Le marché européen continental du gaz est constitué d'une juxtaposition de marchés domestiques. Antoine Hyafil, professeur de finance au groupe HEC, et Jean-Michel Gauthier, associé chez Deloitte, estiment que c'est l'essor du gaz naturel liquéfié (GNL), affranchi de la rigidité des gazoducs, qui apportera la contribution essentielle à l'avènement d'un véritable marché européen.
L'actuelle polémique sur la hausse des tarifs du gaz alimente une confusion générale sur les mécanismes de marché d'une ressource énergétique aussi essentielle. Certains s'indignent de cette augmentation et invoquent la protection des contrats à long terme. D'autres dénoncent l'opacité de la formation des prix du gaz en France.
Aux premiers, nous pourrions répondre que la hausse de 4% du tarif en France reste bien en retrait des 60% d'appréciation du brent (en dollars) depuis le début de l'année. Aux seconds, on pourrait rétorquer que ce défaut de transparence traduit tout simplement une absence de marché.
Le marché européen continental du gaz est constitué d'une juxtaposition de marchés domestiques, à l'intérieur desquels les bâtisseurs historiques de l'industrie nationale (Ruhrgas pour une grande partie de l'Allemagne, Snamen Italie, Distrigazen Belgique, Gaz de France...) assurent près de 90% de l'offre de gaz dans le cadre de contrats long terme avec les Etats producteurs indexés sur le fioul domestique et le fioul lourd tels que cotés en dollars sur le marché pétrolier de Rotterdam.
Le solde de l'offre de gaz est assuré par les marchés de gros. L'Europe ne compte aujourd'hui que trois marchés gaziers organisés: britannique (NBP), néerlandais (TTF) et celui de Zeebrugge en Belgique. Les produits échangés sur ces marchés comportent principalement des contrats à prix spot pour une livraison physique obligatoire le lendemain ou des contrats à prix forward pour une fourniture future selon des échéances fixes. En l'absence de marché organisé, le marché de gros se limite à des transactions de gré à gré entre opérateurs, comme c'est le cas en France.
Serions-nous mieux protégés si les tarifs en distribution publique étaient calés sur ceux des marchés spot en lieu et place des produits pétroliers? Rien n'est moins sûr. En mars 2006, à Zeebrugge, la référence des contrats long terme s'établit à 18 euros par mégawattheure quand le prix spot dépasse les 60 euros. En mars 2007, en revanche, le spot tombe à 10 euros alors que le gaz long terme dépasse les 21 euros.
Contrat long terme ou échange instantané, lequel choisir ? Il faudrait en fait plutôt dire: contrat pétrolier ou transaction gazière ? Tant que l'offre gazière reste dominée par les contrats indexés sur les produits pétroliers, les fournisseurs de gaz, si nombreux soient-ils, ne peuvent proposer à leur clientèle que des prix de gaz reflétant ceux du pétrole. Une seule formule d'achat, une seule logique de prix à la vente. Point de concurrence gaz-gaz: le jeu gazier demeure atone. Là encore, rien n'est immuable.
Les consommateurs, surtout industriels, pourront demain bénéficier d'une fourniture gazière sur mesure, indexée sur l'électricité, le gaz, l'aluminium... Trouveront-ils cependant les instruments de couverture nécessaires pour fixer un prix ou une marge sur des marchés d'une liquidité acceptable ? Ils pourront couvrir sans obstacle leur exposition au risque de prix pétrolier long terme.
La domination du pétrole-roi s'affiche tout entière dans la liquidité et la profondeur incomparables de son marché. Le paradoxe des marchés gaziers est bien là. Les contrats long terme, dont la légitimité historique est de veiller à la sécurité d'approvisionnement des marchés, arriment le prix du gaz à celui du pétrole et réduisent financièrement les différentes offres de gaz à une seule.
A l'inverse, la disponibilité de "gaz concurrentiel" favorise l'émergence d'un authentique marché du gaz, décorrélé de celui du pétrole, mais impose une gestion, toujours imparfaite et fragile, de l'exposition des opérateurs à des indices multiples et des risques de non-liquidité. Les compagnies gazières, qui ont récemment conclu des contrats long terme indexés non sur le pétrole mais sur la référence du marché de Zeebrugge, auraient-elles trouvé la juste voie entre ces deux écueils ?
L'expérience mérite d'être suivie. Au-delà, c'est l'essor du gaz naturel liquéfié (GNL), affranchi de la rigidité des gazoducs, qui apportera la contribution essentielle à l'avènement d'un véritable marché européen.
Antoine Hyafil, professeur de finance au groupe HEC, titulaire de la chaire HEC-Deloitte Energie & Finance, et Jean-Michel Gauthier, associé chez Deloitte