Plus rien ne semble pouvoir arrêter l'emballement des cours de l'or noir. Ils ont franchi vendredi et lundi la barre des 126 dollars le baril à New York. Les cours du brut ont doublé en un an, quadruplé en quatre ans, décuplé en dix ans ! Le baril a établi un nouveau record hier à 126,40 dollars. Son prix a doublé en un an. Mais le troisième choc pétrolier diffère des précédents : causé par la demande, il est durable et affecte les comportements plus que la macroéconomie.
Si la multiplication des sabotages sur les installations pétrolières au Nigeria et les tensions au Moyen-Orient ont alimenté la dernière poussée de fièvre, ce sont fondamentalement les difficultés des producteurs à suivre la demande galopante des grands pays émergents qui en sont la cause. Les capacités de production inemployées sont tombées à des niveaux si faibles que le moindre incident fait craindre une rupture des approvisionnements. Soucieux de s'assurer une alimentation régulière, les industriels sont prêts à payer de plus en plus cher l'assurance d'avoir du pétrole livré à un prix connu aujourd'hui ou dans trois mois.
Vit-on un troisième choc pétrolier ? Les cours ont depuis longtemps franchi, même corrigés de l'inflation, les records des deux premiers chocs pétroliers de 1973 et de 1979-1980. Les prix à la pompe s'envolent. Les compagnies pétrolières s'intéressent aux énergies renouvelables, les ventes de 4×4 chutent aux États-Unis et la traction animale fait son retour en Inde. L'hypothèse d'un baril à 200 dollars avant la fin 2008 n'est plus jugée absurde. La crise des subprimes inquiète pourtant bien davantage que la flambée du pétrole.
Globalement, la hausse des cours du pétrole réalise un gigantesque transfert de pouvoir d'achat des pays consommateurs de pétrole vers les pays producteurs. " Mais on voit bien que les évaluations économétriques basées sur les précédents chocs ne permettent pas d'appréhender correctement le choc actuel ", estime Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel.
FORTE HAUSSE DE LA DEMANDE DES PAYS EMERGENTS
Plusieurs raisons à cela. En 1973 (guerre du Kippour) et en 1979-1980 (révolution iranienne et guerre Iran-Irak), le rationnement de l'offre par l'Opep provoque un quadruplement des cours en quelques semaines lors du premier choc, un triplement en quelques mois lors du deuxième. Le choc actuel s'étire sur près d'une décennie. Car c'est la très forte hausse de la demande des pays émergents qui tire les prix. Les entreprises comme les ménages ont eu le temps de s'adapter progressivement à cette nouvelle donne. D'autant plus facilement que l'efficacité énergétique des pays de l'OCDE a fortement progressé.
" Les craintes liées à l'inflation ont refait surface après des années de calme ", a relevé le vice-directeur du Fonds monétaire international (FMI), John Lipsky. La BCE redoute que la hausse des prix à la consommation ne débouche, comme dans les années 1970 et 1980, sur l'enclenchement d'une spirale prix-salaire incontrôlable. On ne peut évidemment l'écarter. Mais " il n'y a quasiment plus d'indexation des salaires en Europe, rappelle Jean-Louis Mourier, et la situation financière des entreprises est aujourd'hui bien meilleure que dans les années 1970 et 1980. " La très bonne profitabilité des entreprises dans le monde leur permet de digérer plus facilement une hausse de leurs coûts que par le passé. L'inflation ne semble pour l'heure pas inquiéter les investisseurs puisque les taux d'intérêt à long terme (qui anticipent l'inflation) restent résolument bas.
Le choc économique paraît donc limité. Mais les bouleversements dus au pétrole cher sont en train d'affecter durablement les comportements.
XAVIER HAREL
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