Capturer le C02 créateur d’effet de serre en jetant des tonnes de fer dans les océans. Il fallait oser le faire C’est le projet que tente de vendre la société Planktos, malgré les doutes des scientifiques face à cette première tentative d’ingénierie du climat.
Le Weatherbird
II a bien de l’ambition. Ce navire de recherche, vendu il y a un an
par l’Institut océanographique des Bermudes, a quitté son port de Floride début
novembre pour une curieuse aventure : saupoudrer l’océan de plusieurs centaines
de tonnes de fer.
Pour certains, il s’agit là de la première opération de
géo-ingénierie jamais menée. Pour d’autres, l’expédition n’est qu’une vulgaire
opération financière, dangereuse pour l’environnement de surcroît. Au point que,
depuis la fin décembre, à la suite de pression écologistes, le navire est en
rade, à Madère, où il attend les autorisations de mener sa mission.
Pourtant, à
en croire Planktos, la compagnie américaine propriétaire du navire, il s’agit là
de «sauver le monde tout en faisant un peu
d’argent». Rien que ça.
«Nous sommes exactement comme une
start-up dont le médicament n’est pas encore commercialisé. Tant que l’essai
clinique n’est pas terminé, notre aventure est risquée», explique Russ George, le directeur de cette jeune société
californienne. Avant d’ajouter : «Risquée d’un point de vue économique,
j’entends.» Seule
différence avec les start-up classiques : le médicament de Planktos est à
destination de la Terre.
Et
L’idée
n’est pas nouvelle. En 1990 déjà, un certain John Martin publia, dans la revue
scientifique Nature, la preuve
que l’apport de fer pouvait considérablement augmenter la quantité de plancton
végétal (ou phytoplancton). «Donnez-moi un
demi-tank de fer et je vous crée un âge glaciaire», s’amusait à
résumer l’océanographe.
Fertilisations
artificielles. De
fait, ces algues microscopiques agissent comme les arbres de nos forêts : elles
captent le gaz carbonique et le transforment en matière organique dont une
partie coule alors au fond des mers. Cette «pompe biologique» ferait ainsi
disparaître chaque année entre 10 et 20 milliards de tonnes de carbone dans les
profondeurs abyssales et participe donc à limiter le réchauffement planétaire.
Mauvaise nouvelle : son activité serait en baisse. «Des études de la Nasa
Sauf que
pour l’heure, l’efficacité de l’opération est l’objet de très vives
spéculations. Pourtant, ce ne sont pas les expériences qui manquent.
Depuis 1993, pas moins de 12 fertilisations artificielles ont été menées. Or
«seules 3 expériences parmi les 12 ont été
capables de montrer avec certitude qu’une séquestration avait eu
lieu», analyse Philip Boyd, chercheur à l’Institut de recherche sur
l’eau et l’atmosphère de Nouvelle-Zélande et spécialiste des fertilisations.
Plus inquiétant pour Planktos : ce stockage était d’environ 1 000 tonnes de
carbone par tonne de fer ajouté. Soit 30 à 50 fois moins que les prévisions de
la compagnie… De fait, 80 à 85 % du fer déposé semble en réalité se perdre dans
l’océan avant d’être capté par le phytoplancton. Et même lorsque celui-ci
parvient à profiter du fer, une grande partie du dioxyde de carbone qu’il
consomme retourne dans l’atmosphère quelques semaines plus tard, à cause des
bactéries qui dégradent la matière organique.
«Il est illusoire de vouloir copier
la pompe biologique des océans», intervient Stéphane Blain, du Laboratoire
d’océanographie et de biogéochimie de Marseille, premier auteur d’un article
remarqué, publié dans Nature en
avril dernier, sur la fertilisation naturelle aux Kerguelen (1). Pourquoi ?
«A cause de la forme du fer et de la façon
dont il parvient à la surface des mers, poursuit l’océanographe.
Lors des fertilisations naturelles, soit le
fer provient des profondeurs des mers, comme dans le cas de notre étude aux
Kerguelen, soit des poussières continentales poussées par le vent. Dans les
deux cas, le fer se trouve mélangé à d’autres nutriments et la fertilisation se
fait de manière diffuse sur de larges surfaces, à l’inverse des expérimentations
où l’on dépose d’un coup quelques kilos de fer sur 100 km2
.»
Grande
échelle. Pour
certains, c’est justement la preuve qu’il faut poursuivre les expériences à plus
grande échelle, afin d’éviter une dilution trop rapide du fer et favoriser
l’agrégation des matières organiques, qui tomberaient alors plus vite au fond
des mers. «C’est peine perdue, critique le chercheur français. Nous ne pourrons jamais
utiliser la même forme de fer ni le déposer de la même manière que le fait la
nature. Selon nos expériences,
les apports naturels de fer par les vents depuis les plateaux continentaux, dans
l’océan, sont 10 à 100 fois plus efficaces pour piéger le carbone que les
fertilisations artificielles.»
Par
ailleurs, quels seraient les impacts écologiques de cet épandage à large échelle
? «C’est encore l’inconnu»,
prévient Stéphane Blain. En outre, certains craignent qu’une multiplication de
micro-organismes entraîne un appauvrissement en oxygène potentiellement menaçant
pour le reste de la faune marine. Enfin, on ne sait pas non plus si doper les
algues d’un côté de l’océan ne finira pas par les affamer ailleurs, en absorbant
de grandes quantités de sels nutritifs qui ne seront plus redistribués par les
courants.
«Inconnues
scientifiques».
Autant d’incertitudes qui expliquent la prudence, voire l’hostilité, de la
plupart des scientifiques aux projets de fertilisations à grande échelle. De la
même façon, la convention- cadre des Nations unies sur les changements
climatiques refuse de reconnaître cette stratégie comme une des mesures
«d’atténuation du réchauffement».
Enfin,
l’Organisation maritime internationale, en charge de la sécurité des mers, s’est
prononcée en novembre contre le déversement commercial de fer «étant donné les inconnues scientifiques de ces
expérimentations». «Par exemple,
la prolifération d’algues pourrait entraîner une augmentation de la production
de certains gaz comme le protoxyde d’azote ou le méthane, dont l’effet de serre
est beaucoup plus puissant que le CO2.»
«Mais nous sommes tous d’accord !»
s’énerve Russ
George. «Jusqu’à présent, la taille des
expérimentations scientifiques ne nous a pas permis de combler ces incertitudes.
Voilà pourquoi nous lançons une série de 6 épandages, d’environ 100 tonnes de
fer chacun, pour s’assurer de l’intérêt et de l’innocuité de notre
méthode.»
Les
Galápagos, d’abord sélectionnées comme site d’expérimentation, ont finalement
été abandonnées devant la levée de boucliers d’ONG et d’associations de défense
de la nature. Désormais, le lieu des opérations est tenu secret, «car nous sommes toujours poursuivis par des
écologistes qui veulent nous couler à tout prix», fustige l’homme,
qui a lui-même fait un rapide passage chez Greenpeace, au milieu des années 80,
à bord du Rainbow Warrior, après
avoir créé une entreprise spécialisée dans la reforestation, Coast
Range.
Autre ennui
de taille pour Planktos : toujours aucune autorisation de déverser du fer depuis
le Weatherbird II. La convention
de Londres (1975) relative à la prévention de la pollution des mers autorise
effectivement certains déversements de substances dans les océans, mais à une
seule condition : obtenir un permis spécial du pays du pavillon avec lequel le
bateau navigue ainsi que du pays à partir duquel la substance en question est
chargée. Or, les Etats-Unis refusent toujours de délivrer ce permis.
Qu’à cela
ne tienne : «Puisque les Américains ne
comprennent pas l’intérêt de nos recherches, nous utiliserons un autre bateau
pour ces opérations», commente sobrement Russ George. A moins de
trouver un pays non-signataire de la convention de Londres, ce qui réglerait le
problème légal… mais n’arrangerait en rien l’image de Planktos, qui commence à
prendre des allures de pirate des mers plutôt que de sauveur des
océans.
LISE BARNÉOUD
(1) Libération du 27 avril
2007.