Dans les prochaines années, les vieux compteurs électriques seront tous remplacés par des modèles de nouvelle génération : des « compteurs communicants ». Des machines capables de mesurer des données détaillées sur la consommation électrique d'un foyer. Avantageux pour les distributeurs, pas forcément pour les consommateurs. Car derrière ces compteurs, il y a aussi la question des "afficheurs".
Aujourd'hui, 200 000 compteurs Linky sont installés en France, pour une phase de test qui doit se clôturer en mars 2011. Mais déjà le sort en est jeté : les compteurs communicants devraient être installés dans les 7 ans, dans l'ensemble - ou presque - des 35 millions de foyers français. Et dans un consensus quasi-général, comme en témoignait une table ronde qui s'est tenue au Sénat le 1er décembre. Où les voix discordantes de l'ADEME et surtout de l'UFC-Que Choisir ont eu du mal à se faire entendre.
Pas un dossier délicat pour la CNIL
Le consensus se fait sur un point : le projet ne peut qu'induire des bénéfices environnementaux, en favorisant les économies d'énergie et une meilleure adaptation aux pics de consommation. Mais des points de friction demeurent.
Polémique d'abord sur la collecte des données. Tous ces détails sur les habitudes de consommation d'un foyer, récoltés par EDF ou autres opérateurs d'électricité, ne sont-ils pas trop intrusifs ? Il sera en effet possible de connaître les horaire de réveil des habitants d'un appartement, « le moment où ils prennent une douche ou bien quand ils utilisent certains appareils (four, bouilloire, toaster…) » : la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) dresse ce constat mais ne s'en alarme pas, insistant surtout sur la nécessaire sécurisation des données. Pour le reste, « ce n'est pas le dossier le plus délicat que nous ayons eu à traiter », estime le sénateur Claude Domeizel, commissaire de la CNIL. Lequel, il est vrai, ne cache pas son avis d'élu : « Si seulement ces compteurs pouvaient arriver plus vite dans les foyers !
Loin de l'ambition du Grenelle
Pourtant, d'autres estiment que ces compteurs arrivent trop vite, justement. Le gouvernement l'assure : le processus suit son cours, et la généralisation ne pourra être officiellement décidée avant le printemps prochain. Mais aux yeux d'Alain Bazot, président de l'union de consommateurs UFC-Que Choisir, elle est déjà actée, et menée « au pas de charge » (1). Alors même que le projet ne remplit pas les objectifs initiaux du Grenelle de l'environnement. La loi "Grenelle 1" publiée le 3 août 2009 prévoit en effet « la généralisation des compteurs intelligents afin de permettre aux occupants de logements de mieux connaître leur consommation d'énergie en temps réel et ainsi de la maîtriser. » Or le système actuel « s'écarte de cette ambition », souligne Alain Bazot.
Car ces boîtiers fournissent bien des informations détaillées à ERDF, la filiale d'EDF distributrice d'électricité, et au fournisseur. Mais le particulier, lui, ne connaîtra pas plus qu'avant les détails de sa consommation. D'autant que, comme ceux de l'ancienne génération, la moitié de ces compteurs (et jusqu'à 80% en zone rurale) seront installés en dehors du domicile.
La nécessaire information en temps réel
Or, il est primordial de donner la possibilité aux particulier d'accéder directement aux données s'ils veulent effectivement agir sur leur consommation. Comme le rappelle Virginie Schwartz, de l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie), plusieurs tests menés à l'étranger témoignent que l'information en temps réel sur sa consommation d'énergie permet au consommateur de réaliser des économies d'énergie de l'ordre de 5 à 15%. Mais avec les compteurs communicants actuels les particuliers devront, pour connaître ces informations en direct, se doter d'un "afficheur", un autre boitier. Conclusion d'Alain Bazo : « Il va falloir payer pour consommer moins ». Le 13 novembre, l'UFC-Que Choisir rappelait ainsi sa position : « Les seuls grands gagnants, ce sont les fournisseurs d’énergie, qui vont pouvoir adapter leurs offres tarifaires, facturer au prix fort les périodes de forte consommation et faire payer le suivi de la consommation en option ! »
Les afficheurs, nouvel enjeu
Faut-il développer une offre privée, concurrentielle, sur ces afficheurs ? En donner la maîtrise au fournisseur ? Ou permettre au moins, par le biais des compteurs, un dispositif minimal d'information du consommateur ? Les enjeux de ces « services en aval » ne sont pas anodins, reconnaît Pierre-Marie Abadie, directeur de l'Energie au ministère de l'Ecologie. A ses yeux, avec le simple compteur communicant, « les gains pour le fournisseur restent minimes », d'où l'intérêt de coupler ce matériel à d'autre services, comme des systèmes d'alarme ou de télésurveillance.
Derrière ces compteurs communicants s'ouvre donc un nouveau territoire. Et déjà des prospecteurs prêts à s'élancer. Une telle ouverture du marché inquiète Pierre Bivas, fondateur de Voltalis. Sa société diffuse déjà des instruments qui permettent aux compteurs existants de communiquer et moduler la consommation d'électricité. Pour lui, les nouveaux compteurs ne sont donc pas une révolution, mais « une occasion donnée à des sociétés d'ingénierie d'entrer en jeu ». Des sociétés dont l'objectif, rappelle-t-il, est de faire du profit, « pas de faire baisser la facture, ni de protéger la planète ou le consommateur... ».
(1) Le feu vert officiel ne peut être donné qu'après la phase de test, mais un décret « organisationnel » publié le 2 septembre prévoit l'installation systématique de ces « nouveaux dispositifs de comptage » à partir du 1er janvier 2012.
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