Une expérimentation montre qu'une vigne fortement contaminée par l'oïdium produit un jus inexploitable. Un problème qui serait augmenté par le réchauffement. C'est en substance la conclusion de deux ans d'expérimentations conduites à l'ICV (Institut coopératif du vin) de Montpellier. L'Oïdium est un champignon qui agresse tous les organes verts de la plante. Les baies se fendent et peuvent même tomber. Il se développe lors des périodes de chaleur accompagnées d'humidité. Précision utile : l'expérimentation de l'ICV a été financée par le vendeur de produits phytosanitaires BASF.
On tire de certains vins plus de plaisir à les vidanger au crachoir qu'à les garder en bouche. La série que fait goûter Jacques Rousseau rebute dès le nez. L'oenologue de l'Institut coopératif du vin (ICV) avait bien prévenu. Un petit vin de table vinifié à 100 % en Carignan, un cépage sympathique mais qu'on préfère bien accompagné. Pas de quoi cependant dégager le moisi et la rafle.Le coupable est ailleurs, c'est un champignon parasite des vignes, dit l'oïdium, et les viticulteurs vont paraît-il devoir s'y habituer, la faute au réchauffement climatique.
On savait que l'évolution du climat perturbe la vigne mais elle devrait aussi favoriser les attaques de ce pathogène. Or l'oïdium et la qualité du vin font mauvais ménage. C'est en substance la conclusion de deux ans d'expérimentations conduites à l'ICV de Montpellier. Jusqu'alors, on entendait surtout les vignerons vanter les vertus des dernières années, dont la sécheresse concentre le raisin.
Arômes indésirables
Les agronomes de l'institut ont sacrifié une parcelle de Carignan dans la région de Fitou. Ils ont laissé ces souches, naturellement fragiles aux champignons, se faire coloniser par l'oïdium à des degrés divers. En dosant la protection chimique des pieds, les chercheurs ont obtenu des taux de contamination allant de 5 % à 100 % des grappes. Au chai, les oenologues ont réalisé des assemblages de lots contaminés et sains pour isoler des jus touchés par l'oïdium à 0, 4, 8, 13, 17 et 30 %. Les expérimentateurs ont ensuite cherché à vérifier si la méthode de vinification permet de nuancer l'effet de l'oïdium. Chaque jus a donc été traité par trois méthodes, du plus bas de gamme au plus sophistiqué.
Un jury de dégustateurs a ensuite enduré une longue évaluation de cette délicieuse combinatoire. « Notre métier n'a pas que des bons côtés », rit Jacques Rousseau. Les goûteurs ont d'abord été surpris par la qualité de certains échantillons : « Jusqu'à 8 % d'oïdium, on constate que les vins progressent un peu par rapport au grenache sain. Ils sont plus confiturés, perdent en amertume et en sécheresse. » Au-delà, les défauts s'accumulent. L'astringence augmente mais les tanins sont désagréables. Pire, les fruits rouges qui font les vins de table agréables s'effondrent. Et ce, quelle que soit la vinification adoptée. La correction au chai serait donc illusoire.
L'oïdium gâte le vin de plusieurs façons. Le parasite freine d'abord le développement de la plante. Il se fixe sur les feuilles, les fleurs et développe un duvet de poils très fins, difficile à détecter si l'on n'est pas bon technicien. La contamination devient vraiment visible trois semaines plus tard, une fois que les fongicides sont inopérants. « On ne peut pas piloter à vue », résume Bernard Molot, biologiste à l'Institut technique de la vigne. Les viticulteurs traitent donc systématiquement.
Pendant la floraison, les grains de raisin croissent moins, la peau perd en souplesse, des petits trous s'ouvrent et la grappe peut aller jusqu'à éclater et perdre du jus. La porte est alors grande ouverte aux autres maladies de la vigne. Dans le meilleur des cas, le jus concentre plus de potassium et d'acidité, les tanins sont plus serrés. Jacques Rousseau explique la coloration plus verte du vin par la réduction des pigments anthocyanes. Les arômes, eux, se dégradent à cause de l'altération de la pellicule du raisin, dont ils proviennent. Les analyses de l'Institut national de recherche agronomique (Inra) par chromatographie en phase gazeuse ont confirmé une explosion de 124 % des arômes indésirables.
Migration vers le nord
Laurent Huber, de l'Inra, estime que l'impact du réchauffement sur l'oïdium reste encore peu étudié, mais les premiers travaux montrent effectivement une augmentation du risque. Un chercheur italien a corrélé les modèles de prévision climatique à la propagation du mildiou, l'autre champignon qui inquiète les viticulteurs. L'augmentation des températures et l'intensification du cycle hydrologique vont favoriser les épidémies. Entre aujourd'hui et 2080, le nombre de traitements par fongicide pourrait grimper de 6 à 9 passages par an.
Bernard Molot prévoit que l'oïdium va se répandre dans le vignoble français alors qu'il se limite historiquement au Sud-Est. Comme le mildiou, l'oïdium aime l'humidité mais, contrairement à beaucoup de champignons, il n'aime pas beaucoup l'eau liquide et fuit les feuilles lubrifiées par les pluies. Le parasite est surtout adepte de chaleur. Le réchauffement devrait donc le faire migrer vers certaines régions plus au nord.
Précision utile quand même : l'expérimentation de l'ICV a été financée par le vendeur de produits phytosanitaires BASF. La démonstration paraît donc cousue de fil blanc : viticulteurs, n'ayez pas la main légère sur la sulfateuse, sinon gare à vos vins. « Les viticulteurs se focalisent sur le mildiou mais ils ne doivent pas sous-estimer l'oïdium, sous peine d'avoir des problèmes à l'avenir », prévient-on chez BASF. Les détracteurs de l'agriculture chimique peuvent hurler à la manipulation, mais le souffre est aussi utilisé par la viticulture biologique, plus parcimonieusement quand même. Bernard Molot conseille, lui, de traiter très précocement les pieds, « dès l'apparition de trois ou quatre feuilles ». Les biologistes ont une autre proposition potentiellement très efficace, mais moins consensuelle : les OGM... Le séquençage récent de la vigne domestique aurait permis d'identifier un gène qui protégerait de l'oïdium.