Interrogé par Libération, l’ancien parlementaire socialiste suisse Jean Ziegler, nommé depuis 2000 comme le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies, s’en prend aux spéculateurs et dénonce une fois de plus les biocarburants. Dans son entretien à Libération, M. Ziegler a averti que le monde se dirigeait "vers une très longue période d'émeutes" et de conflits liés à la hausse des prix et à la pénurie des denrées alimentaires.
Après avoir peint le tableau noir des conséquences terribles de ce qui se déroule actuellement, Ziegler affirme que la responsabilité de cette catastrophe réside « principalement dans l’indifférence des maîtres du monde, pays riches ou grands émergents. »
Autre coupable : la course aux biocarburants. « Quand on lance, aux Etats-Unis, grâce à 6 milliards de subventions, une politique de biocarburants qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du marché alimentaire, on jette les bases d’un crime contre l’humanité pour sa propre soif de carburant… »
« Et quand l’UE décide de faire passer la part des biocarburants à 10% en 2020, elle reporte le fardeau sur les petites paysanneries africaines… »
La production massive de biocarburants est aujourd'hui "un crime contre l'humanité" du fait de son impact sur l'envolée des prix alimentaires mondiaux, a estimé Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation.
"La fabrication de biocarburants est aujourd'hui un crime contre l'humanité", a-t-il lancé sur les ondes du Bayerischer Rundfunk.
Jean Ziegler a appelé le Fonds monétaire international (FMI) à changer sa politique de subventions agricoles et à cesser de soutenir exclusivement des projets visant la réduction des dettes. L'agriculture, estime-t-il, doit être subventionnée dans des secteurs où elle assure la survie des populations.
Jean Ziegler souligne que les biocarburants ne sont pas les seuls coupables, car « les pays pauvres paient leur quittance au FMI. » (…) « Les plans d’ajustement structurels du FMI imposent toujours des plantations d’exportation qui doivent servir à produire des devises et permettre au pays du Sud de payer les intérêts de la dette aux banques du Nord… »
Le samedi 12 avril, le patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, constatait soudainement que « si les prix de l’alimentation continuent à augmenter, (…) des centaines de milliers de personnes vont mourir de faim. » et que cela « entraînera des cassures dans l’environnement économique et parfois la guerre. » Pourtant, il ne semble pas encore s’orienter vers la mise en place de politiques coupe-feu permettant de protéger les prix des denrées alimentaires de la spéculation folle et des ajustements structurelles du FMI…
Il a également critiqué l'Union européenne pour sa politique de subventions, l'accusant de dumping agricole en Afrique."L'UE finance l'exportation d'excédents alimentaires européens en Afrique (...) où ils sont proposés à la moitié ou un tiers du prix. Cela ruine totalement l'agriculture africaine", a-t-il déploré.
"En outre, la spéculation boursière internationale sur les matières premières alimentaires doit cesser", a-t-il dit.
De son côté, le patron de l'organisme allemand de protection des consommateurs Foodwatch, Thilo Bode, s'est aussi insurgé contre la "politique commerciale meurtrière des pays industriels". "Nous avons besoin d'une autre politique énergétique. Il n'est pas possible que nous remplissions nos réservoirs aux dépens des affamés", a-t-il dit à la télévision publique allemande ZDF.
Réagissant aux appels de mobilisation actuelle contre la faim, le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück a affirmé à la radio publique allemande que "l'Allemagne ne se dérobera pas à une telle action".
L'envolée des prix des denrées alimentaires et de l'énergie a provoqué la semaine dernière des émeutes en Haïti et en Egypte ainsi qu'une grève générale au Burkina Faso.
Pour creuser le sujet : Les biocarburants, une dangereuse escrocquerie généreusement financée.