Les deux millions de survivants sont au bord du gouffre. L'ONU craint une seconde vague de morts en raison de possibles épidémies. Sans compter qu'un autre ouragan menace. Plusieurs se demandent donc s'il n'est pas temps de défier la junte et de lancer une opération humanitaire pour venir en aide aux Birmans, coûte que coûte. Seules les organisations déjà présentes dans le pays peuvent recevoir du matériel et le répartir dans les zones sinistrées. Pour les autres, les autorités proposent de faire elles-mêmes le travail de distribution. Une manière de se racheter auprès de la population et de rester maîtres à bord. La suggestion a été refusée à l’unisson par les Nations unies et les ONG. En savoir plus sur le droit d’ingérence : http://www.operationspaix.net/-Devoir-et-droit-d-ingerence
Alors que la situation déjà tragique de la population birmane menace de se détériorer plus encore en raison du passage annoncé d'une nouvelle tempête, le débat fait rage sur l'opportunité de venir en aide aux victimes sans l'accord de la junte militaire au pouvoir.
La France demande que la communauté internationale lance une opération humanitaire massive en faisant fi de l'opposition des dirigeants birmans.
Deux semaines après le passage du cyclone Nargis, qui aurait fait plus de 200 000 morts selon un diplomate anglais, ils continuent de bloquer l'acheminement de l'aide et ne délivrent qu'au compte-gouttes les visas pour les représentants des organisations humanitaires.
Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui défend depuis longtemps le droit d'ingérence humanitaire, croit que «la responsabilité de protéger» adoptée en 2005 par les Nations unies s'applique à la situation en Birmanie. Il souhaite que le Conseil de sécurité adopte d'urgence une résolution approuvant une intervention unilatérale, quitte à user de la force s'il le faut.
La secrétaire d'État française aux droits de l'homme, Rama Yade, a plaidé dans le même sens mardi. «Il faut bien trouver une réponse, sinon c'est non-assistance à personne en danger», a-t-elle souligné.
«Si ce qui se passe en Birmanie est une catastrophe naturelle, l'attitude de la junte birmane conduit à aggraver la situation et donc le concept (de responsabilité de protéger) doit être appliqué», a déclaré la représentante du gouvernement.
Ban Ki-moon attaque
Bien que cette interprétation soit contestée, Paris cherche à assimiler l'action de la junte à un «crime contre l'humanité» afin de forcer les Nations unies à passer à l'action.
Le texte approuvé lors du sommet de 2005 prévoit que la communauté internationale a le «devoir d'intervenir pour protéger les populations en danger dans un autre État lorsque les autorités de cet État ne veulent pas ou ne sont pas en mesure de leur porter secours». L'intervention par la force n'est cependant permise qu'en dernier recours.
Les participants au sommet ont précisé que la responsabilité de protéger s'appliquait pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité mais n'ont pas expressément évoqué la question des catastrophes naturelles.
Une commission internationale qui avait planché en 2001 sur le sujet avait explicitement abordé un cas correspondant à celui de la Birmanie. Ses responsables relevaient que la communauté internationale devait intervenir lorsque d'importantes pertes de vie humaines se produisent à la suite d'une catastrophe naturelle «extraordinaire» et que l'État concerné «ne peut pas ou ne veut pas y faire face en demandant de l'aide».
Les Nations unies se montrent extrêmement réticentes de leur côté face à la démarche française. Dans une entrevue au quotidien Le Monde, un conseiller du secrétaire général Ban Ki-moon a violemment attaqué hier Bernard Kouchner pour son usage «impropre» de «la responsabilité de protéger».
«Nous essayons d'inspirer confiance dans ce concept, nous n'essayons pas de faire les gros titres», a déclaré Edward Luck.
Se faire tirer dessus
Cela dit, l'application de la responsabilité de protéger serait de toute façon loin d'être acquise en raison des divisions politiques au Conseil de sécurité de l'ONU.
Frédéric Débomy, coordinateur d'Info-Birmanie, une association française proche des opposants au régime birman, note que la Chine et la Russie, alliés à la junte, auraient tôt fait de bloquer tout projet d'intervention avec leur veto.
Le largage de vivres ou le survol du territoire birman pourrait susciter des réactions violentes du régime militaire, qui craint les tentatives de déstabilisation. «Il y a un fort risque que l'on se fasse tirer dessus si l'on tente de passer par la force», dit-il, en insistant sur le côté «paranoïaque» des dirigeants birmans.
Malgré ces réserves, M. Débomy se dit favorable à une intervention unilatérale et presse la France de pousser en ce sens. «Que faire sinon continuer d'insister?» souligne-t-il.
En attendant un hypothétique déblocage sur le front diplomatique, les responsables humanitaires tentent tant bien que mal d'agir sur le terrain avec les moyens disponibles.
«On avance très lentement. Ce n'est pas facile», commente Elisabeth Byrs, porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA), jointe hier à Genève.
Les membres de l'organisation déjà sur le terrain sont submergés par l'ampleur des besoins de la population et manquent cruellement de ressources pour répondre aux besoins des victimes, dit-elle.
«Nous n'avons jamais été confrontés à une crise d'une telle ampleur dans un pays où l'on ne peut pas entrer comme on l'entend. C'est une situation sans précédent», conclut Mme Byrs.
Le droit d’ingérence en catastrophe
Des efforts « acharnés ». C’est ainsi que les militaires birmans qualifient la peine qu’ils se donnent pour venir en aide aux milliers de victimes balayées par la vague du samedi 3 mai. L’aide extérieure, pourtant, continue d’être bloquée, au motif que la junte n’est « pas prête à recevoir des équipes de recherche et de secours, ainsi que des journalistes étrangers ». Malgré une indignation quasi planétaire et un besoin évident de renforts, les portes restent closes. Seules les organisations déjà présentes dans le pays peuvent recevoir du matériel et le répartir dans les zones sinistrées. Pour les autres, les autorités proposent de faire elles-mêmes le travail de distribution. Une manière de se racheter auprès de la population et de rester maîtres à bord. La suggestion a été refusée à l’unisson par les Nations unies et les ONG.
Le repli obstiné du régime de Than Shwe, malgré quelques autorisations ponctuelles d’intervention, relance le débat sur le droit d’ingérence. A l’initiative de Bernard Kouch ner, ministre des Affaires étrangères et promoteur historique de l’intrusion humanitaire, la France a proposé mercredi le vote d’une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU afin d’obliger l’Etat birman à s’ouvrir. Elle n’a pu être votée faute de consensus au sein des Etats membres. « Cela prouve que l’idée du droit d’ingérence ne s’est pas imposée dans la communauté internationale malgré le vote d’un certain nombre de résolutions en ce sens depuis les années 1990, concernant l’Arménie, le Soudan ou la Somalie, relève Phlippe Ryfman, chercheur spécialiste des ONG. Le concept de sans-frontiérisme montre aussi ses limites. Personne ne va franchir de force les lignes birmanes. »
Sans une demande, ou a minima un accord de la junte, le seul moyen légal d’intervention pour les Nations unies consiste à prouver que la situation actuelle menace la paix et la sécurité mondiales. « Il y a peu de chances que les Etats se rangent derrière une interprétation aussi extensive de la Charte de l’ONU, admet François Rubio, directeur juridique de Médecins du monde et auteur deLe droit d’ingérence est-il légitime ?(Ed. de l’Hèbe). La Birmanie est un Etat organisé et souverain, qui n’est pas en butte à un conflit armé. Le seul précédent d’une résolution votée sans l’accord des dirigeants concernait la famine somalienne en 1991 mais il n’y avait justement pas d’Etat à qui se référer. »
ONG, organisations internationales et gouvernements, dès lors, privilégient la diplomatie et les pressions moins massives qu’un vote du Conseil de sécurité. « Nous ne voulons pas entrer dans la confrontation, nous discutons en permanence », souligne Elisabeth Byrs, porte-parole d’OCHA, le bras humanitaire des Nations unies. Le Programme alimentaire mondial a suspendu l’envoi de deux avions – les autorités birmanes exigeaient des « conditions inacceptables » – avant de se raviser. Les Etats-Unis ont menacé de larguer le matériel de secours, jusqu’à ce que le régime accepte officiellement leurs services.
« Il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre et négocier, concède Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières. Imposer notre aide par la force serait une erreur, au vu du soupçon généralisé d’impérialisme. Et puis il faut arrêter avec ces menaces d’épidémie qu’on nous sert à chaque catastrophe ; la situation est grave, mais il ne s’agit en aucun cas d’arracher des gens à la mort chaque heure qui passe. »
Les mini-efforts de la junte éviteront sans doute un forcing international. « Ce qui se passe aujourd’hui va aller dans le sens d’une consolidation ou non du droit d’ingérence, note Andrew Clapham, directeur de l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains. S’il est consacré, tout l’enjeu sera qu’il ne soit pas détourné par les Etats pour des visées autres qu’humanitaires. » Le débat sur le droit/devoir d’ingérence a été re lancé, mais il n’a pas trouvé de réponse.
Voir en ligne: En savoir plus sur le droit d’ingérence
http://www.operationspaix.net/-Devoir-et-droit-d-ingerence-