Concurrence dans l’électricité : cette fois-ci c’est la bonne ?
Il fut abondamment question de l’application de la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité), bien évidemment, à la conférence Energie 2011 des Echos, le 10 février à Paris. Même si la volonté d’EDF de préserver sa position dominante fait toujours peur, certains semblaient croire enfin à un vrai démarrage de la concurrence sur le marché de l’électricité français. A commencer par Louis-Jacques Urvoas, directeur du marketing stratégique à la direction commerciale d’EDF qui dit organiser ses troupes pour cette « étape très importante » en « rapprochant les équipes du front office ». Preuve que certains concurrents y croient aussi, Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France, filiale du groupe suédois, s’inquiétait déjà de ce qui arrivera lorsque les concurrents se seront partagés l’intégralité de l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) que EDF doit leur céder, plafonné par la loi à 100 terrawats heure soit environ 25% de la production de l’entreprise nationale. A la tribune les participants se regardaient parfois comme des sportifs qui vont bientôt s’affronter.
La grande inconnue du match dont le coup d’envoi doit être donné le 1er juillet reste bien évidemment le coût d’accès à cette « rente nucléaire » que les concurrents rêvent à 35 euros le mégawatheure en moyenne pour commencer tandis qu’EDF s’estimera volée à moins de 42. Plusieurs concurrents continuent à exprimer la crainte du « ciseau tarifaire » qui leur ferait acheter le gros de leur électricité à un tarif ne leur permettant pas d’être concurrentiels et de couvrir leurs coûts. Le suspens doit durer jusque vers la mi mars environ. Le ministre, Eric Besson, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, attend les propositions de la nouvelle mission Champsaur mais la décision, précise-t-il, sera politique.
On s’obsède peut-être trop d’ailleurs sur cette affaire de prix. Olivier Freget, avocat associé chez Allen & Overy Paris, s’appuyant sur l’expérience de l’ouverture du marché des télécommunications, explique qu’il faut essentiellement s’assurer qu’on laisse aux concurrents suffisamment « d’espace économique ».
Prochaine bataille : les concessions pour les barrages français
Pour qu’il y ait une vraie concurrence sur le marché de l’électricité français il faut que les challengers d’EDF puissent accéder aussi à la production d’électricité. Cette idée a été émise par plusieurs participants à la conférence Energie 2011 des Echos. Ils pensent à l’ouverture du capital de certaines centrales nucléaires mais aussi à la remise en jeu des concessions de dix vallées françaises dont les barrages pourraient être repris par des concurrents d’EDF. GDF Suez fait valoir par la voix de Jean-Baptiste Sejourné, directeur délégué de la branche énergie France, son expérience, notamment à travers la Compagnie Nationale du Rhône. Frédéric de Maneville, président France met en relief l’expérience historique de Vattenfall dans l’hydroélectricité en France. Si les barrages intéressent tant les concurrents d’EDF c’est qu’ils représentent la seule manière connue à ce jour de stocker massivement de l’électricité ou plutôt de la capacité à la produire, en période de pointe par exemple. « C’est un outil de flexibilité indispensable », confirme Louis-Jacques Urvoas de EDF.
Les pointes de consommation vont devenir le problème de tout le monde
Les nouvelles règles du jeu du marché de l’électricité français vont imposer à tous les participants et pas seulement à EDF la responsabilité des pointes de consommation. Chaque participant devra mettre au pot soit des capacités de production, soit des capacités d’effacement de la demande en période de pointe, soit « payer une soulte libératoire » a tenu à rappeler fermement Eric Besson, le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Il a demandé la mise en place d’une mission de concertation à RTE (Réseau de Transport d’Electricité) et veut que la solution retenue soit mise en œuvre début 2012 au plus tard. Si la loi doit s’en mêler c’est parce que le marché ne donne pas les bons signaux a expliqué en substance Jean-François Raux, conseiller du Président de l’Union Française de l’Electricité. L’électricité n’arrive pas à se vendre assez cher en période de pointe pour rendre rentable la construction et l’exploitation des centrales nécessaires. Ces nouvelles obligations vont rendre « l’effacement » des clients en période de pointe stratégique pour les concurrents d’EDF. C’est un des enjeux des « compteurs intelligents » dont ERDF a commencé à tester le déploiement. Pas question que le gestionnaire du réseau se réserve l’exploitation des données qu’il va recueillir ! Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Energie a montré les dents : « Nous refusons toute concurrence de ERDF sur la maîtrise de la demande. Il n’est pas question qu’ils y mettent même un doigt de pied ».
Les tarifs ne seront pas toujours transparents
L’électricité traverse en France une période de transparence exceptionnelle. Le juste prix de l’électricité nucléaire d’EDF est un objet de débats publics et de multiples expertises. Le directeur général de l’énergie et du climat, Pierre-Franck Chevet, se félicite du mouvement de décomposition en éléments constitutifs qui permet au consommateur de mieux comprendre des tarifs moins « intégrés ». Les concurrents d’EDF seront sans doute amenés à faire de la pédagogie pour vendre à ces mêmes particuliers des forfaits et tarifs aussi intelligents que les nouveaux compteurs. Sur les marchés de gros de l’électricité les cotations sont par définition transparentes.
Il n’en reste pas moins qu’entre gros intervenants les marchés de gré à gré et le secret des affaires pourraient redevenir la règle une fois cette période de transition vers la concurrence passée. Ce fut une revendication explicite de Ludivine Mellier, Présidente de la commission électricité de l’Uniden, l’organisme représentant les consommateurs industriels : « sur les contrats de gré à gré il n’y a aucune raison de transparence totale ». La même idée fut exprimée par Jean-François Raux (UFE) : « La concurrence n’implique pas la transparence sur tout. À terme, les coûts de production ne seront pas transparents ».
La bulle gazière américaine s’installe
Les marchés de l’énergie et notamment des hydrocarbures ont toujours réservé de grandes surprises déjouant toutes les prévisions. Actuellement et pour un certain temps sans doute c’est le marché du gaz aux Etats-Unis qui illustre cette règle. Didier Houssin, Directeur des marchés et de la sécurité énergétique à l’Agence Internationale de l’Energie, a insisté sur ce point en dressant un large panorama des équilibres mondiaux de l’énergie pour les participants à la conférence Energie 2011 des Echos. Les ressources de gaz aux Etats-Unis s’avèrent beaucoup plus considérables que ce que l’on pensait notamment grâce à la « révolution » des gaz de schiste. Ce qui entretient cette « bulle » c’est que, malgré l’effondrement des prix, les investissements continuent. Le gaz se met à concurrencer le charbon jusque sur les marchés côtiers chinois. Du coup l’intérêt qui semblait commencer à se réveiller aux Etats-Unis pour les énergies renouvelables depuis l’arrivée au pouvoir de Obama devient d’autant moins vif que le gaz est hyper compétitif.
L’éolien terrestre compétitif ?
L’un l’a dit en termes prudents : « la compétitivité n’est pas hors de portée pour l’éolien ». C’est Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie à la Direction Générale de l’énergie et du climat. Il évoque un coût moyen de 80 euros le mégawatheure. L’autre a été beaucoup plus affirmatif : « l’éolien sera bientôt au-dessous des coûts du marché ». C’est André Antolini, président du SER, le Syndicat des Energies Renouvelables. Il compte sur l’élévation progressive du coût de l’énergie nucléaire pour accélérer le phénomène.
Pas de vagues entre EDF et AREVA
Pas un mot plus haut que l’autre entre les représentants de EDF et AREVA à la conférence Energie 2011. Les bisbilles au sommet entre les deux groupes et leurs dirigeants ne sont sans doute pas oubliées mais les représentants des pouvoirs publics font clairement sentir qu’ils préfèrent le calme. « Au niveau des équipes ils travaillent ensemble » constate ainsi Eric Besson, le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.
Les questions de la filière nucléaire française
Les questions semblent plus nombreuses que les réponses chez les différents acteurs de la filière nucléaire française. Le rapport Roussely, du nom de l’ancien président d’EDF, a notamment libéré la parole sur deux thèmes. Le coût de la sécurité d’abord. Faut-il concevoir des systèmes un peu moins parfaitement sûrs mais plus compétitifs sur le marché international ? « Ne veut-on que des réacteurs dont on autoriserait la construction sur le territoire national », traduit Thomas Branche, sous-directeur de l’industrie nucléaire à la Direction Générale de l’énergie et du climat ? La réponse semble être oui ou presque oui puisqu’il précise que « le conseil de politique nucléaire a mis en avant le meilleur niveau de sûreté comme un avantage compétitif ». Même tendance chez un gros client potentiel Paul Rorive, Directeur corporate des activités nucléaires de GDF-Suez : « On ne va pas contre le cours de l’histoire. Dans les pays matures on va vers des réacteurs à niveau de sûreté élevé. C’est dans l’intérêt de l’industrie nucléaire …Les pays entrants se calent assez vite là dessus ».
L’autre question est celle de la gamme. Tout le monde s’est appliqué, AREVA en tête, représenté par Claude Jaouen, directeur adjoint du Business Group « Réacteurs et Services », à dire qu’il n’y a pas que l’EPR. Il faut continuer à s’intéresser à des réacteurs de moyenne puissance comme ATMEA1 et KERENA qui font aussi partie en principe de l’offre AREVA. Mais tout le monde a convenu aussi avec Thomas Branche qu’on ne peut pas développer trop de modèles de réacteurs en même temps, chacun exigeant de lourds investissements, en personnel qualifié notamment.
Une certitude finalement : l’investissement nucléaire est lourd et risqué à cause notamment des incertitudes affectant le coût final de l’investissement et les délais de construction. Tout le monde ne jure donc que par les partenariats qui permettent de partager les risques .
Par Jean-Claude Hazera, journaliste.