Des manifestations de masse contre le prix des tortillas à Mexico. Des conflits par rapport au rationnement de la nourriture au Bengale-Occidental. Des émeutes au sujet du prix des céréales au Sénégal, en Mauritanie et ailleurs en Afrique. Enfin, une marche d’enfants pour attirer l’attention du public sur la faim des enfants au Yémen. Cette chaîne d’événements contraste fortement avec la baisse des prix des aliments auxquels les consommateurs se sont habitués au cours des dernières décennies. http://www.banquemondiale.org/
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a annoncé que 36 pays sont en crise en raison d’une hausse des prix des aliments et qu’ils auront par conséquent besoin d’aide extérieure. Dans bon nombre de ces pays, l’insécurité alimentaire a été aggravée par des conflits, des inondations ou des conditions climatiques extrêmes.
Le mois dernier, à Davos et à Addis Ababa, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, a incité à l’action pour lutter contre la faim et la malnutrition dans un monde où le prix des aliments augmente sans cesse. « La faim et la malnutrition sont les plus oubliés des objectifs de développement pour le Millénaire. Ces objectifs ont reçu moins d’attention que d’autres, mais la hausse des prix des aliments ainsi que les menaces qui en découlent non seulement pour les citoyens, mais également pour la stabilité politique indiquent qu’il est urgent de leur porter l’attention qu’ils méritent », dit-il.
Bien que les prix élevés des aliments fassent la une, ce qui constitue un phénomène relativement récent, la hausse des prix des marchandises de base dans son ensemble a commencé en 2001. Les changements structurels importants de l’économie mondiale, notamment la demande croissante en Chine et en Inde, se sont traduits par une élévation du prix des marchandises, particulièrement le métal et l’énergie.
Les prix des aliments ont augmenté en raison de plusieurs facteurs : les prix plus élevés de l’énergie et des engrais; une demande accrue pour les biocarburants, surtout aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, sans compter les sécheresses que connaissent l’Australie et d’autres pays. Les stocks mondiaux de céréales n’ont jamais été aussi bas, et les prix de l’année prochaine dépendent du succès de la prochaine récolte dans l’hémisphère Nord.
Depuis le début du siècle, les prix du blé (en dollars) ont augmenté de 200 %, et les prix des aliments dans leur ensemble (en dollars) ont augmenté de 75 %. L’ajustement des taux de change et de l’inflation domestique permet de réduire les augmentations de prix que subissent les pays en développement, mais ces hausses demeurent tout de même importantes pour des millions de consommateurs pauvres. « La hausse du prix des céréales n’est pas causée par des problèmes d’offre à court terme, comme cela est normalement le cas, et plusieurs années seront probablement nécessaires avant que l’offre n’augmente suffisamment pour renflouer les stocks et faire baisser les prix », explique Don Mitchell, économiste en chef du groupe Perspectives du développement de la Banque mondiale.
Si vous vivez avec moins d’un dollar par jour
Imagine Imaginez une famille à faibles revenus du Bangladesh, qui payait son riz 20 centimes le kilogramme il y a un an et qui le paie désormais 30 centimes le kilogramme. Pour les pauvres qui consacrent souvent plus de la moitié de leur salaire à l’alimentation, la hausse continue du prix des produits de première nécessité peut être dévastatrice.
Le Yémen, qui importe près de 2 millions de tonnes métriques de blé par année, est un exemple illustrant comment la hausse des prix des aliments peut accroître la pauvreté. Après une année d’inflation record, le doublement du prix du blé et des produits du blé pourrait faire augmenter la pauvreté de 6 % à l’échelle nationale. « Si aucune mesure n’est prise, cela pourrait complètement annuler les progrès réalisés en matière de réduction de la pauvreté dans ce pays entre 1998 et 2005 », souligne Thirumalai Srinivasan, économiste pays de la Banque pour le Yémen.
Même si les pauvres vivant en milieux urbains sont les plus touchés par cette hausse du prix des aliments, il est important de souligner que la plupart des personnes qui vivent en milieu rural sont également des acheteurs plutôt que des vendeurs d’aliments. Ce phénomène pourrait donc avoir de graves répercussions sur les travailleurs ruraux sans terre, dont les salaires de subsistance pourraient ne pas suivre la hausse des prix des aliments.
Pas d’amélioration en vue
Il est fort probable que les causes profondes du phénomène de la hausse du prix des aliments (à savoir le prix élevé de l’énergie et de l’engrais, la demande pour des récoltes d’aliments destinés à la production de biocarburant et les faibles stocks d’aliments) perdureront à moyen terme.
Il est probable que les prix de l’énergie et de l’engrais demeurent élevés. Le prix de l’engrais a déjà augmenté de 150 % au cours des cinq dernières années. Il s’agit d’un fait très important puisque le coût de l’engrais représente entre 25 % et 30 % du coût de la production céréalière aux Etats-Unis, qui est responsable de 40 % des exportations de céréales du monde.
Il est fort probable que la demande en biocarburants augmente également. Cette année, un quart de la production de maïs des Etats-Unis (11 % de la production mondiale) a servi à produire du biocarburant, et les Etats-Unis sont responsables de plus de 60 % des exportations mondiales de maïs. Il est à noter que les Etats-Unis, l’un des quelque 20 pays à exiger l’utilisation de biocarburants, vient de s’engager à doubler son utilisation de biocarburants d’ici 2015. « L’essor des biocarburants contribue à aggraver la situation en faisant augmenter la demande alors que les prix sont déjà élevés et que les stocks sont bas », dit M. Mitchell. « L’éthanol et le biodiesel produits par les Etats-Unis et l’Union européenne ne semblent pas non plus tenir leur promesse « verte », les plaçant au centre d’une controverse. »
Par ailleurs, la capacité de production excédentaire est limitée. Les terres réservées par l’Union européenne, initialement destinées à faire en sorte que les surplus soient faibles, ont déjà été affectées à la production. Quant aux terres de la Conservation Reserve des Etats-Unis, même en supposant qu’une loi soit adoptée pour qu’elles soient mises en production, leur rendement serait faible.
Les retombées sur le commerce
Le prix élevé des aliments n’entraînera toutefois un déséquilibre des balances commerciales que dans un nombre relativement restreint de pays étant donné que la majorité des pays réaliseront des gains sur l’exportation de d’autres marchandises de base qui leur permettront largement de compenser la hausse des prix des aliments. Au nombre des pays les plus touchés, on compte la Jordanie, l’Egypte, la Gambie, le Lesotho, le Djibouti et Haïti.
D’un point de vue mondial, le prix élevé des aliments pourrait inciter les pays riches à réduire leurs subventions agricoles et cela pourrait améliorer les perspectives d’une réussite du cycle de Doha. Au vu du renversement de la situation, les politiques commerciales, autrefois motivées par le surplus d’aliments.
Un vaste éventail de réponses
Les gouvernements proposent des solutions variées, dont certaines procurent un soulagement immédiat, mais risquent d’aggraver le problème à long terme. A titre d’exemple, interdire les exportations pour maintenir les prix des aliments domestiques bas peut avoir de graves répercussions sur les producteurs qui sont souvent pauvres. Une telle mesure réduit également l’offre nécessaire pour répondre à la croissance future de la demande. Or, l’inquiétude ressentie par certains pays face à l’impact des prix élevés sur les citoyens les a poussés à mettre en place des contrôles de prix, des subventions et des interdictions d’exportations. Parmi ces pays, on compte le Honduras, l’Inde, l’Indonésie, la Moldavie, les Philippines et la Russie.
« Les gouvernements doivent agir de manière ciblée, en accordant des subventions directes aux pauvres plutôt qu’à l’ensemble du pays », affirme M. Mitchell. « Des transferts de revenus ou des aides alimentaires pour les pauvres seront plus efficaces et plus viables que des mesures plus générales déployées à l’échelle nationale. »
Parmi les 36 pays qui, selon la FAO, traversent une crise relative à la sécurité alimentaire, 21 d’entre eux se situent en Afrique. Dans certains pays, tels le Lesotho et le Swaziland, la sécheresse a nui à la production ; dans d’autres pays, comme le Sierra Leone, les citoyens ont difficilement accès aux aliments vendus sur les marchés locaux, notamment en raison de leurs faibles salaires et des prix très élevés des aliments ; et plus d’une dizaine de pays, dont le Ghana, le Kenya et le Tchad, connaissent une grave insécurité alimentaire localisée.
Grâce aux généreuses reconstitutions de fonds de l’IDA, au cours des deux prochaines années, le département agricole et rural de la Région de l’Afrique de la Banque pourra potentiellement accroître jusqu’à 30 % ses prêts agricoles annuels, en fonction de la demande des clients. Cette augmentation favoriserait la croissance agricole, une mesure recommandée par le Rapport sur le développement dans le monde de 2008 de la Banque mondiale.
La région de l’Afrique de la Banque a l’intention d’élargir son soutien aux programmes de protection sociale, accordant davantage de ressources à des projets tels que les programmes de travail rétribué en vivres et de travail rémunéré, qui sont en cours en Ethiopie (a).
La Banque a également l’intention d’aider les pays d’Afrique à poursuivre leurs échanges de céréales au-delà des frontières nationales et à adopter de meilleures techniques agricoles, telles que la culture sans labour, qui réduit les coûts de production tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre et en préservant la terre.
En partenariat avec le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) et d’autres organisations, la Banque aidera l’Afrique à investir davantage dans la recherche agricole. Celle-ci a fait ses preuves en permettant la création de manioc résistant aux virus en Ouganda, et de riz NERICA résistant aux virus en Afrique occidentale.
Des projets de recherche analytique et opérationnelle sont également en cours dans d’autres domaines. Par exemple, des projets d’infrastructure peuvent permettre de réduire les coûts de transport des aliments vers les marchés, et des instruments financiers de couverture pourraient être offerts aux petites entreprises d’agrinégoce pour les aider à composer avec les fluctuations des prix des aliments.
Dans toutes les régions, la Banque encouragera les pays à intensifier plutôt qu’à étendre leur agriculture afin de prévenir des coûts élevés pour l’environnement. Plus la demande agricole augmente, plus le risque d’empiètement sur les zones forestières et de grande biodiversité est élevé.
Entre temps, la hausse du prix des aliments continue de nourrir les inquiétudes à l’échelle mondiale, tandis que le Programme alimentaire mondial des Nations Unies organise désormais des réunions de crise pour discuter de la possibilité de rationner l’aide alimentaire, une mesure qui pourrait s’avérer nécessaire à moins d’obtenir davantage d’aide alimentaire à court terme.