« Bon nombre des enseignants de la région appartiennent aux communautés ethniques qui ont quitté la vallée du Rift par milliers », a indiqué à IRIN l’évêque Jackson ole Sapit, qui gère huit districts de la province de la vallée du Rift, dans l’ouest du Kenya. « Un grand nombre de ceux qui sont partis nous ont dit qu’ils chercheraient à être mutés dans des régions où ils se sentent plus en sécurité, ce qui risque de nous poser de gros problèmes à long terme ».
« La semaine dernière, j’ai envoyé mon neveu à l’école secondaire où il étudie, mais seuls 10 des 700 écoliers de l’établissement étaient venus en classe, alors on l’a renvoyé chez lui », a-t-il poursuivi.
Dans les camps du district de Narok North, les parents ont dit craindre d’envoyer leurs enfants dans les établissements de la région, car ils risqueraient d’être attaqués par des communautés rivales ou des jeunes indisciplinés. L’un de ces camps, monté dans l’enceinte du commissaire du district, compte plus de 1 800 résidents – qui ont indiqué qu’aucun des enfants déplacés n’allait à l’école.
Vives tensions
« Nos enfants ne sont pas encore en classe – si nous pensions qu’ils sont en sécurité, nous les y enverrions, mais les tensions sont encore vives, ici », a expliqué une déplacée, mère de deux enfants.
Selon les autorités du district de Narok North, néanmoins, ces craintes sont infondées et les parents feraient mieux d’envoyer leurs enfants à l’école.
« Pour nous, cette menace est plus perçue que réelle, mais nous la prenons tout de même au sérieux et nous faisons tout notre possible pour renforcer la sécurité afin que les gens ne se sentent pas en danger », a déclaré à IRIN Andre Rukaria, commissaire du district de Narok North. « Nous avons établi des camps de police administrative supplémentaires aux alentours de la ville, ainsi que des postes de patrouille en plus ».
Globalement, les habitants de Narok North vivaient paisiblement jusqu’à ce que les manifestations organisées par l’opposition dans la ville ne donnent lieu à des flambées de violence, le week-end du 18 janvier ; huit personnes avaient été tuées au cours de ces affrontements et le nombre de déplacés a considérablement augmenté depuis lors.
Selon William Kaelo, responsable adjoint de l’éducation dans le district, bien que son service n’ait pas encore commencé à recenser le nombre d’enseignants déplacés et qu’il ignore ainsi l’ampleur précise de la pénurie, plusieurs écoles de la ville n’ont pas ouvert leurs portes en raison du faible nombre d’écoliers présents ou du fait de l’insécurité qui continue de régner dans la région. En outre, deux écoles maternelles de la région font désormais office de centres d’hébergement supplémentaires pour les déplacés, et ne peuvent donc pas ouvrir leurs portes.
« En ville, où une majorité des violences ont eu lieu, au moins cinq école publiques – où près de 4 000 écoliers sont inscrits – n’ont pas encore ouvert, et les écoles privées sont restées complètement fermées », a-t-il indiqué. « Cela signifie que les déplacés ne sont pas les seuls à être touchés – beaucoup d’autres enfants du district ne peuvent pas aller à l’école non plus ».
A Molo, district de la vallée du Rift, pas moins de 50 établissements n’ont pas encore ouvert leurs portes pour la rentrée scolaire, selon les estimations de certaines sources.
D’après Elias Nour, responsable de l’éducation au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), les écoles offrent une protection aux enfants en situation d’urgence. « Lorsque les enfants vont à l’école, cela leur donne une impression de normalité, qu’ils transmettent ensuite à leurs familles », a-t-il observé. « Ils sont sous la protection de professionnels qualifiés [...] de plus, les écoles peuvent également servir à favoriser l’harmonie par le biais de l’éducation à la paix ».
Besoin d’une intervention rapide
Le ministère kenyan de l’Education, en collaboration avec l’UNICEF et d’autres partenaires locaux tels que la Société de la Croix-Rouge kényane, a élaboré un plan « d’intervention et de redressement » pour permettre aux écoles de reprendre leurs activités, même dans les camps.
« Dans le cadre de ce plan, nous avons réalisé de brefs états des lieux et avons commencé à distribuer des kits scolaires, des kits de jeu et des tentes à ceux qui en avaient besoin, pour que les enfants puissent commencer à aller en classe dans les camps », a indiqué M. Nour.
« Le [plan de] redressement pourrait impliquer certaines mesures, et notamment l’imposition de frais de scolarité supplémentaires plus tard, pour permettre aux écoliers de rattraper les cours qu’ils ont ratés, mais notre priorité, dans l’immédiat, est de distribuer du matériel éducatif et des vivres aux écoliers, et d’assurer leur protection », a-t-il ajouté. « Nous n’avons pas encore pu nous rendre dans de nombreuses régions, nous avons des difficultés logistiques [...] on ne peut pas forcer le système ».
Des écoles temporaires ont été établies dans les camps de Nakuru et d’Eldoret, mais dans les régions où l’UNICEF et le ministère ne se sont pas encore rendus, les responsables des camps inventent des méthodes innovantes pour occuper les enfants.
Dans le camp de Mulot, dans le district de Narok South, les enseignants déplacés ont aménagé des classes de fortune à l’ombre des arbres et dans les établissements administratifs du district ; le nom – assez irrévérencieux – d’Ecole primaire des réfugiés a même été donné à l’école du camp.
« Nous essayons, mais nous avons des enfants de différents niveaux, tous regroupés [dans une même classe] et nous n’avons ni craie, ni tableau, ni livres, ni stylos, alors c’est très difficile », a expliqué Samuel Tureiga, enseignant au camp de Mulot, qui compte 550 résidents, dont un tiers d’enfants. « Nous essayons d’occuper les enfants pour qu’ils puissent avoir une certaine stabilité ».
Parmi les déplacés du camp de Mulot, il n’y a pas d’enseignant du secondaire ; les collégiens déplacés sont donc chargés de s’acquitter des tâches ménagères et de s’occuper de leurs jeunes frères et sœurs.
M. Tureiga s’est dit prêt à être muté dans une école du district, mais à condition que celle-ci se trouve près d’un poste de police. « Je ne peux pas retourner enseigner dans une école rurale, où ma sécurité ne sera pas garantie », a-t-il ajouté.
Les enseignants ont également déclaré avoir décelé des signes de traumatisme chez les enfants plus âgés, dont certains sont très renfermés et refusent de coopérer ; le camp n’a pas encore reçu la visite d’un conseiller psychosocial.
À l’heure actuelle, l’UNICEF poursuit sa mission d’évaluation dans la région, et travaille aux côtés des autorités de la province pour avoir une idée plus précise des conséquences des flambées de violence sur les enfants et assurer que les établissements scolaires de la région reprendront leurs activités dès que la situation politique se sera apaisée. Les violences ont fait quelque 250 000 déplacés, selon les estimations, dont une majorité dans la vallée du Rift.
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