Pour Jean-Jacques Rosé, vice-président de l'Aderse, la responsabilité sociale de l'entreprise cherche à conjuguer mondialisation et dialogue social.
Avec une majorité de Français hostile à l'économie de marché, nous sommes champions du monde du rejet de la mondialisation. Pour les entreprises, les salariés, les consommateurs, les citoyens, une autre voie existe-t-elle ? Oui, à condition de ne pas se tromper de cible : les maux que l'on dénonce ne résultent pas plus de la mondialisation que de l'économie de marché, au sens classique. Ils sont la conséquence de multiples choix politiques inspirés par l'idéologie dite néolibérale, conjuguée à une financiarisation sans limite de l'économie. La RSE a été conçue pour répondre au défi de la mondialisation Dès 1953 une alternative était formulée par un économiste keynésien (Howard R. Bowen). Dans Social Responsibility of the Businessman*, il définissait la mondialisation : quelques centaines de grandes firmes "constituent les véritables centres de pouvoirs qui déterminent la vie des citoyens". Pour répondre à ce défi, Bowen proposa une synthèse très novatrice : passer de l'opposition classique entre managers et actionnaires à l'idée stratégique de soumettre l'entreprise à une légitimité résultant d'un contrat avec la société Ainsi venait de naître la Corporate social responsibility (CSR), qui deviendra bien plus tard dans notre langue, "Responsabilité sociale de l'entreprise". La RSE s'affirma dès lors comme réponse à l'excès de pouvoir des multinationales, par une limitation du caractère absolu du droit de propriété des actionnaires (en particulier les marchés financiers), au profit de ce que l'on appelle partout aujourd'hui, à la suite de R.E. Freeman, les parties prenantes. Le débat Les économistes libéraux ne s'y sont pas trompés : ils ont réagi avec vigueur à la première vague de succès de la RSE. On connaît la formule cinglante du prix Nobel Milton Friedman dans le New York Times Magazine, en 1970 : "la responsabilité sociale du business est d'accroître ses profits". Si La RSE est combattue avec une application vigoureuse et constante, c'est parce qu'elle ne se réduit pas, comme on le croit souvent en France, à un maquillage éthique, ou une forme subtile de manipulation. La CSR propose un nouveau paradigme du management des entreprises, fondé sur la mise en place de nécessaires contrepouvoirs que sont les stakeholders. Cela cristallise des points de friction : » Limiter le pouvoir des actionnaires conduit à créer des instances de dialogue mais suppose au bout du compte un certain partage du pouvoir de décision. » La définition du cercle des stakeholders, à l'échelle de la planète, inclut les sous-traitants mais les pays en développement perçoivent alors la RSE comme une disposition protectionniste. » La réduction drastique des coûts cachés rend plus facile la prise en compte des externalités dans le respect de l'équilibre de gestion, mais suppose aussi la définition de nouvelles règles du jeu réglementaires par les pouvoirs politiques et administratifs. Multinationales, syndicats et ONG : la RSE comme médiation globale Si l'idée même de RSE consiste à contester la façon dont les multinationales échappent aux règles de droit des Etats, c'est à un niveau plurinational qu'il est nécessaire d'agir par l'élaboration d'instruments internationaux. Les objectifs résultent de valeurs partagées pour lutter contre (ou prévenir) des maux et des catastrophes planétaires. La construction d'une RSE efficiente associe des acteurs sociaux hétérogènes : les Etats, des organisations internationales (ONU, PNUE, OIT, OCDE), des représentants des acteurs sociaux (entreprises, salariés) et de la société civile (ONG). Comment cela peut-il se traduire au niveau de l'entreprise ? Par des stratégies proactives comme par exemple : » La démarche environnementale du groupe Accor au niveau mondial**, élaborée en partenariat avec l'Ademe, comportant un certain nombre d'indicateurs précis (nombre d'hôtels ayant mis en place la charte "achats durables", consommation d'eau et d'énergie par chambre louée, avec un autocontrôle par établissement, évaluation des modes de recyclage et valorisation des déchets, évaluation des fournisseurs) dont l'évolution annuelle est rendue publique. » La mise en œuvre précise de la RSE et du développement durable dans les entreprises de l'indice SBF 120**, non plus à travers les déclarations ou les engagements des entreprises, mais par l'observation très concrète des transformations dans l'organisation des firmes, la redéfinition des fonctions et des postes, ainsi que des choix de création de nouvelles structures ou de transformation de structures existantes.
Aujourd'hui entrées dans les pratiques d'un certain nombre de multinationales, ces best practices sont à leur tour dénoncées comme des manipulations : la mise en scène de politiques responsables ayant pour fonction de masquer des pratiques inverses, en particulier les actions de lobbying destinées à contrer les initiatives de législation ou réglementation nouvelles. Face à cette critique récurrente mais forte, est née l'idée générale de coupler RSE et dialogue social, ce qui se traduit, entre autres, par des accords cadres internationaux (ACI) pour remplacer les codes ou chartes éthiques (documents élaborés unilatéralement par les entreprises) par des engagements dont le caractère novateur est double : être le fruit d'une discussion avec les syndicats, être étendu aux filiales (voire aux sous-traitants et fournisseurs) sur l'ensemble du globe. Selon une récente étude de l'Orse*** (Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises), 55 accords de ce type avaient été signés en 2006 avec une fédération syndicale internationale, pour la plupart par des entreprises européennes, parmi lesquelles la France est en tête. Eternel paradoxe français...
* in L'Entreprise responsable, A.Chauveau & J.J.Rosé, Editions d'Organisation, 2003, libre accès en ligne ** Cas Accor : B. Guillon, in Responsabilité Sociale de l’Entreprise *** Accor, Carrefour, Club Méditerranée, Danone, EDF, France Telecom, Lafarge, PSA Peugeot Citroën Renault, Rhodia, in Orse, Dialogue social et responsabilité sociétale des entreprises 2006 ainsi que Répertoire sur les pratiques des entreprises en matière de négociation des accords-cadres internationaux. |