Les compteurs intelligents sont-ils des balances?
Prévu pour remplacer compteurs électriques d’ici 2017, les compteurs dit « intelligents » sèment le trouble au niveau européen. Cette nouvelle technologie devrait faciliter les économies d’énergie et donc lutter contre le réchauffement climatique. Mais derrière ce boîtier numérique se profilent des enjeux financiers colossaux.
Linky, le nouveau compteur « intelligent » qui pourrait remplacer d’ici 2017 les 35 millions de compteurs électriques actuellement en fonctionnement dans l’hexagone est capable de transmettre en temps réel au fournisseur d’énergie des informations sur la consommation détaillée du client. Les données transitent du compteur vers des concentrateurs qui centralisent les données avant d’être transmises au fournisseur d’énergie. Ce dernier peut relever à distance, automatiquement et en temps réel la consommation d’énergie sans recourir au déplacement d’un agent.
L’Italie, talonnée par la Suède, est un pays pilote en Europe avec 85 % de foyers équipés. En France, l’heure est à l’expérimentation : ERDF teste depuis avril 2009 la pose de 300 000 compteurs et de 5000 concentrateurs en Touraine et dans la région lyonnaise. Ces expériences pourraient valider en 2012 la généralisation du linky sur le territoire national. L’adoption par la Commission européenne le 9 octobre 2009 d’une recommandation pour accroître l’utilisation de « technologies intelligentes » dans la lutte contre le réchauffement climatique accélèrera l’arrivée du linky. Convaincue qu’avec cette technologie « certains consommateurs pourraient réduire leur consommation d’énergie de 10 % », la Commission invite les Etats-membres à adopter au plus tard fin 2012 « un calendrier de déploiement des compteurs intelligents dans les ménages européens ». L’Europe est donc déjà convaincue… mais par qui ? Un lobby, le Groupe industriel européen des compteurs intelligents pousse son projet dans les couloirs des institutions de l’Union européenne. Parmi les 23 membres de ce groupe, on retrouve les fournisseurs de modules comme Sagem communications et des fabricants de compteurs tels que Siemens. Le remplacement du parc de compteurs au niveau européen représente un énorme enjeu financier et stratégique dans le secteur de l’informatique, des télécommunications et de l’énergie.
Dans les faits, une équipe de scientifiques de l’Université d’Oxford a conclue après recherche que l’appareil seul ne suffiraient pas mener à une baisse de la consommation générale. L’auteur Dr. Sarah Darby de l'Université d'Oxford dans un article publié dans le Building Research and Information Journal (Journal d’information et de Recherche du Bâtiment) constate que les avantages du compteur intelligent pourrait être moins efficace que prévu et ne dépendraient que de la phase de pédagogie. Une étude Hollandaise publiée dans la même revue met en doute les résultats des recherches internationales en la matière car elle sont toutes basées sur des périodes de 4 mois tout au plus, ce qui est relativement court. En effet, lorsque l’équipe de chercheurs de l’Université Technologique de Delf a mené son étude sur une période de 15 mois, ils ont découverts que les bénéfices du compteur intelligent étaient perdu tant que les fonctions pratiques ne sont pas assimilés par les utilisateurs comme une routine quotidienne.
Plusieurs voix ont également dénoncé l’intrusion dans la vie privée permise par ce compteur, après la tenue à Madrid en novembre 2009 de la 31ème Conférence internationale de protection des données et de la vie privée. A cette occasion, Elias Quinn du Centre pour la sécurité énergétique et environnementale de l’Université du Colorado, a pointé le risque d’une tentation par les compagnies électriques de vendre les données collectées par les compteurs intelligents. Deplus, on peut voir les données réquisitionnées par l’État. Au Canada, selon le journal Observer cette démarche a déjà permis l’acquisition d’informations menant au démantèlement de jardin de cannabis d’intérieur. Bien que la court ait refusé ceux-ci comme preuve, jugeant que la méthode d’acquisition des données n’était pas en accord avec les mandats nécessaires, bien que les charges aient tout de même été retenues. Aux États-Unis la mise en place de ces compteurs est elle aussi décriée. Un employé d’un fournisseur d’énergie américain aurait même déclaré qu’une hausse de la consommation due à une baignoire pourrait déclencher une enquête fédérale, précisant en même temps que des agents du FBI et de la DEA venaient régulièrement discuter avec les employés.
En Europe, au sein de l’union les motivations divergent. La Belgique, reste divisée en l’absence d’évaluation. Si la Flandre s’engage pleinement dans le processus, la Commission wallonne pour l’énergie met la pédale douce estimant qu’un « examen scrupuleux » est nécessaire avant tout investissement. Le débat fait également rage aux Pays-Bas depuis plusieurs mois. Un projet de loi organisant la mise en place du compteur intelligent prévoyait une amende de 17 000 euros et 6 mois de prison pour ceux qui s’opposeraient à cette installation. Les mobilisations citoyennes ont conduit le Sénat hollandais à refuser d’adopter le projet de loi en avril dernier. « En France, la fédération CGT discute avec les collectivités de l’arrivée du compteur, explique Guy Habai. Et avec la libéralisation totale des prix de l’énergie à partir du 1er juillet 2010, les maires et les élus de la région ont tendance à être sur la réserve. »