Tout progrès en matière d'écologie se paye-t-il d'une moindre croissance de l'économie ? Telle est la question que l'on n'ose pas trop se poser entre un Grenelle de l'environnement qui vient d'afficher de grandes ambitions et les délibérations de la commission Attali sur la meilleure manière de desserrer les freins à la croissance économique.
par Jean Boissonnat
En vérité, l'écologie est un produit de l'économie. C'est parce que celle-ci a connu, depuis deux siècles, un développement sans précédent et parce que, aujourd'hui, celui-ci s'étend à la Terre entière, que nous butons sur les limites de la nature : pollution, pénurie d'énergie et de matières premières, insuffisance des ressources en eau et en produits alimentaires.
Lorsque la révolution industrielle s'est ébranlée, au début du XIXe siècle, l'humanité comptait un milliard d'êtres humains, dont seule une minorité avait accès aux produits de la nouvelle économie. Aujourd'hui, la Terre compte plus de six milliards d'habitants - et sans doute entre neuf et dix milliards à la fin du siècle - dont la majorité s'engouffre désormais à la conquête du niveau de vie du milliard le plus développé. Ce que l'on appelle la mondialisation est la première cause des impératifs écologiques. Impossible, par exemple, d'imaginer que les Chinois seront équipés, à la fin du siècle, comme nous le sommes aujourd'hui en France en matière d'automobiles (une voiture pour deux habitants) si les voitures fonctionnent toujours avec le moteur à explosion. La Chine est déjà le pays le plus pollué du monde. Elle s'étouffe si elle prétend nous rattraper. Or, au nom de quoi et avec quelle autorité pourrions-nous le lui interdire ?
Les quatre étapes du développement
L'écologie n'est plus un choix pour l'économie. C'est désormais une condition de la poursuite de son développement. C'est la quatrième étape de la révolution industrielle que nous connaissons depuis deux cents ans. Il y a d'abord eu la découverte de la productivité, moteur de la croissance : la machine, l'entreprise et le marché nous ont permis de produire autant avec moins et de produire plus avec autant. Il en a résulté diverses formes d'exploitation sociale, notamment de la classe ouvrière, ce qui nous a contraints à imaginer un modèle de développement plus équitable, avec le dialogue organisé entre les salariés et les patrons et avec les systèmes de protection sociale. Aujourd'hui, les peuples tenus à l'écart de ce développement revendiquent le droit d'y participer, en nous empruntant nos propres mécanismes (productivité et exploitation sociale). C'est la troisième étape du développement, la mondialisation. Elle débouche inéluctablement sur une quatrième étape, car, extrapolé à l'ensemble de l'humanité, notre modèle percute la nature. Il explose. Nous sommes très précisément à ce tournant historique.
Il n'y a pas de recette miracle pour résoudre ce problème. Cela se fera par une prise de conscience progressive (elle est en cours chez nous avec, parfois quelques excès inévitables, mais pas partout), des tâtonnements, des innovations techniques, traversés de conflits sociaux et politiques.
En 2000, nous n'avons pas seulement changé de siècle. Nous avons changé de société. En s'élargissant à la terre entière, la société industrielle s'oblige à changer de modèle. Elle découvre qu'elle épuise la nature et qu'elle énerve la société. Elle a beaucoup d'atouts pour faire face à ces nouveaux défis, notamment sa mobilité devant l'inattendu et sa capacité d'innovation. Mais elle a aussi des handicaps réels : elle aiguise les appétits sans jamais les satisfaire et elle exacerbe les concurrences ; elle sature l'humanité en préoccupations matérielles sous lesquelles elle enfouit sa dimension spirituelle. Elle aurait besoin d'un supplément d'âme pour comprendre qu'on peut vivre autrement (1). Mais, précisément, l'âme l'ennuie. Seul le corps la passionne.
(1) Signalons la prochaine session des Semaines sociales de France, au Cnit, à Paris La Défense, du 16 au 18 novembre, sur le thème Vivre autrement pour un développement durable et solidaire avec des intervenants de grande qualité.
Jean Boissonnat