Une exposition sur l'atoll d'Aldabra, l'un des plus grands sanctuaires naturels encore intacts, se tient du 22 mai au 9 novembre à la Ménagerie du jardin des Plantes (57, rue Cuvier, 75005 Paris). Situé aux Seychelles, l'atoll d'Aldabra est classé au Patrimoine mondial de l'Unesco. Le site de l'exposition : www.mnhn.fr/aldabra ; site de la fondation pour Aldabra : www.aldabrafoundation.org ; site de la Seychelles Island Foundation : http://www.sif.sc
Quelques baraquements de bois salement défraîchis par l'érosion permanente de l'océan Indien, un dispensaire médical tenant dans une boîte à chaussures, une toile de plastique en guise de réfectoire... Pour la douzaine de gardes et de chercheurs qui se relaient sur l'atoll d'Aldabra, la vie sous les cocotiers tient plus de l'expérience de survie que du travail d'étude scientifique.
Une fondation a bien été créée en 2005 pour lever les fonds nécessaires aux travaux, mais isolée à 640 km à l'est du continent africain, cet atoll inhabité de 154 km2, figurant comme une icône de la biodiversité classée au Patrimoine mondial de l'Unesco, a bien du mal à soulever les passions. « On ne protège que ce qu'on connaît », philosophe Carlos Cassina Vejarano, directeur général de l'Aldabra Foundation.
C'est donc pour « entrouvrir les portes de ce laboratoire du vivant » que la ménagerie du Muséum national d'histoire naturelle abritera une exposition exceptionnelle sur ce territoire perdu, à partir du 22 mai, Journée mondiale de la biodiversité.
A l'occasion de deux missions exploratoires, une équipe de onze photographes et cinéastes naturalistes s'est rendue sur place pour en ramener un portfolio inédit du site : 200.000 photos, 60 heures de films qui constituent un témoignage unique des richesses océanographiques.
« Aldabra, ce sont des couleurs, des formes et des textures jamais vues », rapporte Danny Ellinger, responsable de l'expédition et directeur de l'agence Foto Natura.
Il faut des chiffres pour mesurer la rareté de l'écosystème d'Aldabra. Le second plus grand atoll émergé de la planète, après Kiritimati, abrite sur son collier émeraude de 35 km sur 15 cerclant un vaste lagon de 224 km2, environ 152.000 tortues géantes (Geochelone gigantea), dix fois plus que dans les Galápagos. Et pas des moindres : les plus grosses de la planète, pouvant atteindre 1 mètre 20 d'envergure, peser jusqu'à 300 kg (contre 250 pour l'espèce des Galápagos), et vivre plus de 150 ans.
Si elle est dominée par un grand reptile herbivore, l'écologie d'Aldabra est également reconnue comme une des plus importantes colonies au monde de tortues marines et un des rares lieux dans l'océan où les scientifiques ont observé une augmentation significative de la reproduction ces dix dernières années.
Volatiles océaniques
L'atoll compte également parmi les sanctuaires les plus courus des volatiles océaniques : deuxième colonie de frégates au monde, lieu de reproduction privilégié des sternes caspiennes, des phaétons et des fous à pieds rouges. Enfin, dernier refuge du râle, un des rares représentants encore vivants d'oiseau marcheur dans l'océan Indien, Aldabra est selon l'ornithologue Adrian Skerrett « une légende vivante.
Alors qu'au cours des trois cents dernières années, 90 % des extinctions d'oiseaux ont eu lieu dans les îles et que les deux tiers des espèces menacées s'y trouvent aujourd'hui, explique-t-il, peu de choses ont changé depuis deux cent mille ans à Aldabra. »
Du reste, l'atoll est l'un des rares territoires de la planète dont l'étendue et la diversité ont permis le développement de communautés faunistiques et floristiques aussi variées, avec un taux élevé d'endémisme : 26 plantes rares (sur un total de 178 espèces) et 380 insectes (sur un millier d'espèces répertoriées sur l'atoll). « C'est l'un des seuls endroits sur Terre, dit-on à l'Institut de recherche pour le développement, où l'on puisse observer les processus naturels d'une évolution biologique non perturbée par les activités humaines. » Un écosystème unique et autonome depuis la dernière montée des océans, il y a cent vingt-cinq mille ans.
Le site compte quatre types d'environnement, interdépendants et distincts, qui intéressent les chercheurs : d'abord le lagon, dont la vue aérienne révèle la forme d'un poumon qui respire au rythme des marées et découvre au reflux une vaste plaine de fonds coralliens bordée de mangroves enchevêtrées qui, en lisière, se nourrissent du guano des frégates.
Ensuite des chenaux, reliant le lagon à l'océan par quatre passes torrentielles où l'eau charrie des milliers de poissons à la vitesse de 6 noeuds. Sur le pourtour de l'anneau, les récifs abritent la surprenante variété de la vie corallienne faisant écho à une géologie terrestre unique constituée essentiellement de calcaire dur et lisse (le platin), terrain sec et inhospitalier dont raffolent pourtant les tortues. Sur le bord du lagon enfin, des dépôts de boue limoneuse nourrissent une frange de forêts marécageuses et de mangrove.
« Ce système autosuffisant est le dernier du genre, un exemple exceptionnel d'un stade de l'évolution sur Terre, résume Carlos Cassina Vejarano. Son importance scientifique est donc inestimable. Il peut nous raconter notre propre histoire et la façon dont notre espèce va pouvoir s'adapter aux changements. »
Création d'un institut
Grâce aux bénéfices de l'exposition, qui après Paris doit parcourir d'autres capitales, et à l'espoir de quelques donations d'agences gouvernementales, d'organismes internationaux et de mécènes, la fondation projette de créer sur l'atoll un institut de recherche équipé de laboratoires spécialisés en taxonomie, océanographie, biologies marine et moléculaire, écologie, physiologie, biologie de l'évolution et climatologie.
Le plan prévoit que la base sera reliée à un réseau de stations de terrain équipées de chambres froides et d'hébergements rudimentaires pour faciliter les études dans les zones éloignées. Un navire de recherche sera également affecté au site pour les recherches en eau profonde à proximité. Totalement autonome et propre (énergie solaire et éolienne, dessalage de l'eau de mer, recyclage des déchets...), la station permettra d'accueillir une trentaine de chercheurs confortablement hébergés qui seront reliés à la civilisation par voie satellite.
Cet ambitieux projet devrait nécessiter 50 millions d'euros d'investissement et 2,5 millions de budget annuel. « C'est le prix d'un sauvetage scientifique. Hormis les campagnes de recensement, il n'y a pas eu de recherche à Aldabra depuis une vingtaine d'années », argumente Carlos Cassina Vejarano.
L'exposition se tient du 22 mai au 9 novembre. Ménagerie du jardin des Plantes (57, rue Cuvier, 75005 Paris).
Du lundi au samedi de 10 heures
à 17 h 30 sauf le mardi.
Le site de l'exposition : www.mnhn.fr/aldabra
Le site de la fondation pour Aldabra : www.aldabrafoundation.org.
Le site de la Seychelles Island Foundation : http://www.sif.sc
L'île des tortues
Situés par 9° 24' Sud et 46° 12' Est, les 42 îlots qui composent l'atoll corallien d'Aldabra ont été cartographiés par les navigateurs portugais en 1511. Mais l'atoll était déjà connu des Arabes qui lui avaient donné le nom de l'étoile qui les y avait conduits (al-Dabaran dans la constellation Taurus). Au milieu du XVIIIe siècle, elles sont placées sous la dépendance de la colonie française de l'île Bourbon (actuelle île de la Réunion), depuis laquelle des expéditions sont organisées pour la capture des tortues géantes à des fins de ravitaillement militaire. En 1810, Aldabra passe sous la couronne britannique après la défaite française dans l'océan Indien. Depuis 1978, elles forment un Etat indépendant rattaché à l'archipel des Seychelles, distant de 1.150 km. Le 19 novembre 1982, le site a été classé au Patrimoine mondial de l'Unesco.
PAUL MOLGA