Jérôme Chave, Richard Condit, Helene C. Muller-Landau, Sean C. Thomas, Peter S.Ashton, Sarayudh Bunyavejchewin, Leonardo L. Co, Handanakere S. Dattaraja, Stuart J. Davies, Shameema Esufali, Corneille E.N. Ewango, Kenneth J. Feeley, Robin, B. Foster, Nimal Gunatilleke, Savitri Gunatilleke, Pamela Hall, Terese B. Hart, Consuelo Hernández, Stephen P. Hubbell, Akira Itoh, Somboon Kiratiprayoon, James V. LaFrankie, Suzanne Loo de Lao, Jean-Rémy Makana, Md. Nur Supardi, Noor, Abdul Rahman Kassim, Cristián Samper, Raman Sukumar, Hebbalalu S.Suresh, Sylvester Tan, Jill Thompson, Ma. Dolores C. Tongco, Renato Valencia, Martha Vallejo, Gorky Villa, Takuo Yamakura, Jess K. Zimmerman, Elizabeth C.Losos
Plos Biology. 4 mars 2008
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