L’Europe et les réseaux intelligents : appel à la mobilisation
La dynamique américaine engagée sur les réseaux électriques intelligents est fondamentalement plus forte qu’en Europe. L’Union européenne ne pourrait-elle pas mettre en place une coordination des acteurs de la même ampleur ? Analyse du cabinet Columbus Consulting.
Pour qui connait les us et coutumes américains, l’alignement volontaire et convaincu d’une industrie entière derrière une initiative fédérale constitue un indice probant qu’une transformation majeure est en cours outre-Atlantique. Un domaine connait une telle circonstance : celui qu’il est désormais convenu de désigner par réseaux (électriques) intelligents (ou Smart Grids). Cette union sacrée est motivée par le constat suivant :
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pour relever les défis en matière d’énergie et d’environnement, les réseaux électriques sont, à échéance prévisible, une composante incontournable mais qui ne peut en l’état fournir les réponses nécessaires ;
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en devenant “intelligents”, les réseaux électriques apporteront une contribution essentielle au traitement de problématiques considérées comme stratégiques pour le pays.
Aucune révolution technologique n’est nécessaire, la gageure réside dans la coordination à longue échéance d’un effort massif impliquant un nombre très important d’acteurs. C’est pourquoi les Américains ont lancé une mobilisation générale sur le mode « Nous irons sur la Lune », à l’image du programme Apollo lancé par le président Kennedy ayant aboutit à l’exploit de juillet 1969.
La loi d’indépendance et sécurité énergétique de 2007 a institutionnalisé le terme Smart Grids, identifié très concrètement les points clés qui permettront d’en obtenir le plein bénéfice, et fixé les responsabilités opérationnelles pour leur traitement.
En mai 2009, les ministres américains de l’Énergie et du Commerce se sont associés pour convoquer les dirigeants des acteurs clés de la chaîne de valeur électrique mais également des industries informatique et des télécom pour s’assurer de leur engagement et leur alignement sur l’effort piloté par l’administration fédérale.
Le dispositif opérationnel de pilotage global est en place, coordonnant les efforts de centaines d’experts qui produisent déjà les premiers résultats concrets, telle la parution en janvier de la première version du document de référence sur l’interopérabilité des éléments constitutifs d’un réseau intelligent.
Par son discours du 28 octobre 2009 dans une centrale solaire de Floride, le président Barack Obama a sensibilisé le citoyen américain au sujet Smart Grids et à la mobilisation nécessaire, faisant un parallèle avec la mise en place du système autoroutier américain sous l’impulsion du président Eisenhower. C’est à cette occasion qu’il a annoncé que 3,4 milliards de dollars tirés du plan de relance seraient consacrés aux réseaux intelligents.
Ce budget, abondé par 4,7 milliards de dollars de financements privés, fait du sujet réseaux intelligents un investissement massif public-privé, motivé pour les uns par des préoccupations stratégiques… et pour les autres par la perspective d’un marché d’équipement projeté à 43 milliards de dollars en 2014 !
Et l’Europe ? Et la France ?
Fin janvier, un colloque surles réseaux intelligents était organisé parla Commission de régulation de l’énergie. On a pu vérifier que les constats conceptuels sont identiques des deux côtés de l’Atlantique. En revanche, force est de constater que l’impression de mobilisation est sensiblement différente sur notre rive !
Non pas qu’il ne se passe rien en France ou en Europe (voir le supplément d’Énergie Plus n°438 ) : les signaux tarifaires par courant porteur sont en place depuis plusieurs décennies et nous menons certaines initiatives parmi les plus ambitieuses (projet Linky en France) ; de plus, les industriels européens dominent la scène et nous disposons de pôles d’expertise de pointe.
Mais rien de réellement comparable à ce qui se passe outre-Atlantique en terme de coordination d’ensemble permettant un projet d’infrastructure globale, même si l’on ne peut que saluer certaines initiatives telles les financements gérés par l’Ademe sur le sujet.
Un propos entendu à plusieurs reprises lors du colloque de la CRE est qu’il y a urgence aux États-Unis au motif du mauvais état général de leurs réseaux électriques. On pourrait donc laisser aux Américains la charge d’investir les milliards de dollars nécessaires. Il suffirait, le temps venu, de s’appuyer sur les normes et standards ainsi développés et d’utiliser les équipements conformes.
Une occasion bientôt perdue ?
Deux points peuvent inciter à questionner une telle position :
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supposer que nos réseaux soient exempts de faiblesses, les réseaux intelligents sont de toute façon nécessaires pour tenir les objectifs français et européens en matière d’énergie et d’environnement(dont le 3 fois 2o). Étant données les échéances visées et les échelles de temps en matière d’évolution de l’infrastructure électrique, un effort “à l’américaine” ne doit-il pas être mené dès aujourd’hui aussi de notre côté ?
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D’où viendront les solutions innovantes et les équipements conformes ? Il faut s’attendre à ce que l’effort massif consenti permette aux États-Unis d’entrer dans une boucle vertueuse “innovation - entrepreneuriat - compétence - emploi”, préparant l’émergence des leaders des Smart Grids. Pourquoi avec les atouts dont nous disposons en Europe et en France ne tenterions nous pas d’en bénéficier également ?
Il n’y a pas de fatalité à ce que, pionniers de la télématique domestique avec le Minitel hier,on ne puisse aujourd’hui qu’applaudir ou frémir devant les Google et autres Amazon en espérant qu’ils veuillent bien installer un centre de données ou une plate forme logistique en France.
Les réseaux intelligents pourraient bien être l’infrastructure majeure à développer en ce siècle. Étant donnés son caractère stratégique et la nécessité de mobilisation et coordination de grande ampleur, les organismes étatiques français et européens ne devraient-ils pas mener la charge à l’instar de leurs homologues américains ? N’y a-t-il pas la matière à une mobilisation exemplaire, privilégiant l’efficacité à la subsidiarité, afin de mener un projet industriel prometteur ? Ce serait là un bel objectif politique, au sens noble du terme.
Nicolas Richet, directeur associé de Colombus Consulting, en charge du secteur ressources naturelles, énergie et développement durable.