Une fois rapportée en magasin, votre vieille télé passe entre les mains d’éco-organismes chargés de la faire dépolluer. Un marché émergent, financé par le consommateur. Depuis le 15 novembre 2006, l’enlèvement et le traitement de ces déchets est une obligation qui incombe aux fabricants. Au nom du principe dit de «responsabilité élargie du producteur». «On donne une obligation au producteur qu’il doit honorer : il peut le faire de manière individuelle mais la plupart ont collectivisé leurs obligations.
Il se passe parfois de drôles de choses sous les étiquettes. Derrière ce qui ressemble à une petite taxe verte qui renchérit de quelques euros le prix des télés, portables ou autres frigos, se développe une filière étrange, où trois PME privées remplissent une mission de service public en se livrant une concurrence qui n’en est pas vraiment une. Le tout avec l’argent des consommateurs, récolté via cette éco-contribution.
Bienvenue dans le monde des DEEE, «une espèce de laboratoire conciliant intérêt général et principe libéral», résume un opérateur. DEEE, c’est pour déchets d’équipements électriques et électroniques, ce qui va de l’électroménager aux divers écrans en passant par la hi-fi.
Des déchets complexes à recycler, contenant des polluants (CFC des frigos, vieux tubes cathodiques) mais aussi des matières premières valorisables (verres, métaux précieux).
En France, ils pèsent chaque année 1,3 million de tonnes dont une part a longtemps peuplée trottoirs et rivières.
«Obligation». Depuis le 15 novembre 2006, l’enlèvement et le traitement de ces déchets est une obligation qui incombe aux fabricants. Au nom du principe dit de «responsabilité élargie du producteur». «On donne une obligation au producteur qu’il doit honorer : il peut le faire de manière individuelle mais la plupart ont collectivisé leurs obligations», explique René-Louis Perrier qui dirige Ecologic, un des trois éco-organismes (1) nés de cette mutualisation, qui compte parmi ses actionnaires Fujifilm, Kodak, Pioneer, Sagem ou Daewoo.
Concrètement, ces PME organisent une filière logistique avec l’argent de l’éco-contribution. Soit directement auprès du distributeur auquel vous avez ramené votre déchet (et qui est obligé de le reprendre). Soit via les déchetteries des collectivités locales, indemnisées si elles mettent en place une collecte sélective. L’éco-organisme met en place l’enlèvement des déchets et passe un contrat avec les groupes spécialisés dans le recyclage. 20 % de la filière est également confiée aux associations d’insertion qui travaillent sur le réemploi (Emmaüs, réseau Envie, etc.).
Mais ces éco-organismes, dont les actionnaires sont donc aussi les clients, ne font pas ce qu’ils veulent : ils ont une obligation de service universel (sur tout le territoire et au même prix). Ils ne sont pas voués à gagner de l’argent, «car à partir du moment où l’éco-contribution doit correspondre au coût réel de la collecte et du retraitement, ça ne laisse pas de place aux bénéfices», explique Sarah Martin, en charge du dossier DEEE à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
Enfin, la bataille qu’ils se livrent est toute relative. «Il n’y qu’une apparence de concurrence, décrypte Matthieu Glachand, économiste à l’école des Mines de Paris. Quand sur un marché, vous avez une société qui a près de 70 % des parts de marché, c’est en fait un quasi-monopole.» En effet, Ecosystèmes, le premier des éco-organismes, a aujourd’hui 73 % du marché. Pour une raison simple : cette part est définie en amont, en fonction de la quantité produite. En clair, les actionnaires d’Ecosystèmes (qui regroupe les principaux fabricants d’électroménager et les grands distributeurs) sont responsables de 73 % des produits mis sur le marché. L’éco-organisme est donc tenu de traiter cette même part en termes de déchets. A charge, pour chacun, d’avoir le bon nombre de contrats pour tenir cet objectif. D’où un cafouillage ces temps-ci et la colère de collectivités locales : un des organismes trop gourmand, ERP, a dépassé sa part et refile en ce moment ses contrats à ses concurrents : «Des collectivités ont reçu, six mois après la signature de leur contrat, une lettre recommandée leur apprenant qu’elles changeaient d’éco-organisme, raconte Loïc Lejay, d’Amorce, une fédération de collectivités locales. Leur libre choix est bafoué. A quoi ça sert alors d’avoir trois concurrents ?»
«Paresseux». Bonne question. «Un monopole, s’il n’est pas aiguillonné, il est paresseux, répond Matthieu Glachand. Il ne fera pas énormément d’efforts pour tenir ses coûts.» C’est aussi l’argument de René-Louis Perrier, d’Ecologic : «La concurrence garantit une certaine défense du consommateur, car c’est quand même bien lui qui paye.» Il tempère les critiques d’Amorce : «Il n’est pas question d’imposer quoi que ce soit. C’est surtout un problème de jeunesse d’une filière qui s’est mise en place très vite.» 46 millions d’habitants sont en effet couverts, et l’objectif de collecte de 4 kg par an et par habitant fixé par la directive européenne a été atteint en début d’année. La prochaine étape est de mieux inciter les producteurs à agir dès la fabrication, pour que les appareils soient plus faciles à recycler, en «modulant la contribution en fonction des choix de conception», explique Sarah Martin de l’Ademe. Un nouveau barème est attendu pour 2009. Ca ne risque de pas simplifier les choses.
(1) Ecosystèmes, Ecologic et ERP. Un quatrième Recylum, s’occupe exclusivement des lampes.
GUILLAUME LAUNAY
QUOTIDIEN : mardi 1 avril 2008
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