Défense et illustration des délocalisations ! Claude Bébéar, président de l'institut Montaigne, souligne les conséquences immensément positives de ces mouvements des entreprises pour l'avenir de la planète.
Dans les pays développés, les délocalisations sont montrées du doigt comme étant à l'origine de tous les maux. Il faut soit les interdire, soit mettre de nouvelles barrières aux frontières. Les pays riches veulent garder leurs emplois et se protéger d'une immigration incontrôlée. Cette position reflète un égoïsme fondamental.
Elle relève également d'une myopie totale quant aux conséquences immensément positives de ces délocalisations pour l'avenir de la planète. J'en vois au moins cinq principales qui en montrent les avantages, et qui me font dire que délocaliser est un devoir pour les entreprises.
1. Quel serait le niveau de vie des bas salaires dans les pays développés si les entreprises n'avaient pas délocalisé la fabrication du textile, des articles de sport, de l'électroménager, du matériel audio-visuel... en fait, de la majorité des produits de grande consommation ? Les Français qui se plaignent de la faiblesse de leur pouvoir d'achat sont-ils conscients de ce que la majorité des produits qu'ils consomment sont fabriqués dans des pays où les salaires et les charges sont beaucoup plus faibles qu'en France, et que c'est grâce à cela qu'ils ont aujourd'hui un des niveaux de vie les plus élevés du monde ?
2. Les pays sous-développés se développent en grande partie grâce aux emplois créés chez eux, entre autres grâce aux délocalisations. Pendant plus de deux siècles, les Etats développés ont pratiqué "la charité", parfois pour des sommes colossales, à l'égard des pays en voie de développement, avec pour principal résultat de développer la corruption et d'enrichir certains comptes dans des paradis fiscaux.
Depuis plus de vingt ans, des grandes entreprises américaines et européennes ont délocalisé certaines fabrications ou services en Asie du Sud-Est, en Chine, en Inde, dans les pays du Maghreb pour diminuer leurs prix de revient et fournir des produits moins chers à leurs clients. Elles ont donc investi dans ces pays, donné travail et formation à leurs ressortissants, en direct ou par le biais de la sous-traitance. Et on a enfin vu ces pays "décoller".
3. Pour beaucoup d'entreprises, ces délocalisations sont des relocalisations rapprochant la fabrication de la consommation, permettant de donner aux habitants des pays en développement des produits à des prix compatibles avec leur pouvoir d'achat, ce qui ne serait pas le cas s'ils étaient obligés de les importer. Ceci contribue à réduire les déséquilibres Nord-Sud.
4. La hausse de niveau de vie dans ces pays crée des clients potentiels pour les pays développés. Ils deviennent acheteurs de produits à valeur ajoutée fabriqués en Europe ou en Amérique du Nord. Ils y voyagent et y consomment.
5. Avec les moyens de communication qui ignorent les frontières, le développement des échanges et du tourisme, on ne peut plus continuer à avoir un monde scindé en deux: pays riches d'un côté et pauvres de l'autre. C'est éthiquement insupportable. Et pour ceux qui n'en seraient pas convaincus, c'est dangereux pour l'avenir du monde que ce déséquilibre ne se résorbe pas.
Si les habitants des pays défavorisés ne peuvent accéder à des niveaux de vie acceptables, puis comparables aux nôtres, nous ne pourrons éviter une immigration clandestine massive et des conflits partout dans le monde. Les délocalisations permettent de fixer les populations dans leur pays d'origine en leur donnant du travail sur place et un véritable avenir.
Toutes ces raisons justifient que nous acceptions la logique des délocalisations. Mais à quatre conditions: dans nos pays, nous devons traiter les conséquences en liaison avec le service public de l'emploi avec les régions, par un accompagnement approprié (formation, reconversions vers des activités à valeur ajoutée). Dans les pays où nous délocalisons, nous devons être exemplaires en ce qui concerne les rémunérations, les conditions de travail, la formation, le respect des droits sociaux.
Nous devons exiger des pays qui profitent de ces délocalisations un comportement qui respecte les règles définies par l'OMC (ouverture de leurs frontières à nos produits, respects des brevets, des marques, des accords). Il est impératif que nous fassions des investissements lourds dans la recherche et dans l'enseignement supérieur pour conserver et développer des emplois à haute qualification et une capacité à exporter notre économie du savoir dans le monde.
Aujourd'hui, seules les entreprises, en particulier les multinationales, peuvent assumer ce nouveau rôle. Par contre, les États, par des aides appropriées, peuvent influencer sur les lieux d'implantation ou de sous traitance afin de favoriser le développement de certaines régions plutôt que d'autres. Le mouvement est lancé. C'est un énorme espoir pour la planète et un élément clé du développement durable. Il est urgent de ne pas y mettre fin par peur ou par égoïsme.
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