Le nord du Niger, peuplé de Touaregs, est en proie aux violences. Sur fond de combats acharnés pour le contrôle des ressources énergétiques. Pour eux, c'est l'uranium. Comme tant d'Africains, les Touaregs du Niger paient au prix du sang les richesses de leur sous-sol.
Issouf Maha, le maire de Tchirozérine, arrive tout juste en France.
Depuis que les combats ont commencé, au printemps, il a appelé à une trêve l'intraitable président nigérien Mamadou Tandja et les rebelles touaregs du Mouvement nigérien pour la justice (MNJ). Il a créé un collectif d'associations pour secourir des populations épuisées par la désorganisation de la zone, les mines à contourner, plus les inondations qui ont détruit les jardins cet été. Rien n'y fait. Alors, il est parti « pour alerter l'opinion européenne. »
Des journalistes arrêtés
Le Nord du Niger est placé aujourd'hui en « état de mise en garde », sorte d'état d'exception qui vaut aussi au journaliste Moussa Kaka de croupir depuis plusieurs semaines en prison et à Ibrahim Diallo d'être, depuis deux semaines, en état d'arrestation. « La zone est bouclée par 6 000 militaires, explique Anara Elmoctar, président de l'association Timidawa et membre du MNJ, qui estime « entre 1 000 et 1 500 » les rebelles commandés par Aghali Alambo.
Comme dans la précédente rébellion, entre 1990 et 1995, les Touaregs veulent que 50% des revenus de l'uranium servent aux populations locales. Jusqu'ici, elles ont surtout subi la pollution. Troisième producteur mondial, le Niger reste, avec ses 13 millions d'habitants (dont 1,5 million environ de Touaregs), le pays le plus pauvre du monde.
La tension est remontée en même temps que les cours de l'uranium. Depuis un an, le pouvoir nigérien a accordé 122 permis d'exploration. Chinois, Canadiens, Indiens ou Sud-africains lorgnent sur la chasse gardée du français Areva, qui puise ici 3 000 t par an, un tiers du combustible des centrales françaises. D'où le réveil touareg.
« Des milliers de jeunes démobilisés ont attendu pendant quinze ans les promesses faites en 1995 », explique Anara Elmoctar, en faisant allusion aux accords de paix entre les Touaregs et le gouvernement de Niamey. « La société touarègue n'est plus seulement une société d'éleveurs. Une nouvelle génération a grandi dans les villes, a étudié », souligne de son côté une anthropologue qui préfère garder l'anonymat. Troisième source de révolte : « Le filon de l'uranium, dit-elle, court sous les pâturages, au coeur des zones de transhumances. »
Médecins sans frontières s'en va
Le conflit est désormais noué. Les rebelles, dont certains ont déserté l'armée chargés d'armes, ont humilié les forces nigériennes, le 22 juin, à Tazerzeit, en représailles à l'assassinat de trois vieillards. Ils ont la connaissance du terrain et le soutien de la population. En face, le président Tandja, qui a durement réprimé la précédente rébellion, ne voit que « bandits », « trafiquants de drogue » ou « terroristes ».
Les étrangers sont à la fois otages et acteurs. Le pouvoir soupçonne les Français d'aider les rebelles : deux cadres d'Areva ont été expulsés. Les rebelles accusent les Chinois d'équiper l'armée. Mais les enjeux sont tels que les Touaregs craignent l'isolement. Les Français évoluent vers le soutien à Tandja, attendu à Paris début novembre. Les Américains, qui surveillent toute la bande sahélienne, renseignent l'armée. « Beaucoup d'ONG hésitent à intervenir de peur qu'on leur en tienne rigueur » pour leurs activités au sud.
Hier, Médecins sans frontières a « pris la décision d'interrompre » ses activités à Dabaga, dans la région d'Agadès, après une nouvelle attaque armée contre six membres de l'ONG.
Dans un tel contexte, la vie des Touaregs ne cesse de se dégrader. C’est pour cela qu’Issouf Maha, le maire de Tchirozérine, a fini par prendre l’avion. «Les prix des denrées flambe, dit-il, et la population est tétanisée par la peur des représailles de l'armée. Le président Tandja a déclenché une guerre sans merci. A la radio et à la télé, on incite à la haine. Le MNJ va se défendre, il n'a pas le choix. » Pendant que là-bas, dans le désert, résonnent le blues touarègue et les chants de résistance, Issouf Maha est donc ici. Pour longtemps peut-être: « Là-bas, si je bronche, je risque ma vie; je suis incapable de me taire. »
Journal du vendredi 26 octobre 2007
MICHEL ROUGER