Une espèce disparaît de la planète toutes les vingt minutes et le rythme s'accélère. " Les Echos " dressent cet été un panorama des enjeux de la biodiversité au travers de cinq emblèmes de la vie sauvage menacés de disparition.
Après l'ours blanc élevé au triste rang de symbole des conséquences de l'activité humaine sur l'environnement, des animaux aussi familiers que l'hippopotame, le tigre, plusieurs gazelles du désert, quantité de poissons d'eau douce, d'insectes, d'oiseaux et de plantes ont rejoint ces derniers mois la liste des espèces en péril. Selon le dernier recensement de l'Union mondiale pour la nature (UICN), 16.119 espèces sont clairement menacées d'extinction. C'est le cas pour un mammifère sur quatre, un volatile sur huit, un amphibien sur trois, et le quart des espèces de conifères poussant sur la planète. " La tendance est on ne peut plus claire : la perte de la biodiversité s'accélère ", évalue Achim Steiner, directeur général de l'organisation qui constitue le plus vaste réseau de connaissance sur l'environnement dans le monde avec 10.000 scientifiques et experts de 181 pays. Publiée il y a quelques mois, l'inventaire comporte 536 espèces de plus qu'en 2004, date de la précédente enquête qui avait déjà gonflé la liste rouge de 3.000 noms.
" En plus du dérèglement climatique, l'espèce humaine va devoir se préparer à un choc biologique sans commune mesure ", s'alarme le sénateur des Côtes d'Armor, Claude Saunier, co-auteur, avec Pierre Laffitte, sénateur des Alpes-Maritimes, d'un rapport sur le sujet, " La Biodiversité, l'autre choc ", qui sera publié cet hiver. Le constat est dramatique : ces deux cents dernières années, depuis le début de l'ère industrielle, le rythme de disparition de la faune et de la flore a été, selon les espèces, 10 à 100 fois supérieur au rythme naturel d'extinction constaté par les scientifiques sur une période de 500 millions d'années (une espèce sur un million chaque année).
Effondrement biologique
Déjà, un animal ou une plante disparaissent de la planète toutes les vingt minutes ! Or, selon la projection des scientifiques, cette vitesse pourrait être multipliée par 100 dans les prochaines décennies, soit un rythme 10.000 fois supérieur au taux estimé comme naturel. " Considéré à l'échelle géologique, c'est une disparition quasi-instantanée, s'indigne le sénateur. Ce qu'on nous annonce est en fait un effondrement biologique encore plus fulgurant que les cinq extinctions massives qu'a connues notre planète. " La plus meurtrière, survenue il y a environ 250 millions d'années entre l'ère primaire et secondaire, avait affecté 95 % des espèces marines et 70 % des espèces continentales. Comme celle qui a anéanti les dinosaures il y a 65 millions d'années, elle s'était étalée sur plusieurs milliers de siècles. Rien à voir avec la violence de la crise actuelle.
Au moins trente-quatre écosystèmes, qui accueillent deux tiers des espèces terrestres, sont menacés. " La colonisation des habitats a atteint son paroxysme avec l'espèce humaine ", appuie le professeur d'écologie Michel Loreau, président du comité scientifique Diversitas, un programme international de recherche sur la biodiversité. " Près de 80 % de la disparition des espèces sont imputables à la concurrence de l'homme sur les milieux sauvages. Avec une perspective de 9 milliards d'habitants en 2050, la période est critique. Tout se déroule actuellement à des vitesses invraisemblables. Nous détruisons, et les systèmes naturels n'ont pas le temps de s'adapter. Les limites de résistance de la nature sont extensibles, mais pas à l'infini. "
L'empreinte de l'humanité sur la planète est même visible dans des régions désertiques a priori éloignées de toute influence anthropique. C'est le cas dans le Sahara, où, après l'Oryx Algazelle (Oryx Dammah), qui s'est éteint il y a peu, la gazelle dama est aujourd'hui rangée dans la catégorie des espèces " en danger critique d'extinction ", car chassée sans contrôle, ses effectifs ont fondu de 80 % en dix ans.
Le sort des espèces marines n'est pas plus enviable. La pêche exploite des eaux de plus en plus profondes et beaucoup d'espèces connaissent aujourd'hui un risque au moins aussi élevé que les espèces terrestres, en particulier les requins et les raies, dont 20 % des 547 espèces inscrites sur la liste rouge de l'UICN sont désormais en danger.
Tourisme de masse
Le tableau se complique dans les régions où les effets connus de la prédation humaine (surexploitation des ressources, destruction volontaire des milieux, circulation accrue d'espèces invasives dues à la mondialisation des échanges...) sont amplifiés par des épisodes particuliers. A cause de la pression conjuguée de l'urbanisation, du tourisme de masse et de l'agriculture intensive dans le bassin méditerranéen, un des 34 points chauds de la biodiversité mondiale, 56 % des poissons d'eau douce endémiques sont ainsi menacés. En République démocratique du Congo, les hippopotames ont perdu de leur côté 95 % de leur population, victimes du braconnage, de l'instabilité politique et des conflits. En 1994, pourtant, le pays abritait la deuxième population d'Afrique, avec 30.000 hippopotames. " Si la tendance actuelle ne s'inverse pas, le monde perdra 55 % de ses espèces d'ici un siècle ", résume le paléoanthropologue Richard Leakey, ancien directeur des services de préservation de la vie sauvage du Kenya.
La situation est-elle irrémédiable ? " Peut-être pas ", évaluent les experts de l'UICN au regard du résultat des mesures de conservation appliquées à certaines espèces. L'avenir du vautour indien (Gyps Indicus), pourtant classé en danger critique d'extinction en 2002, après l'effondrement de 97 % de ses effectifs, est désormais plus sûr après l'interdiction de commercialisation du médicament vétérinaire à l'origine de son empoisonnement. Idem pour l'esturgeon, le bison d'Europe, le poisson-chat géant du Mekong et plusieurs dizaines d'autres espèces.
" L'histoire de l'humanité, c'est un peu celle du nénuphar qui se développe dans l'étang, résume Michel Loreau. Il commence par en occuper une fraction infime, double de taille, se multiplie jusqu'à couvrir la moitié de l'espace. A la génération suivante, il s'est répandu sur tout l'étang et ne peut plus croître. Ayant colonisé pratiquement toute la surface de la planète, nous arrivons à un point où il faut se poser des questions sur notre modèle de société. "