Article tiré du Dossier de Courrier International |
Lorsque Paul Bremer, l’ancien proconsul américain à Bagdad, est arrivé en Irak, en mai 2003, il restait 6 milliards de dollars du programme Pétrole contre nourriture des Nations unies, ainsi que des avoirs saisis et gelés, et au moins 10 milliards de dollars générés par la reprise des exportations pétrolières. En vertu de la résolution 1 483 du Conseil de sécurité, votée le 22 mai 2003, tous ces fonds ont été transférés sur un nouveau compte ouvert auprès de la Réserve fédérale de New York, intitulé le Fonds de développement pour l’Irak (FDI). Ils étaient destinés aux dépenses de l’Autorité provisoire de la coalition (APC) “dans la transparence […] au profit du peuple irakien”. Le Congrès américain a également décidé de consacrer 18,4 milliards de dollars de l’argent des contribuables américains à la reconstruction de l’Irak. Mais, au 28 juin 2004, lorsque M. Bremer a quitté Bagdad, son APC avait déjà dépensé 20 milliards de dollars de l’argent irakien, contre 300 millions de dollars de fonds américains. La “reconstruction” de l’Irak représente le plus important programme d’occupation mené sous la houlette des Américains depuis le plan Marshall – mais, dans ce dernier cas, c’est le gouvernement américain qui payait. Paul Bremer et le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, ont veillé à ce que la reconstruction de l’Irak soit financée par le pays “libéré”, c’est-à-dire par les Irakiens eux-mêmes. Des camions entiers de billets verts ont disparu L’APC disposait de près de 600 millions de dollars en espèces, dont il ne reste aucune trace écrite : sur cette somme, 200 millions de dollars étaient conservés dans une pièce de l’un des palais de Saddam Hussein. Le soldat américain qui en avait la garde mettait la clé dans son sac à dos, qu’il laissait sur son bureau quand il partait déjeuner. Il s’agit ici aussi d’argent irakien, et non américain. Les “irrégularités financières” décrites dans les rapports d’audit effectués par des agences fédérales américaines et par des auditeurs travaillant pour la communauté internationale donnent un aperçu de la mentalité et des méthodes des autorités d’occupation américaines. Elles distribuaient des camions entiers de billets verts pour lesquels ni elles ni les bénéficiaires n’estimaient devoir rendre des comptes. Jusqu’à présent, les auditeurs ont relevé une centaine de contrats portant sur des milliards de dollars payés à des entreprises et à des employés américains, susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires. Ils se sont également aperçus que 8,8 milliards de dollars ayant transité dans les nouveaux ministères irakiens durant l’administration de M. Bremer ont disparu, sans grand espoir d’être retrouvés un jour. Par ailleurs, 3,4 milliards de dollars alloués par le Congrès au développement de l’Irak ont servi au financement de la “sécurité”. Alors que M. Bremer était censé gérer les fonds irakiens dans la transparence, ce n’est qu’en octobre 2003, six mois après la chute de Saddam Hussein, qu’a été mis en place un contrôle financier international des dépenses de l’APC au travers du Conseil international consultatif et de contrôle (CICC), qui comprend des représentants des Nations unies, de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et du Fonds arabe pour le développement économique et social. Le CICC a d’abord passé des mois à tenter de trouver des auditeurs acceptables aux yeux des Etats-Unis. Le bureau du cabinet d’audit KPMG à Bahreïn a finalement été nommé en avril 2004. Il n’a pas eu la tâche facile. “Nous nous sommes heurtés à la résistance du personnel de l’APC lorsque nous avons voulu obtenir les informations nécessaires”, écrivent les auditeurs de KPMG dans un rapport d’étape. Ils ont eu un entretien au ministère des Finances irakien, mais les rencontres prévues dans tous les autres ministères n’ont cessé d’être reportées. Les auditeurs ont même eu du mal à obtenir des laissez-passer pour pénétrer dans la Zone verte [où se trouvent les autorités américaines et irakiennes]. Les Américains avaient apparemment une bonne raison de leur mettre des bâtons dans les roues. L’APC devait être dissoute fin juin 2004. Il était hors de question pour le gouvernement Bush de laisser des auditeurs indépendants publier un rapport sur la gestion financière de son administration irakienne alors que l’APC existait toujours et qu’à sa tête Paul Bremer devait répondre de son action devant la presse. Le rapport n’a donc été publié qu’en juillet. Les auditeurs ont découvert que l’APC ne tenait pas de comptes pour les centaines de millions de dollars en espèces gardés dans ses coffres, qu’elle avait accordé sans appels d’offres des milliards de dollars de contrats à des entreprises américaines et qu’elle ne savait absolument pas ce qu’était devenu l’argent du Fonds de développement pour l’Irak dépensé par les ministères du gouvernement provisoire irakien. |
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