Le Monde titrait en "une", le 14 avril, sur la flambée du prix des denrées alimentaires. Le Caire, Dakar, Douala, Abidjan : la rue gronde, les manifestations se multiplient. Si elle pénalise le pouvoir d'achat du consommateur européen, l'envolée simultanée des prix du pétrole et des denrées alimentaires de première nécessité affecte dorénavant la stabilité politique de certains pays du Sud.
Le prix moyen d'un repas de base a augmenté de 40 % en l'espace d'une année dans certains pays africains dont la moitié des populations vit avec moins de 1 dollar par jour. Cela signifie le retour de la faim dans des régions qui s'en étaient émancipées. Or plusieurs phénomènes d'ordre structurel, du côté de l'offre (effets du changement climatique, faiblesse des stocks et compétition des biocarburants pour les terres agricoles) comme de la demande (croissance démographique, changements alimentaires dans les pays émergents), laisse présager la persistance de prix élevés dans les prochaines années.
A court terme, il n'existe pas de solution satisfaisante pour les gouvernements concernés. Pour un Etat importateur de produits alimentaires et de pétrole, l'envolée concomitante de leurs prix grève les finances publiques. Face au mécontentement grandissant de leurs citoyens, les gouvernements sont contraints de répondre aux besoins immédiats de la population. Des interventions souvent faites au détriment des investissements de long terme, qui seuls permettront à l'Afrique d'échapper durablement au spectre de la pénurie alimentaire. Les interventions publiques d'urgence, nécessaires pour amortir le choc subi par les plus pauvres, ne doivent pas se faire aux dépens de l'adaptation de l'agriculture africaine à cette nouvelle donne mondiale.
L'Afrique est aujourd'hui importateur net de denrées alimentaires. Or les projections indiquent que sa population devrait plus que doubler dans les quarante prochaines années, passant d'environ 800 millions aujourd'hui à 1,8 milliard d'habitants en 2050. La population des villes africaines, la plus vulnérable à la hausse actuelle des prix, devrait quant à elle tripler en seulement deux décennies. Mais, face à l'envolée des cours, le continent ne peut plus se permettre de laisser son déficit commercial agricole s'accroître. Non seulement parce que les prix seront durablement élevés, mais aussi parce que la disponibilité des produits sur le marché international n'est plus assurée si les pays exportateurs réduisent leur exportation pour garantir leur propre sécurité alimentaire.
Pour se préserver de crises alimentaires endémiques, l'Afrique devra donc compter sur son propre potentiel agricole. Elle doit transformer le formidable défi de la hausse des prix en une chance pour son développement économique. L'agriculture africaine a en effet gravement souffert par le passé de la baisse continue des prix des denrées agricoles sur les marchés mondiaux. Avec des produits importés de plus en plus chers, les prix des produits africains vont redevenir attractifs. Les villes du continent devront davantage se tourner, pour leur approvisionnement, vers les marchés locaux, nationaux et régionaux.
Les campagnes seront-elles capables de répondre rapidement à cette demande croissante ? C'est là tout l'enjeu de nos politiques d'accompagnement - et la véritable solution aux difficultés actuelles. L'agriculture africaine possède un fort potentiel de développement, avec un avantage comparatif par rapport aux autres régions du monde. Malgré d'importantes disparités géographiques, et contrairement à une idée répandue, le continent dispose, en effet, de ressources hydriques abondantes mais insuffisamment exploitées. Il bénéficie également d'importantes réserves de terres et de main-d'oeuvre. En outre, l'agriculture africaine étant très faiblement mécanisée, peu utilisatrice d'engrais et très insuffisamment accompagnée par la recherche agronomique, ses marges de productivité restent considérables.
Mais le nécessaire accroissement de la production agricole africaine ne pourra se faire qu'au prix d'ajustements sérieux. Il est du devoir et de l'intérêt de la communauté internationale d'accompagner ces efforts pour que les campagnes africaines puissent à l'avenir nourrir les villes du continent, et les villes jouer pleinement leur rôle de fournisseurs de services pour les campagnes. Cela passera en premier lieu par l'amélioration des liaisons entre espaces ruraux et urbains, afin de favoriser l'apport en intrants modernes et l'accès des exploitants aux marchés locaux.
Cela nécessitera un appui à l'agriculture vivrière par des systèmes spécifiques de crédit et d'assurance. Il faudra enfin aider l'agriculture africaine à s'adapter aux changements climatiques en cours et à choisir des techniques respectueuses de l'environnement. Dès aujourd'hui, la communauté internationale peut aider les agriculteurs pauvres à avoir accès aux semences et aux engrais devenus trop coûteux : c'est le sens de l'initiative contre la hausse des prix alimentaires lancée à Rome en décembre 2007.
Le contexte alimentaire mondial a changé. L'Afrique peut relever ce défi et transformer la crise actuelle en opportunité de développement. Son agriculture doit pour cela être soutenue au-delà des réponses d'urgence. La responsabilité des pays développés est de permettre à l'Afrique d'augmenter rapidement sa production agricole. Le sommet de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur la sécurité alimentaire au mois de juin offrira aux hauts dirigeants du monde l'occasion d'adopter les stratégies nécessaires pour relever ce grand défi.
Jacques Diouf est directeur général de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture.
Jean-Michel Severino est directeur général de l'Agence française de développement.
LE MONDE | 16.04.08 | 15h05 • Mis à jour le 16.04.08 | 15h05