Vingt ans après la création du label Max Havelaar, le commerce équitable, dont la 8e Quinzaine se tient en France du 26 avril au 11 mai, a décollé. Mais comment préserver les grands principes, rémunération, conditions de travail, développement durable, tout en attirant de nouveaux consommateurs. www.forumequitable.org
Commençons par un détour au Mexique, à Ixtepec, chez les paysans de la coopérative Uciri. Ces Indiens zapotèques vivent dans les montagnes du sud de l'Etat d'Oaxaca, à quelques dizaines de kilomètres du Chiapas, dans des conditions d'une extrême rudesse. Ils ont constitué, il y a un peu moins de trente ans, avec l'aide d'un missionnaire néerlandais, Frans van der Hoff, un projet collectif agricole qui préfigure le système international Max Havelaar. La 8e quinzaine du commerce équitable, organisée du 26 avril au 11 mai dans toute la France, est l'occasion d'évaluer les succès et les défis du secteur.
Ces paysans montrent volontiers leur hangar, la nouvelle route, un camion qui permet d'effectuer les tournées de collecte de l'arabica, le bus scolaire qui évite aux enfants de marcher quatre heures pour rejoindre l'école, le hall du conseil, les ordinateurs, les étiquettes sur les sacs de café… Bref, tout ce qu'ils ont réussi à construire et à financer.
Aujourd'hui, Uciri pourrait presque voler de ses propres ailes. La coopérative écoule une part de plus en plus importante de ses récoltes sur le marché conventionnel. Une autre coopérative brésilienne, Coagrosol, spécialisée dans les jus de fruits biologiques, partage cette " maturité ". Cela fait deux projets arrivés à l'âge adulte, sur les 632 soutenus cette année par l'organisation non gouvernementale Fairtrade Labelling Organizations (FLO), qui gère le label Fairtrade Max Havelaar.
L'idée d'un commerce plus juste a germé après l'appel " Le commerce, pas la charité ! " lancé en 1964 à la tribune de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). En 1969, le premier magasin est apparu aux Pays-Bas. En 1974, une boutique Artisans du monde a ouvert en France.
Le label Max Havelaar, nouveau système marchand alternatif de grande envergure, a été développé en 1988 par Frans van der Hoff et un ex-membre de l'ONG Solidaridad, Nico Roozen. Les deux hommes cherchaient à garantir des conditions de rémunération et de travail décentes aux petits producteurs pauvres et isolés, en favorisant le développement autonome et durable.
Depuis vingt ans, les règles perdurent : un prix d'achat supérieur aux cours mondiaux (afin de couvrir les coûts de production) ; une prime au développement (destinée à financer des équipements collectifs) ; l'organisation en coopérative (pour encourager la mise en place d'un système démocratique) ; le préfinancement des récoltes (afin de lutter contre le surendettement) ; et l'instauration de relations commerciales au long cours (qui évitent la spéculation).
Aujourd'hui, le succès commercial est réel pour le café, le produit historique du secteur, mais aussi pour la banane, qui est désormais dépassée par les fibres de coton (une filière mise en place en Afrique de l'Ouest en 2005). Selon TNS Worldpanel, qui mesure les achats réels d'un panel représentatif de 13 000 foyers, 22,5 % des ménages français ont acheté des produits labellisés Max Havelaar en 2007, pour un budget annuel moyen de 16 euros. Le logo bleu et vert sur fond noir figure sur plus de 80 % des produits vendus en commerce équitable dans le monde. Ce système bénéficie à 1,4 million de familles du Sud.
Le commerce équitable est devenu un business : 1,6 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2007 (+ 42 % par rapport à 2006), selon FLO International, dont 200 millions d'euros en France. Entre 2005 et 2007, le nombre total de foyers français consommateurs de produits équitables a progressé de 1,6 million, selon TNS. Et ce n'est pas fini. Une étude publiée en février à Londres par Datamonitor estime que " la sensibilité croissante des consommateurs aux achats éthiques " va faire décoller le marché. " Le consumérisme éthique va devenir une priorité, a confié l'auteur de l'étude, Nick Beevors, au site FoodProductionDaily.com. Les consommateurs vont choisir des marques qui se différencient activement, de façon transparente et crédible. " Les gammes s'étendent, la grande distribution cherche à élargir son offre, ou convertit ses approvisionnements. En Grande-Bretagne, Marks & Spencer a passé en 2007 toute son offre de café et de thé en équitable, suivi par Sainsbury's, pour les bananes et tout son thé.
NOUVEAUX DÉSÉQUILIBRES
Désormais, l'association FLO, installée aux Pays-Bas, s'organise comme une entreprise. Son nouveau patron en France, Joaquin Muñoz, un ancien consultant du cabinet Mars & co, parle " optimisation " des débouchés, gestion des " packagings ", développement des dosettes pour le café. Depuis janvier, la filiale FLO-Cert, qui garantit la fiabilité du système auprès des consommateurs, est certifiée ISO 65, ce qui atteste la transparence et l'indépendance de ses contrôles.
Si les bénéfices sur le terrain sont tangibles, de nouveaux déséquilibres menacent aussi. " On est très soucieux de l'orientation politique du label, explique Tristan Lecomte, le patron de l'entreprise Alter Eco, qui a introduit en France des gammes complètes dans les grandes surfaces. Nous préférerions que FLO renforce l'existant, accompagne mieux les coopératives les plus fragiles. " Vingt-cinq personnes sont chargées de l'assistance sur le terrain chez FLO. C'est peu.
Voilà le chantier du label Fairtrade Max Havelaar : placer des garde-fous afin de protéger les filières capables de produire les produits les plus demandés, mais aussi aller jusqu'au bout de la vision politique initiale, en imaginant la route qui permettra à ceux qui sont prêts de basculer en douceur dans le système " classique ". A ce jour, cette question très polémique n'est pas évoquée dans le Livre blanc qui fixe la stratégie pour les années à venir.
Exposition "Visages du commerce équitable" par les photographes de l'agence Vu'.
A la galerie Vu' (2, rue Jules-Cousin, Paris-4e) du 30 avril au 10 mai ;
à la Fnac des Halles (Paris-1er) du 30 avril au 21 mai ;
à la galerie Cosmopolis (18, rue Scribe, Nantes) du 28 avril au 3 mai.
Le 4e Forum national du commerce équitable à la Cité des sciences (Paris-19e), les 25 et 26 avril. Renseignements : www.forumequitable.org