En négligeant les utilisateurs finaux, les compteurs intelligents actuels repoussent d’autant l’émergence des réseaux physiques intelligents, pourtant indispensables pour réduire l’empreinte écologique de notre société.
Les logements neufs devront disposer de compteurs électriques intelligents (smart meter) dès 2012. La France se met ainsi en conformité avec la directive 2006/32/CE du Parlement européen relative à l'efficacité énergétique dans les utilisations finales. Ces compteurs intègrent un modem CPL qui achemine des informations en temps réel - consommation instantanée, pic de puissance demandée, etc. - vers les concentrateurs de l’entreprise chargée de distribuer l’électricité en France : ERDF. L’objectif de ce déploiement de grande ampleur (35 millions de compteurs) est d’adapter plus finement la production d’électricité à la demande pour éviter d’en produire inutilement. Pour trois raisons. D’une part, on ne sait toujours pas stocker de grandes quantités d’électricité. Ce qui n’est pas consommé est donc perdu. D’autre part, l’électricité est produite essentiellement à partir de sources primaires non renouvelables – uranium, pétrole, charbon, gaz – et carbonées.
Un système fermé
Enfin, le prix de ces ressources non renouvelables augmente continuellement, ce qui grève à la fois le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Le déploiement accéléré de compteurs intelligents semble cohérent et propose une vitrine pour le savoir-faire européen en matière de TIC durables. Sauf que chaque compteur coûte entre 120 et 240 euros, pris en charge par le consommateur final. A ce tarif, on eut aimé pouvoir, à minima, accéder à ce compteur via une interface de programmation pour le rendre réellement intelligent et faire des économies d’énergie : déclencher des appareils ménagers lors des heures creuses ou des alertes en fonction de seuils basés sur l’historique. Mais il n’en est encore rien. Ces compteurs communiquent mais ne sont pas intelligents. Ils sont fermés et n’envoient leurs données qu’aux distributeurs et fournisseurs d’énergie. Ces derniers peuvent ainsi vendre leur "intelligence" sous la forme de services optionnels payants. C’est un véritable hold-up !
Une innovation à sens unique
Si l’intérêt économique est évident pour les ténors actuels, il ne l’est pas pour le consommateur final. Le modèle économique du smart meter à la française ne tient pas. Pire, il éloigne les consommateurs d’un objectif clairement affiché dans les textes : contribuer à tenir l’objectif européen de réduire de 20 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. Les cerveaux de ce rendez-vous manqué ont oublié deux des trois piliers du développement durable : l’homme et son environnement. En ne retenant que la dimension économique (et encore, celle de leur profit) et en se refermant sur leur métier (électricité), ils reculent l’émergence des réseaux physiques de distribution intelligents (smart grid). En effet, on imagine mal les clients – entreprises, collectivités locales et particuliers – accepter de financer autant de compteurs intelligents qu’il y a de flux entrants (eau, gaz, électricité, chauffage, etc.). Surtout s’ils n’en tirent aucun bénéfice !
Par Frédéric Bordage