La majeure partie des panneaux solaires vendus en France, en Europe et de par le monde provient de Wuxi, une ville hérissée d’immeubles modernes située à une centaine de kilomètres à l’ouest de Shanghai. La filière photovoltaïque, qui connaît un succès phénoménal, y pèse plus de 3 milliards d’euros, répartis sur une dizaine de grands fabricants et nombre de sous-traitants. Le pionnier et leader du marché se nomme Suntech. Il a pour patron un Australien d’origine chinoise, Shi Zhengrong, professeur à l’Académie des sciences d’Australie, devenu multimilliardaire (en dollars) en une courte décennie. «Toutes les autres entreprises du solaire de Wuxi n’ont fait qu’imiter notre modèle économique», dit sans modestie Zhang Jianmin, un représentant de l’entreprise qui nous fait visiter le siège ultramoderne du groupe, dont la façade est composée d’un assemblage impressionnant de panneaux solaires.
Six chaînes. A l’intérieur, une exposition très design sur les énergies nouvelles vante les avantages de l’énergie solaire, «clé d’un avenir vert». Elle a été inaugurée l’été dernier par l’ancien vice-président américain Al Gore. Des images de guerre projetées sur les murs valident le scénario catastrophe d’une funeste montée des eaux et d’un chaos écologique… auquel le monde pourrait toutefois échapper en achetant les produits Suntech. L’usine ne s’arrête jamais : 2 000 ouvriers, en combinaisons spéciales, y font les trois-huit. Leur salaire moyen est de 2 000 yuans (250 euros) pour huit heures de labeur, repas, logement et assurances comprises. La plupart sont recrutés dans les écoles secondaires de la région avec lesquelles Suntech a un accord. Une à deux semaines de formation suffisent. Pour éviter de casser les fragiles plaques de silicone qui convertissent la lumière en courant électrique, certaines manipulations se font à la main : des centaines d’ouvrières s’échinent à assembler, au fer à souder et en moins de dix secondes, un fil de métal sur la surface des cellules photovoltaïques. Mais pour le reste, le processus de production des six chaînes de montage en parallèle est presque entièrement automatisé. Les machines, fort onéreuses, viennent du Japon, d’Italie, d’Allemagne. Une nouvelle usine, en construction, est en train d’installer de nouvelles chaînes de fabrication. Au total, Suntech a 14 000 employés en Chine, et un millier à l’étranger.
L’entreprise, qui fabrique aujourd’hui près de 100% de ses panneaux en Chine, est officiellement chinoise. Mais Suntech s’apparente davantage à une multinationale : elle dispose de filiales dans 14 pays et la structure de son capital (qui comprend l’américain Goldman Sachs et le britannique Actis) est d’origine très variée. Son patron, Shi Zhengrong, est né en Chine sous un autre nom (Cheng). Pendant la grande famine qui a ravagé la Chine (1958-1962), ses parents, incapables de le nourrir, l’ont confié à une autre famille, les Zheng, qui l’ont adopté. Après de brillantes études en Chine, Shi a émigré en Australie, où il a acquis sa nouvelle nationalité et travaillé dans l’un des plus prestigieux laboratoires. De retour en Chine en 2000, le chercheur a convaincu, par l’entremise de fonctionnaires de Wuxi, trois petites entreprises d’Etat de machines à laver et de pharmacie d’investir 6 millions de dollars (4,4 millions d’euros) dans la fabrication de cellules photovoltaïques. En 2005, Suntech entre à la Bourse de New York : les parts des investisseurs initiaux sont rachetées et l’entreprise devient privée.
Délocalisation. Pour la première fois, une unité de production est en train d’être délocalisée aux Etats-Unis, dans l’Arizona, «pour se rapprocher de [sa] clientèle». La proximité du marché chinois n’apporte, il est vrai, aucun avantage aux fabricants de cellules solaires. En raison de l’absence de subventions de Pékin à l’achat de panneaux solaires, ce marché est très réduit. Le faible niveau des salaires, qui a longtemps été un avantage, ne l’est plus vraiment. «Aujourd’hui, la filière est très automatisée et le coût de la main-d’œuvre n’est plus un facteur critique», explique Zhang Jianmin, un responsable de Suntech. D’où cette délocalisation aux Etats-Unis, qui a sans doute aussi pour objectif de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui accusent les subventions occidentales de favoriser, au final, l’industrie chinoise du solaire. Selon Jean-Yves Lindheimer, patron de la filiale française de Suntech, l’entreprise «songe à établir une usine en Europe».Et de reconnaître sans ambages : «Sans ces politiques de subvention des énergies renouvelables, il n’y a pas que Suntech qui n’existerait pas ; il n’y aurait tout simplement pas d’industrie solaire.»
Par Philippe Grangereau