L'institut le plus réputé d’Allemagne, l'Ifo à Munich, démontre le «paradoxe vert» (1). L’ifo montre que certaines politiques destinées à réduire le réchauffement climatique augmentent les émissions de CO2, selon Hans-Werner Sinn, son directeur. Il aborde ici un thème fréquemment abordé en économie, comme en littérature d'ailleurs, avec le Nobel 2007, Doris Lessing. Il s'agit du fossé entre fantasme et réalité. L'Ifo prend pour hypothèse le rapport Stern et le doublement de la concentration de CO2 d'ici à 2035. Il reconnaît l'échec du marché, son incapacité à gérer ce qui est in fine un double problème de stocks, celui des ressources naturelles et celui des émissions de CO2.
Il met surtout le doigt sur l'erreur majeure des politiques environnementales. Car si la situation est alarmante, rien ne sert de l'aggraver. C'est précisément l'effet des propositions du rapport Stern. La panoplie de mesures envisagées vise la seule diminution de la demande d'énergie fossile dans un ou plusieurs pays. Mais on néglige complètement l'offre, l'autre aspect de l'équation. «Le silence règne sur l'offre d'énergie. Le rapport Stern l'évoque à peine en passant, en pages 185 et 318», selon Hans-Werner Sinn. Pourtant l'extraction d'énergie fossile est fonction de l'offre et de la demande. Impossible de les séparer. «Les mesures de réduction de la demande ne résolvent le problème du réchauffement que si les cheikhs arabes et autres propriétaires de ressources fossiles gardent leur carbone sous terre», selon l'économiste. S'ils ne sont pas convaincus des mérites de Kyoto, nos efforts visant à réduire la demande de CO2 pèseront sur le prix de l'énergie, ce qui incitera d'autres pays à prendre la relève et augmenter leur demande d'énergie à notre place. Le réchauffement climatique se poursuivra comme avant.
Bien sûr, on peut débattre du lien entre l'extraction de carbone et la production de dioxyde de carbone. Mais un point est indiscutable: aucune énergie fossile ne peut éviter la production de dioxyde de carbone. Les lois de la chimie impliquent que les mesures de réduction de la demande de CO2 seront sans effet si l'offre n'est pas touchée. Aussi surprenant que cela puisse paraître, «les mesures destinées à construire un meilleur isolement de l'habitat, à la construction de voitures plus légères, ou à la diminution du trafic remplacent la demande domestique par la demande étrangère», laquelle est stimulée par la baisse des prix relatifs», selon l'institut Ifo. Les méthodes alternatives, comme les énergies renouvelables, contribuent aussi à baisser le prix de l'énergie sur les marchés mondiaux et à stimuler la demande en Chine et ailleurs. La clé, c'est toujours leur manque d'impact sur l'offre d'extraction. Les voitures hybrides génèrent de l'énergie plus utile, mais ne réduisent pas la consommation de carbone, renchérit l'expert. C'est aussi vrai de l'énergie nucléaire. C'est surprenant, explique Hans-Werner Sinn, mais les mesures d'efficience technique destinées à améliorer le processus de combustion en évitant les émissions augmentent la production de CO2 et exacerbent le réchauffement.
L'échec du marché n'a rien à voir avec l'approche scolaire des externalités telle qu'elle se lit dans le rapport Stern, trop statique et comptable pour être utile. Mieux vaudrait intégrer des notions dynamiques de legs entre les générations d'un capital divers comprenant le capital de ressources sous-terre, le capital créé par l'homme et les déchets industriels. C'est l'ensemble de ces facteurs que les politiques environnementales doivent intégrer tous ces facteurs pour influer sur la courbe de production, et réduire l'extraction dans le présent.
L'une des solutions les plus efficaces consiste à accroître la sécurité des droits de propriété de ressources naturelles. Le marché pétrolier de ce début d'année l'explique à merveille. Quantité de gouvernements (Venezuela, Equateur, Iran, pays arabes) cherchent à participer plus fortement aux bénéfices de la hausse du baril. Voilà pourquoi les prix montent, explique The Economist. L'insécurité sur les droits de propriété incite à augmenter l'extraction aujourd'hui même. Si le gouvernement craint pour son avenir, il surexploite. De ce point de vue la démocratie est perçue comme un risque de perte de pouvoir pour certains clans. Donc sous l'angle du réchauffement climatique, mieux vaut stabiliser un pouvoir politique que le renverser.
L'instrument peut aussi être fiscal, mais il n'est pas aisé d'imaginer la taxe qui exerce les effets souhaités. La grande erreur de Stern, selon l'Ifo, est de s'être limitée au seul niveau d'imposition du carbone, selon l'économiste. Comme le marché est dynamique, c'est le changement de taxe qui importe et non son niveau. Mieux vaudrait prélever un impôt sur les extractions fossiles ou un impôt à la source sur le revenu des capitaux investis dans l'énergie fossile. Mais attention aux difficultés pratiques!
Ce problème peut être levé par le négoce de certificats d'émissions, lequel exerce un impact sur l'offre et crée une situation de monopsone (un seul acheteur, donc l'inverse du monopole). Dans ce cas, le profit est réalisé au détriment des pays producteurs de ressources.
L'institut sort des seules bonnes intentions climatiques et fait avancer la recherche économique sur les ressources naturelles et l'environnement. Que demander de plus?
(1) Pareto Optimality in the extraction of fossil fuels and the greenhouse effect, Working paper 2083 et Public policies against global warming, Hans-Werner Sinn, CESIfo Working Paper 2087, Munich
Emmanuel Garessus