+ 107% en un an. La progression de la tonne de blé a de quoi laisser songeur…. Eclairage avec Pascal Hurbault, de l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales.
Propos recueillis par Sylvain D'Huissel.
Lefigaro.fr : le marché du blé est aujourd'hui largement orienté à la hausse. Comment expliquer ces tensions?
Pascal Hurbault. - Depuis 2000, sur les huit récoltes effectuées au niveau mondial, les statistiques montrent que sept d'entre elles ont été déficitaires: la consommation dépasse donc la production. Peu à peu, on a puisé dans les stocks, et ces derniers sont devenus extrêmement faibles au 30 juin de cette année. Ce qui rend la situation sur le marché extrêmement tendue. Une baisse de récolte dans un pays producteur provoque d'importantes variations de prix. D'autant plus que la consommation, pour des raisons démographiques est extrêmement tendue. Les pays en pleine croissance, comme l'Inde ou
la Chine
, changent progressivement leur mode d'alimentation et consomment de plus en plus de viande. Or les céréales sont une partie importante de l'alimentation animale. Une hausse de la consommation de viande a donc des répercussions indirectes sur le marché des céréales. Nous sommes aujourd'hui sur un marché largement internationalisé. Avec la baisse des droits de douanes consécutive aux accords de Marrakech de 1994, le prix est fortement déterminé par le premier exportateur de blé au monde, à savoir les Etats-Unis. Il y a également une influence croissante des blés originaire des pays de la mer noire, notamment
la Russie
et l'Ukraine.
Lefigaro.fr : une hausse de la production au niveau mondial est-elle possible pour endiguer la hausse des prix?
Pascal Hurbault. - Les experts sont partagés. Des tenants de la théorie classique diront que quand le prix d'un bien augmente sur un marché, de plus en plus de gens sont intéressés pour le produire. La hausse des prix permet de rentabiliser une production qui, auparavant, était, dans certaines parties du monde, peu rentable, et permet notamment l'achat de produits phytosanitaires susceptibles d'augmenter ses rendements. D'autres diront qu'il ne sera pas possible de faire face à l'augmentation de la consommation. Un des autres aspects à prendre en compte est celui de la forte hausse de la production d'éthanol aux Etats-Unis. A noter que certains marchés, comme ceux du blé et du maïs sont interdépendants, notamment du fait de certains débouchés communs.
Lefigaro.fr : existe-il des cotations des céréales en France?
Pascal Hurbault. - Il existe un marché à terme sur la place de Paris qui est géré par Euronext, et un prix du blé déterminé "et des prix à dire d'expert, qui reflétent les prix des transactions conclues entre opérateurs par région. Il y a donc une multitude de cours locaux, exprimés soit en "départ organismes stockeurs" (c'est à dire à la sortie de la coopérative ou du négoce en grains) ou en "rendu", c'est-à-dire en intégrant les frais de transport jusqu'à la ville de destination. Pour le maïs, dans le Sud Ouest, le maïs "rendu Bordeaux Bayonne" est ainsi très suivi. Pour le blé, le "Rendu Rouen" fait autorité. Dans le monde, il existe aussi des cotations directrices. Les exportations de blé américaines représentant 30% du total mondial, le prix de leur blé, coté à Chicago sur le Chicago Board of Trade, est le plus suivi au niveau international.
Lefigaro.fr : existe-t-il plusieurs formes de référence sur le blé?
Pascal Hurbault. - Le blé tendre, qui est une espèce de blé, permet la fabrication de farines, de biscuits, d'éthanol et sert également à l'alimentation du bétail. Pour sa part, le blé dur est destiné à la semoule et aux pâtes alimentaires. Il existe toutefois des classes de blé, avec des différences qualitatives. Le blé tendre destiné à des biscuits n'est pas le même que celui de la farine de boulangerie. Il y a ainsi des différences de cotations en fonction des classes à l'intérieur de l'espèce blé tendre. Toutefois en "Rendu Rouen", il y a une cotation standard pour le blé tendre.
Lefigaro.fr : comment s'organise le marché des céréales au niveau européen?
Pascal Hurbault. - Le marché est essentiellement organisé au sein de
la Politique
agricole commune (PAC) au niveau européen. Cette organisation du marché des céréales repose sur un certain nombre d'outils. Il y a bien sûr la fixation de droits de douanes aux frontières. Eux-mêmes dépendent en partie de l'accord signé en 1994 à Marrakech. Un autre pan de l'organisation du marché est l'attribution des aides aux producteurs. Trois quarts de ces aides le sont sous forme découplée de la production. C'est-à-dire que quoi que vous fassiez sur vos terres arables, vous recevez trois quarts du montant maximum de ce à quoi vous pouvez prétendre. Le dernier quart de ce à quoi vous pouvez prétendre est lié, lui, à la réalisation de la production de céréales ou d'oléoprotéagineux.
Le troisième pan important est celui de l'intervention: lorsque les les coopératives et négociants en grains ne trouvent pas preneur de leurs marchandises à ce qu'on appelle "le prix d'intervention", les pouvoirs publics européens interviennent sur le marché en achetant la marchandise pour la mettre dans des stocks publics. A l'inverse, lorsque le marché est tendu, la commission européenne déstocke ce qu'elle avait engrangé dans les silos publics.
Un dernier pan est celui de la règlementation à l'exportation, avec notamment des subventions à l'exportation attribuées pour les sociétés de commerce vendant des céréales à des pays hors Union Européenne. A l'inverse, il existe la possibilité de taxer des prix à l'exportation quand le prix européen est inférieur aux prix des autres pays producteurs.